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Haro sur le PIB !

On sait le concept de Produit intérieur brut fort controversé. Mais quand, à quelques heures d’intervalle, tant Ben Bernanke, président de la banque centrale américaine, qu’Yves Leterme, secrétaire général adjoint de l’OCDE, soulignent que le PIB ignore dramatiquement la notion de bien-être, on ne peut qu’être ému par ce vibrant appel, au moins implicite, à plus d’humanité dans l’économie…

Le PIB, qui mesure la richesse produite dans un pays durant une année, n’est pas toujours critiqué pour son manque de c£ur. Il l’est parfois sur un plan plus technique. Ainsi la fédération européenne des employeurs (FedEE) vient-elle de se fendre d’une opinion pour le moins surprenante : dans son jugement porté sur l’économie britannique, la Banque d’Angleterre se trompe ! Car elle se base sur l’évolution du PIB (en recul de 0,7 % au 2e trimestre), alors que cette notion, considère la fédération, convient mal à un pays qui investit énormément à l’étranger… et en perçoit les revenus. Le fait est que divers indicateurs britanniques indiquent une fort bonne tenue de l’économie, à commencer par les créations d’emplois. Au lieu de passer au PIB comme les autres, Londres aurait-il dû conserver le concept de PNB qui prévalait naguère ? Ce Produit national brut prend en compte les revenus nationaux tirés de l’étranger, mais exclut les revenus locaux résultant d’investissements réalisés par l’étranger. L’optique est assez différente et on conviendra que le PIB, reflet de ce qui se passe dans un pays, est l’instrument ad hoc pour guider les politiques monétaire et économique nationales.

Le PIB présente des tares aberrantes. Faut-il rappeler que les activités bénévoles y comptent pour du beurre, tandis qu’un grave accident l’accroît ? Plus fondamentalement, il est purement quantitatif et nullement qualitatif, et tel est bien le reproche essentiel qu’on lui fait. Même Ben Bernanke a donc souligné la chose, n’hésitant pas à évoquer le Bonheur national brut que le petit royaume himalayen du Bhoutan a substitué au PIB en 1972. Certes, le patron de la Federal Reserve s’exprimait à l’Association internationale pour la recherche sur les revenus et le patrimoine (Cambridge, Massachusetts), et non en comité de politique monétaire de la Fed. Certes, nombre d’analystes ont interprété sa compassion pour les tourments des ménages américains comme le prélude possible à de nouvelles mesures de soutien à l’économie. Indécrottables suppôts du PIB et des indices boursiers ! Il reste réconfortant que l’homme le plus influent de la planète sur le plan financier ne soit pas imperméable à une autre approche de la richesse. On s’en convainc d’autant plus facilement que l’ami Ben avait déjà prononcé un discours sur l’économie du bonheur. C’était en mars 2010, à la cérémonie de remise des diplômes de l’université de Caroline du Sud.

Et voilà donc qu’Yves Leterme, préoccupé par les conséquences de la crise mais l’esprit dégagé après la scission de BHV, rompt lui aussi une lance en faveur d’une approche plus qualitative de l’économie, par le biais d’une tribune dans L’Echo. Au demeurant, il ne fait ainsi qu’exercer son nouveau métier, puisqu’il met en avant le Better Life Index lancé en mai 2011 par l’Organisation de coopération et de développement économiques. Pas plus que les autres inventions du genre, cet indice ne saurait toutefois remplacer le PIB. Celui-ci se situe en amont, guidant les autorités monétaires pour la création de richesse. Les indicateurs de bonheur se situent en aval, guidant le politique dans la répartition de cette richesse. Le politique, c’est-à-dire les femmes et les hommes élus par les citoyens.

GUY LEGRAND, DIRECTEUR ADJOINT

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