Léon et Nathalie Didden, marchands de tapis de père en fille

Nathalie et Léon Didden : Notre business est construit sur les relations privilégiées avec les clients. Aujourd'hui, nous recevons leurs enfants et petits-enfants, on suit les déménagements au gré des divorces, nous entrons vraiment dans leur intimité. © Luc Viatour

Hyperactifs, animés par la fibre commerciale et le goût des voyages, ex-mauvais élèves… Ces deux-là sont comme l’original et sa photocopie. Si le père a transmis ses gènes à sa fille unique, il la laisse faire évoluer l’image et le positionnement de Didden&Co seule, et se consacre aux voyages chez les fournisseurs et les clients.

Léon Didden le reconnaît volontiers, il était très mauvais élève. “Mes frères et moi allions dans un collège privé bruxellois très strict. Moi, je n’avais pas envie d’étudier. Ce qui m’intéressait, c’était de gagner de l’argent : mes frères et moi avions une superbe collection de BD… que je louais à mes camarades d’école ! Et j’avais la bougeotte : à 16 ans je suis parti en mobylette pour Istanbul, qui s’appelait encore Constantinople, et je me suis arrêté à Paris (rires). A 18 ans rebelote, je me suis engagé dans les paras sans rien dire à personne.”

Nathalie, exclue de l’école en cinquième, commence à travailler comme vendeuse et hôtesse. “J’ai vendu des vêtements dans une boutique où j’avais un pourcentage sur les ventes. Je gagnais bien ma vie. J’ai aussi été hôtesse en supermarchés pour vanter des boissons, j’ai remis des trophées à des footballeurs… Je me suis retrouvée dans des endroits improbables, mais c’était super formateur. Et à chaque fois que j’avais gagné un peu de sous, je faisais des voyages avec mon futur mari, que j’ai rencontré très jeune.”

Les années 1960, années dorées

Excédé, le père de Léon Didden l’envoie en apprentissage chez Monsieur Nadjarian, “un homme élégant, érudit, parlant cinq langues, voyageant et aimant les tapis. Il importait des tapis d’Orient que j’ai commencé à aimer comme on aime les beaux tableaux. Très vite, une usine qui voulait ouvrir des magasins m’a appelé. J’avais 19 ans et suis devenu directeur général, je gérais 19 points de vente. Mais l’envie de voyager était toujours là. J’ai créé ma société en 1965 et je suis parti à New York pour créer des contacts. J’ai vendu pour 80 millions de francs belges par an aux Américains. Puis j’ai eu envie de rouvrir des magasins : j’en ai racheté un avenue Houba de Strooper à Laeken, et assez vite un autre chaussée d’Ixelles dont j’ai multiplié le chiffre d’affaires par cinq en six mois. Cela marchait à crever. Les plus beaux tapis de Bruxelles étaient chez moi. Comme j’allais souvent à Knokke, j’y ai aussi ouvert une boutique. Nous avions donc trois magasins en même temps et c’était infernal ! Je courais à droite à gauche, je passais ma vie à régler les problèmes de personnel, et j’en avais marre d’être enfermé.”

Jetée dans le bain du jour au lendemain

C’est dans les Marolles qu’une énième opportunité d’emplacement commercial se présente : Léon achète sans hésiter mais ne sait pas qui nommer responsable.

“Mon père m’y a donné rendez-vous sans me dire pourquoi et m’a dit : ‘Voilà, j’ai repris, il faut que tu viennes !’, se souvient Nathalie Didden. A l’époque je travaillais chez le bijoutier-horloger Tollet, où j’étais très bien. Mon père m’a jetée du jour au lendemain dans la boutique et j’ai tout changé : on y trouvait beaucoup de tapis mécaniques, de tapis bouclettes… Tout ce que je déteste !”

“J’ai donné 2,5 millions de francs belges de capital à Nathalie, précise Léon Didden, et le premier mois, nous avons engrangé 100.000, puis 200.000, 400.000 francs, et je ne me suis plus jamais occupé de ce magasin. Moi je suis un commerçant, pas un homme d’affaires : je ne demande jamais mon chiffre d’affaires. Du moment qu’on peut payer les factures, c’est bon.”

