Pourquoi les bières Jupiler et Leffe sont-elles plus chères en Belgique ?

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Le Belge paie trop pour sa Jupiler et sa Leffe. C’est ce qu’estime la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager. AB InBev fait un usage abusif de sa position en Belgique, car ces marques de bière sont moins chères dans les pays voisins. Le marché belge de la bière n’est pourtant pas une mine d’or pour le plus grand brasseur du monde.

Si AB InBev rendait l’importation parallèle possible à partir de la France (Leffe) et des Pays-Bas (Jupiler), la bière serait moins chère chez nous. Mais le brasseur empêche cela. En France, les emballages sont uniquement en français. Aux Pays-Bas, uniquement en néerlandais. Les chaînes de supermarché néerlandaises n’ont, en outre, pas l’autorisation de vendre leur Jupiler en promotion aux mêmes conditions en Belgique. C’est la conclusion temporaire de la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager. Le brasseur a, à présent, le droit de se défendre devant la Commission européenne.

Jupiler, championne du monde en Belgique

AB InBev contrôle environ 55% du marché belge de la bière. Aux Pays-Bas, Heineken détient la moitié du marché de la bière. En France, deux acteurs dominent : Heineken (32%) et Carlsberg (30%).

Les brasseurs ont une peur bleue que leurs bières deviennent bon marché, particulièrement si celles-ci ont acquis une certaine notoriété de la marque. Car cela détériore la qualité de la marque.

La marque Jupiler a incontestablement une position très solide en Belgique : la pils favorite des Belges représente une part de marché de plus de 40% (sur une consommation de bière de 7,7 millions d’hectolitres en 2016). Jusqu’en 2015, Jupiler était l’une des ‘one billion dollar brands’ d’AB InBev. Jupiler figurait en place numéro 19 dans le classement des marques atteignant plus de 1 milliard de chiffres d’affaires dans la vente au détail. C’est sur base du prix que le consommateur paie, donc pas sur ce que gagne le brasseur. C’est une performance remarquable pour une pils ayant un volume relativement faible, qui n’est en outre vendue que dans quelques pays. Surtout en Belgique et dans les pays voisins : France, Luxembourg et Pays-Bas.

Dans cette liste des ‘one billion dollar brands’, on trouve surtout des grandes marques internationales des grands pays de la bière comme Budweiser et Bud Light (Etats-Unis), Corona (Mexique), ou les leaders du marché brésilien Antarctica, Brahma et Skol. Une autre bière belge se trouve encore sur la liste : Stella Artois. Ce n’est pas tellement grâce aux ventes en Belgique, mais bien grâce à son positionnement international en tant que pils de luxe. Stella Artois est vendue dans 90 pays. Les plus importants consommateurs de Stella sont le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Seulement alors vient la Belgique.

La Belgique n’est plus une machine à profit

Jupiler fait-elle, dès lors, de la Belgique un territoire conquis pour AB InBev ? La réponse est non. Les chiffres des bénéfices réels sont occultés dans le bilan de la SA InBev Belgium (dans lequel se trouve aussi le bénéfice des exportations en forte augmentation et vendues à prix élevé de Stella Artois par exemple). Mais un bon indicateur est l’évolution du chiffre d’affaires des ventes de bière en Belgique. En 2009, celui-ci s’élevait encore à 776 millions d’euros. En 2015, ce chiffre avait diminué à 708 millions d’euros et la diminution s’est poursuivie en 2016. Au cours de la même période, la baisse du volume a certes été plus forte (-16%) que la chute du chiffre d’affaires (-9%). Grâce à sa politique de marques fortes, AB InBev est à même d’adoucir l’érosion des prix. Ou encore : grâce à sa position dominante, le leader du marché est moins gêné par la pression des prix à la baisse.

Le positionnement d’une marque diffère donc fort d’un pays à l’autre. Ce qui a également une incidence sur le prix.

Un autre indicateur est l’ebitda (le bénéfice des activités opérationnelles) d’AB InBev. Pour l’ensemble de la zone euro (surtout le Benelux, l’Allemagne, la France et l’Italie), celui-ci ne s’élevait plus qu’à 2,5% de l’ensemble de l’ebitda consolidé, soit 419 millions de dollars, au cours du premier semestre de 2017. La zone euro se situe à cet égard en onzième position. Chez AB InBev, les réels faiseurs de bénéfices sont les Etats-Unis, le Brésil, la Chine, le Mexique, l’Afrique du Sud ou la Colombie. AB InBev détient 90% de part de marché en Afrique du Sud et 98% en Colombie. C’est quasi un monopole. Avec des autorités chargées de la concurrence fonctionnant hélas particulièrement mal.

