Ce que le Web sait de vous… et ce qu’en font les publicitaires

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Que vous y partagiez ou non des détails de votre vie privée ou professionnelle, l’Internet sait plus ou moins tout de vous. Les annonceurs s’en réjouissent puisqu’ils peuvent vous traquer à tout instant et ainsi mieux cibler leurs campagnes de pub. Comment font-ils ? Jusqu’où peuvent-ils aller ?

Quatre mille rapports comprenant les données salariales d’internautes ayant participé à une enquête chez Jobat malencontreusement publiés sur le Net. Un fichier regroupant les données privées d’un million d’usagers de la SNCB disponible pendant plusieurs mois en ligne, etc. Les fuites ou les piratages de données privées sur Internet font grand bruit ces dernières semaines. Il faut dire que les exemples se sont récemment multipliés en Belgique. Inquiétant à l’heure où les infos collectées à votre égard sur le Web sont de plus en plus nombreuses. Mais surtout… de plus en plus utilisées ! Sans aller jusqu’au piratage ou à la transmission de fichiers appartenant à des entreprises commerciales, un certain nombre de traces que nous laissons sur Internet sont disponibles… et utilisées à tout moment.

Ces mouchards qui informent les annonceurs

“Pour l’achat de ma nouvelle télévision 3D, j’ai comparé les caractéristiques et les prix de différents modèles sur Internet. Depuis, la plupart des publicités qui s’affichent quand je surfe concernent des télés 3D.” Rien d’étonnant : comme la plupart d’entre nous, cet internaute est littéralement fliqué lorsqu’il se promène sur la toile. Le comportement du surfeur est en effet traqué par les sites internet, les régies et les annonceurs. Leurs armes ? L’adresse IP de votre ordinateur, les cookies ou encore les logiciels de navigation qui sont désormais en mesure de connaître (et de transmettre) vos données de localisation. “L’objectif de cette traque comportementale de l’internaute est de permettre aux annonceurs de lui afficher une publicité toujours plus ciblée, commente Yann Kervarec, expert français en commerce numérique. Les entreprises d’e-commerce, comme les marques, souhaitent doper le retour qu’elles ont de leurs investissements publicitaires sur le Web. Et des outils le permettent.”

Une technique — pas nouvelle mais de plus en plus courante — s’appelle le retargeting. Il s’agit de permettre à un annonceur ou à un site d’e-commerce d’afficher, sur un large réseau de sites d’éditeurs, des publicités personnalisées à un internaute en fonction de son comportement de navigation récent. C’est typiquement ce qui s’est produit pour l’internaute cité plus haut qui a acheté une télé. Lorsqu’il s’est rendu sur un des sites d’e-commerce où il a examiné certains types d’écrans 3D, le site l’a remarqué grâce à une technique de marquage de ses pages. Le site a aussitôt placé sur l’ordinateur de notre shopper digital un cookie qui a, par la suite, servi à lui afficher des publicités pour ce site d’e-commerce sur la page d’un éditeur partenaire.

“Cela se fait tous les jours, admet Bruno Van Boucq, CEO de la régie Beweb. Le retargeting permet aux annonceurs de mieux cibler leurs campagnes. Souvent pour payer moins cher. Les plus concernés par cette pratique sont les vendeurs par correspondance et tous ceux qui font du marketing direct.” Si Beweb travaille peu avec ces acteurs-là, la régie a toutefois développé des techniques proches qui permettent d’identifier certaines catégories de surfeurs pour les exposer aux publicités de certains de ses annonceurs. Avec des taux de clics entre 15 et 200 fois supérieurs, selon la régie. Et des espaces publicitaires vendus 25 % plus cher, soit entre 20 et 45 euros pour 1.000 vues.

Le maître mondial du retargeting s’appelle Criteo, une société d’origine française basée dans la Silicon Valley qui emploie 500 personnes et génère plus de 200 millions de dollars par an. Des acteurs comme La Redoute, 3 Suisses, Decathlon ou Esprit ont largement adopté le retargeting. Google lui a aussi emboîté le pas. Le géant de la recherche connaît également presque tout du trajet d’un internaute. A plus forte raison s’il est connecté à son compte Google (Gmail, Google + ou YouTube). Mais pas seulement : grâce à son omniprésence, le géant de la recherche dispose d’autres moyens. “Google est aussi en mesure de suivre le trajet de l’internaute s’il se trouve sur un site utilisant Google Analytics ou s’il est confronté à une page affichant des publicités de chez Google, détaille Nicolas Debray, fondateur de l’agence Semetis spécialisée dans les produits pub du moteur de recherche. Dans ces cas, Google identifie son ordinateur et pourra adapter ses prochaines publicités en fonction de son historique de navigation.”

