Le déclin des grandes familles bruxelloises

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Les familles qui ont marqué l’histoire de la capitale ont presque toutes disparu du paysage bruxellois. Du moins les plus influentes. Le plus souvent, leurs héritiers n’ont pas été à la hauteur. Ce qui a permis aux politiques et à quelques entrepreneurs de prendre la main.

“Le concept des grandes familles est dépassé à Bruxelles. La plupart ne vivent plus dans la capitale et n’y ont même plus d’activité économique. Bref, elles n’existent pratiquement plus.” L’avis d’Alain Deneef est tranché. Mais le patron de Brussels Metropolitan est loin d’être le seul à penser que l’époque où quelques familles bruxelloises faisaient la pluie et le beau temps dans la capitale est révolue.

“Au sein des dix-neuf communes, les grandes fortunes ont toutes disparu, ajoute l’historien Michel Dumoulin. C’est principalement lié à la vague de cessions d’entreprises familiales à de grands groupes étrangers. Cela ne signifie pas que ces familles se sont appauvries, mais il n’est plus certain qu’on puisse encore les intégrer dans le cercle des familles bruxelloises. Elles ont mis le cap vers d’autres régions comme le Brabant wallon, la Flandre ou se sont expatriées.”

Vaxelaire, Stoclet, Wielemans, De Pauw, De Clercq, Brugmann… Autant de noms qui ne disent absolument rien à la jeune génération. Toutes ces familles qui ont forgé leur fortune au XIXe et XXe siècle par le biais d’activités industrielles et/ou financières ont pratiquement disparu de la circulation. Du moins dans les cercles d’influence. Seules quelques-unes, telles que les le Hodey/Copée, de Launoit ou D’Ieteren parviennent encore à faire entendre leur voix.

A leur décharge, il faut dire que la société a évolué. De même que la manière d’influer sur la vie économique et politique. “Il faut nuancer la perte de pouvoir, précise Michel Dumoulin. Car elle est parfois inévitable. Le pouvoir économique connaît une érosion inéluctable au fil du temps, le pouvoir social peut jouer un rôle important pendant un certain temps quand on occupe une place en vue sur la scène du mécénat ou artistique alors que, au rayon politique, les grandes fortunes ne siègent plus à la Chambre ou au Sénat. Au final, cette influence peut être très volatile.”

Un autre élément a également joué un rôle inévitable dans ce déclin : le fait de ne plus pouvoir investir dans les campagnes en soutenant tel ou tel parti, pour cause de nouvelle législation sur le financement électoral. Jusqu’il n’y a pas si longtemps, il s’agissait d’une voie privilégiée pour exercer leur influence.

“Le piétonnier n’aurait même pas été envisagé”

Bruxelles connaît donc aujourd’hui une situation particulière. L’influence y est beaucoup plus fluctuante et dépend davantage de la personnalité de l’un ou l’autre membre d’une grande famille. Et si les héritiers ne sont pas à la hauteur, ce qui a souvent été le cas, la capacité de persuasion s’envole aussitôt. “Le pouvoir réel se joue en coulisses, lance Alain Finet, professeur de management à l’Université de Mons. Mais mesurer l’impact de ces relais est très compliqué. Les familles les plus influentes sont souvent les plus discrètes.”

Parmi les familles qui ont encore un peu d’influence, les D’Ieteren parviennent à bien placer leurs pions. La Febiac, la fédération belge de l’automobile, est par exemple une de leurs chasses gardées. Thierry van Kan, ancien CEO de D’Ieteren, la préside (son prédécesseur Pierre-Alain De Smedt était issu de la même veine) et il se dit qu’une décision contraire aux intérêts de la marque passe rarement la rampe.

Reste qu’il ne faut pas se voiler la face, les grandes familles flamandes comme les Van Thillo ou les De Nolf, actifs dans les médias, ont aujourd’hui beaucoup plus de poids sur l’économie belge que les familles bruxelloises . “Une preuve du déclin des grandes familles bruxelloises est la récente décision du bourgmestre de Bruxelles-Ville, Yvan Mayeur (PS), de mettre une partie des grands boulevards du centre de la capitale en piétonnier, fait remarquer l’homme d’affaires John-Alexander Bogaerts, qui dirige notamment le cercle d’affaires B19 Country Club, à Uccle. Jamais cette idée n’aurait été envisagée à l’époque des De Pauw et De Clercq, familles qui possédaient d’importants parkings dans le centre, notamment à travers Interparking. Ces grandes familles seraient intervenues pour dire que c’était inenvisageable ! Si aujourd’hui, la décision a été facilement avalisée, c’est qu’à Bruxelles, le politique a pris le pas sur les grandes familles.”

Le mécénat, affaire d’individus

Autre domaine qui a perdu de sa superbe : le mécénat. Les grandes familles y étaient très présentes. Ce n’est plus cas, à l’une ou l’autre exception près. “Le mécénat est aujourd’hui l’oeuvre de certaines personnalités individuelles”, remarque Jean-Paul Collette, responsable de la communication à la Fondation Roi Baudouin. Michel Dumoulin ajoute : “Le mécénat servait et sert encore à assurer le salut de celles et ceux qui ont accumulé de grandes fortunes. Les de Launoit sont encore très présents dans le domaine artistique, la famille Empain a été très active, de même qu’Emile Francqui (ancien gouverneur de la Société Générale de Belgique) qui a créé la Fondation éponyme ou encore Ernest Solvay avec l’Institut Solvay à l’ULB.”

Des poches d’influence qui résistent, mais restent marginales. Car les grandes familles, confrontées au développement du capitalisme et de la globalisation, ont passé la main depuis bien longtemps. Leur influence et leur pouvoir s’écrivent maintenant dans les livres d’histoire.

Dossier spécial coordonné par Philippe Berkenbaum, avec Xavier Attout, Mélanie Geelkens, Rafal Naczyk et Marie-Eve Rebts

>>> Le portrait des familles influentes d’hier et d’aujourd’hui, dans Le Vif/L’Express de cette semaine et son dossier “Spécial Bruxelles”

L’intégralité du dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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