Sauces Didden, la tradition a du goût

En août 2017, la crise des oeufs contaminés au fipronil a fait tripler le prix du jaune d'oeuf. Sous contrat avec la plupart des clients, il n'a pas toujours été possible de répercuter le manque à gagner et Didden a accusé à peu près 500.000 euros de pertes. © Luc Viatour

C’est dans la maison molenbeekoise qui l’a vue naître que Michèle Didden, CEO de la maison éponyme, nous reçoit. Un marqueur fort pour celle qui perpétue sans relâche les recettes de son arrière-grand-père et de son père.

Sergent mécanicien attaché au service des pompiers chez Delhaize, Jean-François Didden lâche son emploi pour créer sa moutarderie-vinaigrerie en 1925. Les recettes sont élaborées rue De Koninck, à Bruxelles, puis vendues alors en porte-à-porte, avec leur cheval, remplacé quelques années après par une camionnette. Les affaires grandissent grâce, notamment – une pratique révolutionnaire à l’époque -, à des promotions régulières.

Avec ses fils Théodore et François, il diversifie ses activités en produisant petits oignons, câpres et cornichons en bocaux. La Seconde Guerre mondiale porte un coup fatal à la famille : Jean-François Didden et François y perdent la vie, laissant Théodore seul maître à bord, suivi de son fils Pierre, le père de Michèle Didden. “Mon père a dirigé la société dès ses 18 ans, sa mère est venue l’aider… Tout a fonctionné au ralenti pendant la guerre mais ils ont tenu bon”, raconte Michèle.

Années 1950, années dorées

“Passionné par la société et fin gastronome, mon père voulait absolument créer une mayonnaise. Il était très exigeant concernant les saveurs et a fait de multiples essais dans la cuisine familiale avant d’arriver à satisfaction… au grand dam de ma mère !”

Mû par le goût du challenge, sa créativité et ses nombreux contacts avec les grands acteurs du marché de la distribution de l’époque, c’est lui qui donne l’impulsion nécessaire pour passer de la petite structure familiale au statut d’acteur incontournable du secteur.

En 1950 notamment, il lance sa fameuse Mayonnaise Grand-Mère, l’un des best-sellers de la maison depuis lors. “Nous avons gardé la recette originale : elle est encore réalisée au batteur avec 80% d’huile de colza riche en oméga-3 et 11% de jaunes d’oeufs, alors que nos concurrents n’en mettent que 5%.”

Au moment de l’Expo 1958, les sauces Didden déclinent leur mayonnaise en sauces émulsifiées : béarnaise, andalouse et tartare. Suivies par un piccalilli, riche en gros morceaux de chou-fleur, leur produit-phare en termes de volume, vendu notamment chez Colruyt. “Le fait de ne jamais faire l’impasse sur la qualité des ingrédients et leurs proportions généreuses dans nos recettes est inscrit dans notre ADN. Même en cas de crise ou en période difficile, nous n’avons jamais dérogé à cette règle”, appuie Michèle Didden.

Années 1980-1990, créativité et diversification

Didden produit alors des salades prêtes à l’emploi, abandonnées depuis l’an dernier, mais aussi deux gammes qui représentent encore aujourd’hui de belles parts de marché. Les sauces bolognaises tout d’abord, que la maison confectionne suivant le cahier des charges de trois grosses enseignes – Colruyt, Carrefour et Delhaize – qui les vendent ensuite sous leur nom. Ces recettes (la bolo, mais également d’autres) conçues pour les marques propres des supermarchés représentent 50 % du CA total de Didden.

Michèle Didden:
Michèle Didden: “On dit souvent que la 1re génération crée la société, la 2e la développe et la 3e ou la 4e la fait péricliter. Je ne veux pas être cette génération-là. C’est mon objectif personnel : développer ce que j’ai reçu.”© Luc Viatour

D’autre part, les confits sont des produits que Michèle Didden ne cesse de développer. Des quatre références lancées en 1990 (oignons, oignons ardennais, airelles et figues), on est passé à 17 aujourd’hui, avec des parfums modernes (mangue-gingembre, pomme-poire-cannelle ou encore ananas-cardamome). Michèle Didden, qui a rejoint la société en 1987, s’anime : “les confits représentent bien Didden, car ils permettent à tout un chacun d’améliorer son quotidien en quelques secondes. Donner le sourire à table, alléger la tâche de celle ou celui qui cuisine au quotidien, partager du plaisir. Avec toujours cette exigence sur la qualité des ingrédients, toujours naturels chez nous, et sur la qualité gustative. De ce point de vue-là, je suis comme mon père !” Pourtant, rien ne la prédestinait à devenir CEO de la société fondée par son arrière-grand-père…

“Tu verras, ça deviendra une passion !”

