Vins Pirard, de la laine au vin

Les Pirard sont cavistes de père en fils depuis trois générations. © frédéric Raevens

Chez les Pirard, on est cavistes de père en fils depuis trois générations. Une belle constance qui se résume en trois mots : sérieux, fidélité et authenticité.

Pour comprendre l’histoire de la Maison Pirard, il faut se replonger dans le Verviers des années folles. Celui du centre lainier reconnu mondialement. Fernand, le papa de Jacques Pirard, était un voyageur invétéré. Et, pour cause, il était acheteur de laine. Les balles arrivaient par bateau et transitaient parfois par le port de Bordeaux. “Mon grand-père en profitait pour ramener des barriques de vin en Belgique, raconte Emmanuel Pirard. J’ai même retrouvé des documents qui attestent d’achats de vin réalisés par le grand-père de mon grand-père. Le vin est donc dans la famille depuis très longtemps.”

La crise lainière et le décès de son père poussent Jacques Pirard à s’interroger. Et s’il faisait du vin un véritable business ?

“Papa a commencé petit, poursuit Emmanuel Pirard. Il fut d’abord représentant de maisons bordelaises et autres. Mais il a pris son propre registre de commerce quand il s’est rendu compte qu’il était parfois victime de tromperies sur la marchandise. Les vins dégustés ne correspondaient pas toujours aux vins livrés.”

Jacques Pirard lance alors sa propre entreprise d’importation. Nous sommes en 1945. Mais comment diable s’y est-il pris pour attirer des noms aussi prestigieux que Petrus ou Trotanoy ? “Papa était un très bon dégustateur avec un excellent nez, poursuit Emmanuel Pirard. Et il a cultivé de bonnes relations humaines avec les vignerons. Dans les années 1960, il a été mis en contact avec des vignerons d’exception comme Gouges à Nuit-Saint-Georges, Rousseau à Gevrey-Chambertin ou la famille Muré en Alsace. Il était sérieux et fidèle. Et de fil en aiguille, cette confiance a été propagée par les uns et les autres.”

“Cela marche encore de cette façon aujourd’hui, renchérit Simon Pirard, l’homme de la troisième génération. Nous ne participons ni aux salons ni aux foires car chez nous, tout est question de relations humaines et de bouche à oreille. Les vignerons en renseignent d’autres. J’apprécie le vin des petits propriétaires récoltants car j’aime le contact. Petite maison ? Trois cents bouteilles payables un an à l’avance ? Pas de souci si c’est bon !”

Simon travaille désormais aux côtés de son père Emmanuel.
Simon travaille désormais aux côtés de son père Emmanuel.© frédéric Raevens

La Maison Pirard a pour politique de ne vendre que les vins qu’elle aime et ne propose qu’un seul vin par appellation sauf sur les grands crus du Bordelais. “Je suis incapable de vendre un vin que je n’aime pas, confie Emmanuel. C’est pour cela qu’il n’y a aucun vin du Jura dans notre catalogue. Pas plus que des australiens. Pendant longtemps, la Maison Pirard n’a pas eu de cava. Parce que j’ai longtemps pensé que c’était juste conçu pour écouler des mauvais vins blancs espagnols. Jusqu’au jour où nous sommes tombés sur une vraie pépite à prix raisonnable issue d’un domaine bâti pour le cava. Il y a d’autres appellations qui manquent sans que ce soit une question de goût, mais l’absence de la bonne rencontre. Le fait que nous travaillons avec de petits domaines ou avec des châteaux très connus qui nous donnent une petite allocation en exclusivité pour la Belgique conduit parfois à des ruptures de stock. Les clients doivent le comprendre, tout comme les restaurateurs.”

Les trésors du warrant

Autrefois, les entrepôts de Genappe abritaient une salle protégée par une grille en fer forgé, appelée le warrant. C’est là que Jacques Pirard entreposait les vins mis en garantie auprès des banques qui lui prêtaient de l’argent. De nos jours, le warrant existe toujours mais plus pour la même raison : on y enferme les crus les plus précieux de la maison.