Les chaînes de magasins ont le pouvoir

Les autorités européennes de la concurrence montrent néanmoins les crocs. Mais est-ce vraiment tellement étrange que Jupiler soit plus chère dans son propre pays qu’aux Pays-Bas ? La pils est devenue la plus populaire de Belgique grâce à un positionnement fort et cumulé depuis 1966. Aux Pays-Bas, Jupiler est relativement nouvelle. La Jupiler ne prospère chez nos voisins du nord que depuis le tournant du millénaire. La vente y est surtout axée sur le volume : de 84.000 hectolitres en 2002 à 720.000 hectolitres en 2015. Jupiler est le charmant challenger, car belge. Or, c’est également la raison pour laquelle les prix n’y sont pas encore élevés. Jupiler a une part de marché de seulement 6,5% aux Pays-Bas. La puissance des chaînes de magasins sur le marché est en outre encore plus forte aux Pays-Bas qu’en Belgique. Ce qui étonnera peut-être après la dispute entre Colruyt et PepsiCo au cours de ces dernières semaines. Mais le leader du marché Heineken se plaint également sans cesse de la guerre des prix dans les chaînes de magasins néerlandaises.

En France aussi, les chaînes de magasins ont davantage de pouvoir de marché qu’en Belgique. Et là aussi, la bière d’abbaye Leffe a une croissance très orientée volume. Nos voisins du sud sont les plus grands buveurs de Leffe du monde, avec une consommation de 1,35 million d’hectolitres en 2015 (contre un peu plus d’un demi-million d’hectolitres en 2006). AB InBev reste pourtant un acteur relativement modeste en France, avec moins d’un dixième de part de marché. Ce marché est dominé par Carlsberg (le propriétaire de Kronenbourg) et Heineken. En outre, le brasseur ne gagne pas vraiment beaucoup sur les marques payées souvent cher par le consommateur.

Duvel, un autre produit belge qui connaît un franc succès en France, y est par exemple vendu à 6 euros dans l’horeca. “Mais les marges sont surtout réalisées par les distributeurs en boissons et les patrons de café, et non par les brasseurs”, considère Patrick Grevendonk, directeur de Duvel Moortgat France. “Pour l’horeca, nous vendons la petite bouteille à 1 euro. Le distributeur de bière vend celle-ci à 1,8 euro. Et le patron de café en demande 6 euros. Les prix de vente du brasseur sont donc les mêmes qu’en Belgique. Mais la marge pour le marchand de bière et le patron de café est beaucoup plus élevée en France. Nous aimerions positionner la Duvel à un prix inférieur sur le marché en France.”

La bière bon marché, c’est de la bière de moindre qualité

Le positionnement d’une marque diffère donc fortement d’un pays à l’autre. Ce qui a aussi un impact sur le prix. Heineken est leader du marché en France, avec la pils du même nom, où elle se positionne comme pils de luxe. Aux Pays-Pas, la marque est vendue comme une pils ‘ordinaire’. Que se passerait-il par exemple si un détaillant français achetait du jour au lendemain des Heineken à un prix inférieur aux Pays-Bas et les revendait ensuite en France ? Les brasseurs ont une peur bleue que leurs bières deviennent bon marché, particulièrement si ces marques de bière ont acquis une certaine notoriété. Car cela détériore la qualité de la marque. Cela ne fait aucunement augmenter la consommation de bière. En Allemagne, une guerre des prix fait déjà fureur depuis des années, mais la consommation de bière continue à diminuer.

De nombreuses études mettent en évidence qu’au plus un produit est évalué cher par le consommateur, au plus ce dernier le trouve meilleur. Une légendaire étude américaine a mis un panel de dégustation en situation, où une même bière avait été mise dans différents emballages : de bon marché à exclusif. Le panel de dégustation a davantage apprécié la pils dont le conditionnement était exclusif et le prix plus élevé, bien qu’il s’agissait dès lors de la même bière.

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