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Environnement : le marché, antidote au marché ?

La dégradation de l’environnement peut être vue comme un échec des marchés : l’atmosphère terrestre est un bien collectif et est dès lors utilisée gratuitement par les agents économiques…

La dégradation de l’environnement peut être vue comme un échec des marchés : l’atmosphère terrestre est un bien collectif et est dès lors utilisée gratuitement par les agents économiques. Ce faisant, ceux-ci génèrent des externalités négatives, comme la pollution : ses coûts sont bien réels pour la collectivité mais ne sont pas intégrés par les agents dans leurs calculs économiques individuels. Cela mène inévitablement à une allocation non optimale des biens collectifs, bref à leur gaspillage.

Pour pallier une approche réglementaire souvent jugée inefficace, la création de marchés de “droit à polluer” est un instrument jugé”efficace” par les économistes : il permet de minimiser les coûts totaux de la dépollution. Le mécanisme est simple en théorie : on distribue à des agents économiques polluants la quantité de droits de polluer correspondant à un objectif global de dépollution. Les agents économiques qui reçoivent ces droits de polluer échangeables bénéficient d’une flexibilité dans la mesure où ils peuvent décider soit d’investir dans une technologie moins polluante et dès lors vendre leur surplus de “droits” à d’autres exploitants demandeurs, soit d’acheter à d’autres exploitants des droits supplémentaires car cela leur revient moins cher que d’effectuer les investissements nécessaires à une technologie moins polluante. Cela induit les agents à comparer le prix de ces droits et le coût marginal de dépollution de leurs systèmes de production ; ce faisant, ils internalisent les externalités négatives dans leurs calculs.

Les coûts de dépollution augmentent exponentiellement

La mise en place de tels marchés se heurte pourtant dans la pratique à de vives controverses, qui opposent les uns et les autres sur la base de considérations relatives à ce qui est souhaitable, juste ou équitable. Lors de notre dernier séminaire, nous avons abordé ces questions avec Arnaud Van Waeyenberge, chercheur au Centre Perelman de philosophie du droit de l’ULB.

La question de l’équité dans l’organisation de ces marchés est évidemment centrale et se pose à différents niveaux : entre les pays développés, grands pollueurs, et les pays “en développement”, en passe de le devenir ; entre les grandes entreprises et les PME ; et bien sûr, entre les générations actuelles et futures. La difficulté de s’entendre, à l’échelon mondial, sur un partage initial des efforts et sur les “règles du jeu” explique en grande partie la lenteur avec laquelle ces marchés se mettent en place de façon intégrée et pourquoi leur impact est encore loin des objectifs poursuivis en termes de dépollution. Malheureusement, les coûts totaux que devra supporter la collectivité mondiale pour revenir à des niveaux d’émissions compatibles avec la survie de l’humanité augmentent de façon exponentielle à mesure du temps qui passe.

Au-delà des questions d’équité, la création de ces nouveaux marchés suscite un affrontement idéologique concernant les rôles respectifs du “marché” et de l’autorité publique. Van Waeyenberge constate ainsi que l’intervention croissante d’intermédiaires financiers (fonds d’investissement, courtiers, Bourses…) sur ces marchés est paradoxale et pose question : d’un côté, ils sont nécessaires pour rendre ces marchés liquides mais d’un autre, la financiarisation (la création de produits financiers liés à ces marchés) a un effet multiplicateur sur la quantité de droits de polluer en circulation, rendant plus difficile la réalisation des objectifs initiaux de dépollution.

Une seule logique, marchande ?

Plus fondamentalement encore, l’idée de corriger les marchés par d’autres marchés, c’est-à-dire par l’extension de la logique marchande à de nouveaux domaines, doit nous faire réfléchir. Que devons-nous penser d’une “civilisation” qui ne semble pas capable de trouver d’autres moyens que les marchés pour se contraindre à changer des pratiques qui menacent sa survie même ? Certaines civilisations du passé n’ont-elles pas suivi d’autres logiques pour induire des comportements plus respectueux de leur environnement ? Et puis, jusqu’où allons-nous permettre l’extension de la logique marchande ? N’envahit-elle pas déjà le domaine de la santé où le calcul explicite du prix d’une vie humaine est de plus en plus utilisé pour décider de l’allocation des ressources ?

Vu l’urgence des défis, les marchés de droits de polluer doivent certainement faire partie de la panoplie des instruments pour nous contraindre à changer nos comportements. Tout en restant vigilant cependant à ce qu’insidieusement la logique marchande n’envahisse pas tous les pans de notre vie. Le pourrons-nous ?

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