Actuellement, la Maison Pirard emploie 12 personnes, vend environ 600.000 bouteilles par an pour un chiffre d’affaires qui approche les 4 millions d’euros hors TVA. La société est saine et, avec une belle solvabilité de 71 %, elle est très autonome dans ses décisions.

Pour poursuivre leur développement, les Vins Pirard disposent désormais de quatre magasins – Genappe, Grez-Doiceau, Rochefort et Gerpinnes – et d’un Corner Vins Pirard à Nivelles. Ces “espaces vins” proposent un éventail complet de services pour aider les clients à constituer leur cave ou réussir un bon accord mets-vins. A Genappe, Simon Pirard propose aussi des soirées d’initiation autour de la vigne et du vin. Les Vins Pirard furent aussi parmi les premiers en Belgique à lancer un site de vente par Internet.

Assez curieusement, le premier magasin, celui de Genappe, n’a vu le jour qu’en 1989. “Au tout début, mon père faisait des dégustations chez les particuliers, se rappelle Emmanuel. Parfois même, il recevait des clients dans notre salon. Il tenait beaucoup à cela. Avant l’ouverture du premier espace vin, nous envoyions un catalogue à nos clients et ils achetaient du vin par correspondance.” Acheter du vin par correspondance sans le goûter ? “D’abord, nous organisons chaque année en avril et octobre des portes ouvertes avec des vignerons présents, explique Simon. C’est l’occasion de faire des découvertes. Ensuite, notre politique est simple : si à la première bouteille, le client n’aime pas ce qu’il a acheté, je lui reprends le tout sans discuter.”

Outre la clientèle des particuliers, la gamme des Vins Pirard – qui contient tout de même quelques solides références comme Petrus, Talbot, Leoville-Barton, Chasse-Spleen en bordeaux ou les domaines Dancer, Rousseau et Amiot-Servelle en bourgogne – est bien représentée sur les bonnes tables belges. Singulièrement en Wallonie, à Bruxelles et à la côte. Les responsables des magasins font aussi de la prospective et assurent le suivi avec leurs clients professionnels. “Nous avons aussi un délégué qui travaille dans la région liégeoise, explique Simon Pirard. A Rochefort, l’espace vin est installé dans la brasserie Scaillet. Nous avons formé quelqu’un de chez eux. Enfin, à Ypres, nous avons un caviste qui a la même philosophie que nous. Et nous lui faisons confiance pour démarcher des professionnels en notre nom. C’est un concept que j’aimerais développer.”

Une activité d’embouteillage

Nonante-neuf pour cent des vins vendus par la Maison Pirard sont des mises en bouteille en château. Mais ce n’a pas toujours été le cas. Jusqu’au milieu des années 1960, elle embouteillait dans ses entrepôts des grands bordeaux et bourgogne. “Du La Fleur-Petrus ou du Trotanoy ont dormi dans nos cuves, explique Simon. Pierre Ramonet de Chassagne-Montrachet avait tellement confiance en mon grand-père qu’il lui permettait d’acheter son vin en vrac. Il faut savoir qu’autrefois, les mêmes personnes s’occupaient de l’embouteillage et du travail dans la vigne. Et pour ne pas perdre de temps, les domaines acceptaient de vendre le vin en barrique. C’est inimaginable aujourd’hui.”

Dans ses locaux de Genappe, les Vins Pirard ont pourtant une embouteilleuse de premier choix et des cuves faites sur mesure par la chaudronnerie Ortmans, une autre entreprise d’origine verviétoise. “Nous embouteillons encore trois ou quatre vins et quand c’est une mise en bouteille Pirard, je veux que tout soit nickel, conclut Emmanuel. Nous embouteillons le Fontanilles, un vin de pays du Languedoc-Roussillon. C’est notre vin, notre carte de visite et l’une de nos meilleures ventes.”

La Maison Pirard réalise occasionnellement de l’embouteillage à façon pour deux domaines wallons : le Ry d’Argent et le Domaine de Mellemont. Une activité artisanale qu’elle ne souhaite pas développer davantage mais qui prouve que chez les Pirard, on aime le vin de bien des manières.

Xavier Beghin

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