Poussée par ses parents à suivre des études pour devenir financièrement indépendante, Michèle Didden, jeune opticienne-optométriste, ne pense pas une seconde à rejoindre l’affaire familiale. Ses parents ne lui en parlent d’ailleurs même pas, même si “dans son for intérieur, mon père y pensait probablement. D’autant que j’étais fille unique”.

En 1987, il lui propose de le rejoindre, d’abord à mi-temps. “Un moment difficile, confie-t-elle. On me donnait des piles de factures à trier sans rien m’expliquer, on m’envoyait discuter avec des bouchers, on me demandait de laver les seaux en usine. Ça ne me plaisait pas du tout ! Mon père m’a dit : ‘Ça ne te plaît peut-être pas aujourd’hui mais tu verras, ça deviendra une passion!’ Je n’étais vraiment pas convaincue, d’autant que je ne voyais pas à quoi je servais, ma formation n’apportait rien. J’ai donc suivi des cours de comptabilité, puis de management le soir à Saint-Louis. Et il avait raison : miraculeusement, la passion est née ! Et au fil des années, elle a grandi. Je me suis mis pas mal de pression aussi, car si l’on dit souvent que la 1re génération crée la société, la 2e la développe et la 3e la fait péricliter. Moi je ne voulais vraiment pas être cette génération-là. C’était mon objectif personnel : développer ce que j’avais reçu.”

Lorsque son père décède en 1996, Michèle a 36 ans et gère l’affaire en tandem avec son cousin jusqu’en 2006, où elle lui rachète ses parts et devient CEO. Son époux, également actif dans l’alimentaire, est administrateur de Didden et l’épaule dans les décisions stratégiques à moyen et court termes. “Tout me plaît dans ce job : développer, positionner, trouver les clients, fédérer l’équipe, sentir qu’ils m’accompagnent dans le développement, sentir le côté soudé de ces gens qui travaillent dans le même sens que moi, ça me tient très à coeur.”

Développements et vision selon Michèle Didden

Depuis qu’elle a pris les rênes de la société, Michèle Didden y a incarné ses valeurs de différentes façons. Les confits tout d’abord, puis de nouveaux formats aussi, dont le Doypack (sachet plastique dont le contenu peut être chauffé), une version plus gastronomique des sauces émulsifiées et aux ingrédients plus nobles (beurre, crème, vin blanc).

2017, année difficile ... Le volume est une chose, la marge en est une autre. Dans ce secteur, deux paramètres peuvent l'impacter : le prix du marché de l'huile et des jaunes d'oeufs et les crises sanitaires.
2017, année difficile … Le volume est une chose, la marge en est une autre. Dans ce secteur, deux paramètres peuvent l’impacter : le prix du marché de l’huile et des jaunes d’oeufs et les crises sanitaires. © Luc Viatour

Sous son impulsion, un export manager rejoint l’équipe en 2012 et porte le CA réalisé à l’étranger à 11 %. “Nous vendons aujourd’hui en Tchécoslovaquie, en Norvège, aux Pays-Bas, en Allemagne, etc.” Elle change aussi le logo, anciennement rouge et en lettres rondes, pour de belles lettres en majuscules, chic et sobres, afin que l’image de Didden soit le reflet de sa vision de la société, davantage premium. C’est aussi à ce moment-là, en 2011, que la société rejoint les réseaux sociaux avec un objectif très clair : fédérer autour de la marque une communauté d’ambassadeurs engagés.

“Nous sommes résolument tournés vers le client et très réactifs à ses attentes, notre petite structure (35 à 45 personnes, tous services confondus, Ndlr) nous le permet. Interagir avec nos consommateurs sur notre page Facebook est très instructif : ils nous disent ce qu’ils aimeraient tester comme saveurs, partagent des idées de recettes à faire avec les confits. Via le circuit de distribution classique, il y a toujours des intermédiaires entre une marque et ses clients. C’est dans cette même dynamique que nous testons actuellement les services d’Amazon France, avec une box exclusive proposant par exemple une sélection de confits et une petite terrine de foie gras local (Ferme de la Sauvenière, province de Namur, Ndlr). Ce système n’entre pas en concurrence avec nos distributeurs puisque le coffret propose un assortiment que l’on ne trouve pas dans le commerce. Ce qui est très instructif avec ce système, c’est que les clients envoient leurs réactions et commentaires quasi en instantané.”

Une stratégie de diversification raisonnée, qui ne suit pas les sirènes du numérique à tout-va et respecte les collaborations déjà engagées de longue date.

Anne Boulord

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