Effrayant ? Oui et non. Dans la plupart des cas, il s’agit de suivre le parcours d’un internaute non réellement identifié. Pas nominativement en tout cas, bien que ce soit possible dans certains cas. Reste que pour Stéphane Verschueren, vice-président de la Commission de la vie privée, “l’anonymat ne se limite pas à connaître le nom de la personne : ce n’est pas parce que vous êtes caché derrière un pseudo que ce n’est pas vous. Que les grandes entreprises veuillent cibler l’information en fonction du consommateur est logique et compréhensible. Le problème c’est que l’internaute ne sait pas forcément pourquoi on lui adresse certains messages. L’enjeu est bien sûr la transparence.” C’est vrai : l’internaute peut refuser dans certains cas (pas dans tous !) de se voir installer des cookies. Mais, il se prive alors d’avantages ou même de l’accès à certaines informations…

Les annonceurs savent toujours où vous êtes

A l’heure où le Web est embarqué dans des millions de smartphones, les annonceurs souhaitent tirer profit de cette mobilité. Et là aussi, les outils s’organisent. L’un des plus étonnants provient de la firme Proxistore, une entité de Beweb : il offre aux annonceurs la possibilité d’afficher des publicités sur des sites nationaux (La Libre Belgique, Het Nieuwsblad, Elle, etc.) mais vues uniquement par des internautes situés dans une zone géographique locale définie par l’annonceur. Pour y arriver, Proxistore localise l’internaute avec une incroyable précision. La firme a mis en place un système de géolocalisation en cascade dont le brevet mondial devrait d’ailleurs prochainement être effectif. D’abord, elle demande à l’internaute s’il accepte d’être localisé. Si la réponse est positive, Proxistore se sert des données géographiques fournies par le browser (Html5) et la connexion web de l’utilisateur (3G, Wi-Fi…). Ces informations lui permettent de situer le surfeur précisément sur une carte Google Maps. Proxistore installe alors un cookie qui vivra pendant un an. Et si l’internaute refuse ? Il sera tout de même localisé, mais avec un peu moins de précision, grâce à son adresse IP. Bruno Van Boucq insiste toutefois : “Nous ne stockons pas chez nous les informations de cette localisation et cela reste totalement anonyme. Ce qui nous intéresse ce sont des points sur des cartes, pas des profils individuels de surfeurs.”

Ce traçage de plus en plus poussé sur le Net peut effrayer. Les différents acteurs se montrent toutefois rassurants. “Ce sont des numéros d’IP, des cookies ou des localisations qui ne comprennent pas de données privées susceptibles de reconnaître individuellement chaque internaute”, souligne l’un d’eux. Pourtant, lorsque vous restez connecté à votre compte Gmail et que Google suit vos recherches et votre parcours en ligne, il connaît votre identité. De même, Proxistore est en mesure de visualiser, avec précision, sur une carte géographique les endroits d’où émanent des clics sur ses campagnes locales. Il pourrait donc, en théorie, identifier qu’au numéro 50 de la rue X, un clic a été généré sur la campagne d’un annonceur Y… Le CEO de Beweb précise cependant que pour les annonceurs “l’intérêt est de travailler sur la masse. En affichage pub, l’individuel n’est pas intéressant car cela demande un gros travail en amont, dont le coût n’aurait de sens que dans le cas d’une vente d’un bien hyper cher. Pas sur la vente d’une paire de chaussures, d’un pull ou même d’une voiture.”

Récupération des données : tous les moyens sont bons

Si ce “flicage” reste relativement anonyme, le Web contient par contre un pôle gigantesque d’informations à votre sujet qui sont, elles, totalement identifiées. En tant que client de sites d’e-commerce et utilisateur de réseaux sociaux, vous êtes totalement fiché sur le Web. Et les méthodes pour récolter les données se multiplient et se perfectionnent. Des plus sympas aux plus illégales en passant par les moyens trop discrets.

En Belgique, la PME Qualifio aide ainsi les médias à “qualifier leur trafic” et à le vendre aux annonceurs. Cela se fait de manière agréable pour l’internaute qui est invité à participer à un concours, ou à un quizz sur le site d’un média, organisé avec un partenaire. Exemple : Le Soir qui organise un concours avec Veritas pour gagner une collection d’accessoires. Olivier Simonis, fondateur de Qualifio, admet que ces interactions ont surtout pour but de “collecter des profils et qualifier une audience”. A un moment, le média proposera généralement à l’internaute de cocher une case pour bénéficier d’un avantage… en échange de la transmission de son profil à l’annonceur. Un système d’Opt-in qui offre au média la possibilité de générer des revenus et à l’annonceur d’acheter des bases de données. Pour des données assez générales (nom, prénom, e-mail, âge, sexe), le média vendrait les données collectées par ce mécanisme environ un euro pièce. Utilisé avec éthique et transparence, ce mécanisme se révèle plutôt sympathique. Reste que le business de l'”Opt-in partenaire” mène régulièrement à des abus. Car en cochant la case “J’accepte que mes coordonnées soient transmises à des tiers”, l’internaute peut donner libre cours à la commercialisation sans fin de ses données personnelles par des acteurs peu scrupuleux aux méthodes de cow-boys : revente à des e-mail brokers, e-mail de désinscription invalide, retransmission en cascade, impossibilité de contacter l’expéditeur, etc. Il devient dès lors courant que le surfeur reçoive des e-mails publicitaires dont il ignore totalement la raison mais qu’il a plus ou moins involontairement “acceptés”.

