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Faut-il forcer le crédit ?

C’est une des nombreuses questions qui doit hanter les nuits de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE). On observe en effet une forte diminution des crédits octroyés aux entreprises et aux ménages au cours du trimestre écoulé.

C’est une des nombreuses questions qui doivent hanter les nuits de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE). On observe en effet une forte diminution des crédits octroyés aux entreprises et aux ménages au cours du trimestre écoulé. M. Draghi s’en est même étonné devant le Parlement européen, en regrettant que les 1.000 milliards d’euros de liquidités prêtés aux banques n’aient pas davantage percolé à travers l’économie. Le président de la BCE a promis de revenir au Parlement européen pour expliquer où sont passés les 1.000 milliards prêtés, puisqu’ils ne servent apparemment pas à financer l’économie. Il ne devra en fait pas chercher très loin, puisque quelque 790 milliards d’euros reviennent chaque soir à la BCE… Retrouver les 1.000 milliards n’est donc pas difficile, et là n’est pas le problème, n’en déplaise à Michel Barnier.

Problème d’offre ou de demande ?

Ce faux débat ne doit cependant pas occulter une réalité : le financement de l’économie par le crédit tourne au ralenti, ce qui est un très mauvais indicateur pour l’activité économique européenne dans les prochains mois. Encore faut-il bien appréhender le lien de causalité entre crédits bancaires et activité économique.

On entend déjà des experts en bankbashing affirmer que l’activité économique est contrainte par l’offre de crédits bancaires. Pour appuyer leurs propos, la dernière enquête de la BCE auprès des banques montre que plus de 10 % de celles-ci ont restreint leurs conditions d’octroi de crédit, malgré le fait qu’elles ont eu un accès facile et presque illimité aux liquidités de la BCE. On signalera néanmoins, pour être complet, que cette proportion est en forte diminution par rapport au trimestre précédent. Par ailleurs, une autre enquête de la BCE a montré que c’est surtout dans les pays de la périphérie que l’accès au crédit est un problème.

Le durcissement des conditions s’explique par deux phénomènes : d’une part, le financement d’un projet d’investissement ou d’un ménage est actuellement plus risqué (risque de faible rentabilité pour les entreprises, risque de chômage pour les ménages), ce qui pousse à recaler plus de demandes de crédits. C’est ce qu’on appelle l’accélérateur financier. D’autre part, il ne faut pas se leurrer : la situation du secteur financier est encore très fragile, voire précaire dans certains cas spécifiques. Le tout n’est pas d’avoir des liquidités en suffisance, encore faut-il disposer des fonds propres suffisants pour octroyer des crédits.

Néanmoins, le manque de demande de crédits joue également : le manque d’activité, l’incertitude généralisée et le manque de confiance des entreprises et des ménages les détournent d’investir. Quarante et un pour cent des banques ont ainsi signalé une baisse de la demande de crédits des entreprises et 51 % ont indiqué une baisse des demandes de prêts hypothécaires. Dès lors, même les institutions qui ne restreignent pas leurs conditions d’octroi doivent bien constater un baisse de l’activité de crédit.

Faut-il prendre davantage de risque ?

Offre et demande se combinent donc pour ralentir le crédit et l’activité économique. Comment alors relancer la machine, alors que la croissance est la seule porte de sortie propre à cette crise européenne sans fin ? Faut-il forcer le verrou du crédit ? Théoriquement, c’est possible : on pourrait par exemple forcer les banques à octroyer des crédits en abaissant leurs critères de décision afin de contrer l’accélérateur financier. On pourrait aussi court-circuiter le canal bancaire classique, en octroyant directement des financements depuis la BCE (achat d’obligations d’entreprises) ou bien via un bras financier de l’Europe (Banque européenne d’investissement par exemple). La Commission européenne et tous ceux qui critiquent la frilosité des banques seraient-ils cependant prêts à prendre les risques que ne veulent pas prendre les établissements bancaires ? Si l’environnement économique général était plus porteur aux Etats-Unis et dans les pays émergents, le jeu en vaudrait peut-être la chandelle : un effort ultime en matière de crédit aiderait le secteur privé européen à rattraper le train de la croissance mondiale. Malheureusement, l’économie mondiale montre de nombreuses zones de fragilité. Dès lors, est-il vraiment raisonnable de prendre le risque d’alimenter le crédit dans un tel environnement ? C’est une question difficile que seule la BCE devra et pourra trancher.

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