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Et si l’euro voyait double …

Si aucune tentative pour trouver une variable d’ajustement entre les pays de la zone euro n’aboutit, il faudra s’en remettre à la variable d’ajustement par excellence, à savoir les taux de change. Mais cela n’implique pas nécessairement une sortie de l’un ou l’autre Etat de la zone euro. Des solutions hybrides sont souvent avancées : un euro à deux vitesses, une sortie temporaire de la zone, etc. Essayons de débroussailler le terrain de ces idées.

L’euro se sépare…

Il faut dans un premier temps, je pense, distinguer les solutions qui impliquent une séparation de l’euro en plusieurs devises de celles qui maintiennent l’existence de la monnaie unique. Le premier cas doit être considéré comme un point de non-retour et une situation instable. En effet, un pays qui sortirait de la zone euro prendrait une autre direction économique que celle du projet européen, et n’y rentrerait plus. Créer un euro à deux vitesses, celui du c£ur et celui de la périphérie, n’aurait également aucun sens. Quel serait l’intérêt pour la Grèce ou le Portugal de fixer son taux de change à celui de l’Italie ? Si ces pays doivent se séparer du c£ur de la zone euro, autant reprendre leur pleine souveraineté sur leur monnaie en ayant leur propre devise. Enfin, un tel scénario resterait instable pour les pays qui restent dans la zone euro. Il y aura toujours un “plus faible” dans la zone euro dont l’adhésion sera remise en cause, du moins aussi longtemps qu’aucune variable d’ajustement n’est introduite.

… ou se double de monnaies locales

Les solutions hybrides impliquant le maintien de l’euro pourraient être explorées mais sont délicates à mettre en £uvre. Imaginons par exemple le système suivant : chaque pays garderait la monnaie unique comme devise principale. Cela permettrait de profiter de l’absence de risque de change sur l’ensemble des transactions commerciales et financières entre les pays de la zone euro. Néanmoins, chaque Etat pourrait choisir d’introduire si nécessaire, via sa banque centrale nationale et après l’accord des dirigeants européens, une monnaie nationale. Concrètement, la BCE agirait comme une sorte de FMI européen, octroyant l’autorisation (une sorte de droit de tirage spécial) à la banque centrale nationale d’acheter de la dette souveraine en émettant de la devise locale. Celle-ci serait alors utilisée par l’Etat pour couvrir ses dépenses intérieures (paiement des fonctionnaires, des pensions, des soins de santé,…) mais pourrait aussi être utilisée par les entreprises. A la différence d’une monétisation directe de la dette en euro, le passage par une devise locale permettra à celle-ci de jouer le rôle de variable d’ajustement : soit en dévaluant cette devise périodiquement par rapport à l’euro, soit en laissant la devise se déprécier librement sur un marché des changes ad hoc. Ceci n’est pas une recette miracle, mais un subterfuge pour créer une diminution réelle des salaires par la dépréciation de la devise, et donc un regain de compétitivité. Certes, cela correspond à une perte de pouvoir d’achat pour les ménages de ces pays, mais malheureusement, mis à part un subside permanent à ceux-ci, toute autre solution – en ce compris la sortie pure et simple de la zone euro – implique un effet similaire. L’effet de cette perte de pouvoir d’achat pourra néanmoins être légèrement compensé par le fait que la monnaie locale pourrait développer la production locale, sachant que les produits importés se paieraient en euro et les produits locaux en monnaie locale.

Mais une telle solution, assez simple en apparence, soulève aussi de très nombreuses questions qui la rendent in fine particulièrement complexe et incertaine : quid des banques ? Peuvent-elles accorder des prêts en monnaie locale ? Comment faire accepter une telle monnaie ? Mais surtout, un tel système est-il stable ? La crainte d’une dévaluation future de la devise locale risque de créer une défiance envers celle-ci, et donc une discrimination envers les personnes qui n’ont d’autre choix que de payer dans cette devise. En d’autres termes, un tel système serait d’autant moins indolore pour les ménages qu’il serait accepté par le plus grand nombre. C’est une preuve supplémentaire que nos systèmes monétaires sont fondés sur un principe unique : la confiance que chaque citoyen a dans le moyen de paiement qu’il utilise. Toutes ces incertitudes et ces questions appellent donc à se poser la plus fondamentale d’entre elles : veut-on encore vivre ensemble dans une zone monétaire unie ?

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