Flux d’infos entre Facebook et les annonceurs

Depuis quelque temps, Facebook participe à la récupération de données pour ses partenaires. Le réseau social permet, en effet, à des services en ligne ou des partenaires de proposer à l’internaute de se connecter en utilisant son compte Facebook. La fonctionnalité s’appelle “Facebook Connect” Ainsi, le service d’écoute Spotify, par exemple, peut être activé en utilisant ses informations de connexion Facebook. L’avantage pour l’utilisateur ? Il ne doit plus créer un compte sur le nouveau service, entrer son nom, son mail et d’autres infos. Facile. Le prix à payer est d’accepter les conditions du mécanisme, à savoir donner l’autorisation à Facebook de partager avec le partenaire une série d’informations plus ou moins précises : nom, prénom, e-mail, photo de profil (!). Par ailleurs, le réseau social profite lui aussi, en retour, d’informations supplémentaires sur ses utilisateurs. En effet, il en apprend encore plus sur leurs comportements en dehors de son réseau : artistes écoutés via Spotify, types de jeux vidéo appréciés, etc. Avec ces données, Facebook affine votre profil pour vous proposer de la publicité toujours plus ciblée.

Big Brother is selling you

Car tel est bien l’enjeu des réseaux sociaux qui tentent de monétiser leur énorme trafic. Avec Google, ce sont eux qui disposent du plus grand nombre d’informations vous concernant. Des informations que vous avez accepté de leur transmettre : en likant des pages, en étant amis avec certaines personnes, en partageant des statuts, vous apportez de l’eau au moulin publicitaire de Facebook ou de LinkedIn. Ainsi, Facebook permet l’affichage de publicité sur sa plateforme de manière très ciblée.

Tout est bon, ou presque, pour affiner la cible publicitaire. Les annonceurs peuvent choisir les utilisateurs qui verront leur pub en fonction d’une longue série de critères : sexe, âge, goûts, pages appréciées, etc. Ainsi, “le ciblage early adopters permet de cibler les utilisateurs qui aiment les produits et les pages d’actu techno. Ce qui correspond à une audience de 230.000 utilisateurs Facebook en Belgique”, détaille Social.Lab, entreprise bruxelloise spécialisée en marketing sur les réseaux sociaux.

Plus effrayant : les annonceurs peuvent utiliser la base de données de leurs propres clients (e-mail, tél., etc.) et l’uploader dans un outil de création d’audience personnalisée sur Facebook. Le réseau social n’affichera la pub qu’aux clients de l’annonceur repérés sur FB. On le comprend vite : de la sorte, Facebook se voit “offrir” des infos supplémentaires grâce aux données personnelles que des annonceurs ont collectées lors de vos relations avec eux. En moyenne, selon Social.Lab, Facebook reconnaît 20 % des adresses e-mail de la base de données clients d’une entreprise. LinkedIn, lui aussi, met à disposition des annonceurs des informations qui vous concernent. BMW y a réalisé une campagne d’affichage adaptée selon les profils : certains modèles pour les dirigeants et cadres supérieurs, d’autres pour les profils moins élevés. Citroën a également annoncé sur LinkedIn au printemps 2012. La marque française a acheté une cible de decision makers (décideurs) pendant un peu plus d’un mois, l’objectif étant de promouvoir sa DS5 auprès de directeurs, de managers, etc. Avec un budget de presque 30.000 euros. Résultat ? Un million deux cent mille pubs visionnées par 203.000 profils différents. Le réseau social permet à l’annonceur d’obtenir un certain nombre de statistiques très précises : quels sont les profils qui ont effectivement vu la pub, la taille de leur entreprise, les fonctions les plus concernées… mais aussi le nom des entreprises où la publicité a le plus été visionnée. Ainsi, dans le cas de la campagne Citroën, on constate que les employés de Pfizer, Procter & Gamble, BNP Paribas et Belgacom ont été les plus nombreux. “Potentiellement, on peut cibler les annonces en fonction de chacun des critères disponibles sur Linked In”, commente Bruno Van Boucq dont la régie commercialise les espaces du réseau pro. On peut par exemple ne destiner une pub qu’aux employés d’une entreprise. Un opérateur belge l’a d’ailleurs fait pour le recrutement de profils spécifiques : il a uniquement ciblé les employés de son plus gros concurrent. Techniquement, il serait même possible de ne cibler que les amis d’un grand patron belge ou d’un homme politique disposant d’un profil sur LinkedIn. Vous aviez dit “anonyme” ?

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