Nathalie Didden : Le fait d'être un fils ou une fille à papa est mal vu, mais ce n'est pas un handicap, c'est une chance!
Nathalie Didden : Le fait d’être un fils ou une fille à papa est mal vu, mais ce n’est pas un handicap, c’est une chance!© Luc Viatour

Les autres magasins sont fermés du jour au lendemain. “La gestion quotidienne était éreintante, confie Nathalie Didden. Avoir une chaîne de 30 boutiques avec des franchisés et une DRH aurait été plus facile, mais ce n’est pas le même métier. Notre business est construit sur les relations privilégiées avec les clients. Aujourd’hui, nous recevons leurs enfants et petits-enfants, on suit les déménagements au gré des mariages, des divorces, nous entrons vraiment dans leur intimité. Ce n’est pas anodin et c’est une histoire extraordinaire.”

Le tandem père/fille: plus forts à deux

Léon Didden continue à voyager (il est l’un des fondateurs de l’association Aviation Sans Frontières et pilote toujours) pour ses loisirs, la prospection de nouveaux fournisseurs ou de machines innovantes, l’équipement de villas et grands hôtels à l’étranger. Mais les fournisseurs, c’est ensemble qu’ils les visitent. “En tant que femme, en Chine, en Inde ou au Népal, on ne m’adresserait même pas la parole si j’y allais seule, confie Nathalie Didden. Même en Europe, quand j’arrivais dans les usines il y a quelques années, on me regardait comme la fille du patron qui n’y connaît rien, on me demandait même d’apporter le café ! On nous respecte aussi parce que nous ne sommes pas des investisseurs, c’est notre nom qui est sur la devanture : si on se plante c’est nous qui nous plantons. Papa c’est la caution, l’expérience, les réseaux. C’est une sommité dans le métier et son expertise est vraiment précieuse. En Orient, il y a une technique pour vieillir artificiellement les tapis, lui il voit ça au premier coup d’oeil. En deux minutes c’est démasqué.”

Travailler en famille, loin d’être un frein, s’impose comme une grande force. “Etre un fils ou une fille à papa, c’est mal vu mais ce n’est pas un handicap, c’est une chance!, ajoute-t-elle. Une famille qui s’entend bien c’est génial. Les seules personnes à qui tu peux faire confiance à vie en affaires, ce sont tes parents, tes frères et soeurs.”

En route vers la dématérialisation ?

Didden&Co entame un tournant : sa force est la fidélité de sa clientèle, le bouche à oreille qui fonctionne jusqu’à l’étranger et un sens de l’éthique chevillé au corps qui lui a permis de traverser plusieurs crises économiques.

Sa préoccupation : le magasin de 600 mètres carrés, qui génère de lourdes charges et dont la fréquentation s’est effondrée depuis les attentats de 2015 (- 341.800 euros de chiffre d’affaires en deux ans).

Un défi que Nathalie aborde avec sérénité. “La plupart des clients ne se déplacent plus, déclare-t-elle. Ils téléphonent, nous envoient une vidéo de leur intérieur, font une présélection sur le webshop, puis j’embarque des échantillons et je vais chez eux. Le gros avantage aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux que je gère moi-même et qui font exploser les frontières. Je réalise d’ailleurs des ventes uniquement grâce à Instagram. En 2018, je vais aussi diffuser des capsules vidéo sur les réseaux sociaux, notamment pour toucher la nouvelle génération qui ne nous connaît pas forcément. Nous allons sans doute aussi faire quelques pop-up stores pour tester d’autres régions, la côte, Anvers,

Waterloo… Je nous vois très bien évoluer dans ce sens-là, avec un bureau de création, un mini show-room, des pop-up, des réseaux sociaux renforcés, des clients à l’international et une grande mobilité pour moi. Cela colle à l’air du temps, et à ma personnalité !”

Anne Boulord

Entre glamour et “charity business”

Nathalie Didden fait le grand écart : depuis des années, elle lance des collections “capsules” avec des créateurs tels que Benjamin Spark, Edouard Vermeulen, Carine Gilson, Bouzouk ou l’artiste californienne Laurie Raskin.

Cela lui permet d’attirer régulièrement l’intérêt des médias sur des projets glamours, mais elle fournit également des collectivités sans en faire la publicité. Comme cette école qui accueille des enfants handicapés moteur et physique qu’elle a équipée d’un revêtement de sol hyper technique, résistant, en matières naturelles, sur lequel elle n’a quasi pas pris de marge.

Didden & Co, 66 rue Blaes, 1000 Bruxelles, www.diddenco.com

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