Une année sabbatique pour un retour en force

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Qui n’a jamais rêvé de tout quitter pendant un an pour faire le tour du monde ou se consacrer à son hobby ? Plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsque l’on est en pleine ascension professionnelle et que la crise économique ne garantit pas de retrouver un poste équivalent au retour. Pourtant, il s’agit d’un droit inscrit dans la législation, qui peut donner un nouveau souffle à votre carrière.

“Avec le recul, je m’aperçois à quel point c’est facile de réaliser ce rêve, malgré la montagne qu’on s’en fait avant de partir. Et le résultat dépasse mes espérances. Il ne faut pas hésiter, le plus dur est de prendre la décision, mais on ne la regrette pas”, raconte Patrick Besson, qui a créé sa société avant de partir faire le tour du monde avec sa famille pendant un an… et compte l’agrandir à son retour. “J’ai fait la liste de tous les problèmes qui se posent, et je me suis vite rendu compte qu’il n’y en a aucun qui soit insoluble”, confirme Pierre Nothomb, cadre supérieur dans la société d’aide aux investisseurs Deminor, parti lui aussi faire le tour du monde avec sa famille il y a 10 ans et qui a retrouvé son poste à son retour. “Chez Deminor, c’est presque institutionnalisé. On est déjà trois à l’avoir fait.”

Mais dans n’importe quelle entreprise, prendre un an pour voyager ou se consacrer à sa passion est rendu possible par la législation depuis 1985. Tout travailleur du secteur privé peut suspendre son contrat de travail pendant l’équivalent temps plein de 12 mois avec la certitude de récupérer une place équivalente dans l’entreprise à son retour. “Il y a quand même quelques conditions. Le travailleur doit avoir déjà cinq ans de carrière dont deux dans l’entreprise et en faire la demande par écrit au moins trois mois à l’avance. Mais si ces conditions sont remplies, l’employeur ne peut pas s’opposer à la demande du travailleur”, explique Daniel Boulot, spécialiste de l’Onem. C’est ce qu’on appelle une demande de crédit-temps sans motif. “Néanmoins, afin de ne pas trop désorganiser le travail dans les entreprises de plus de 10 travailleurs, le nombre de bénéficiaires est souvent limité à 5 % de l’effectif.” Dans le secteur public et l’enseignement, l’interruption de carrière peut même durer jusqu’à cinq ans au total depuis la nouvelle législation de 2012 (elle était de six ans auparavant).

Initialement, le système avait pour objectif de redistribuer le travail, puisque tout travailleur en interruption de carrière devait être remplacé par un chômeur. “En 2002, l’obligation de remplacement du travailleur a été supprimée et l’interruption de carrière et le crédit-temps sont devenus des systèmes de conciliation entre l’emploi et la qualité de vie”, ajoute Daniel Boulot.

Une demande difficile à formuler

“Une demande n’est jamais perçue négativement”, assure Valéry Halloy, porte-parole de BNP Paribas. La banque a ainsi accordé un crédit-temps à 1.770 employés l’an dernier et une suspension totale des prestations à 400 employés. En Belgique, 14.000 personnes ont bénéficié d’une interruption de carrière complète en 2011, d’après les chiffres de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Mais ce chiffre ne cesse de diminuer depuis 2006 : “Les entreprises ne stimulent évidemment pas ces congés qui posent tout de même quelques difficultés”, admet Kristof Vermeire, responsable de la société de recrutement Andress Consulting.

De plus, du côté des travailleurs, cette décision n’est pas toujours facile à prendre, surtout en temps de crise. L’une des craintes est que leur demande soit perçue comme de la démotivation ou une fuite des responsabilités. Pour éviter une mauvaise surprise, il vaut effectivement mieux partir une fois que l’on a fait ses preuves. Mais, d’un autre côté, tout quitter en pleine ascension professionnelle peut effrayer davantage encore… “Au contraire, ça redonne de l’énergie pour la suite”, répond pourtant Pierre Nothomb. C’est même “le moment ou jamais”, pour Eefje Denayer, employée dans l’agence de recrutement Huxley, qui prévoit de partir six mois faire le tour d’Amérique latine. “Je vais bientôt accéder à un poste dans le management. Du coup, il me sera plus difficile de quitter mon emploi par la suite”. Même si cette décision reste difficile à annoncer à son patron. Un conseil : amener les choses progressivement et être sûr de son projet. “J’ai dû présenter les bénéfices que la société pourrait en retirer, comme l’apprentissage de l’espagnol et la connaissance d’une autre culture. C’est aussi positif au niveau du développement personnel”. Une affirmation confirmée par Noémie Allard, qui est partie faire le tour du monde pendant un an après ses études : “Ce type de voyage demande beaucoup de débrouillardise, de patience et de capacité d’adaptation. Le monde du travail requiert ce genre de comportements. Cela m’a donc bien aidé pour trouver un emploi par la suite.”

Une transition légitime après les études

Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux, ces jeunes qui prennent le large après leurs études. La période idéale, lorsqu’on est encore sans attaches ni responsabilités. Une sorte de transition légitime aussi afin de lâcher prise et de se retrouver pour attaquer le marché de l’emploi plus sereinement. “J’ai énormément appris sur moi-même”, explique Audrey Robic, qui est partie un an comme fille au pair en Irlande pour souffler après cinq années de droit intenses. “Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Je me disais que je pourrais y réfléchir tout en respirant et en faisant ce que j’aime : aller à la rencontre de nouvelles cultures, de gens qui ne pensent pas forcément comme moi.” Pour Cécile Paté, future enseignante, passer sept mois en Australie était aussi un passage nécessaire. “J’ai passé ma vie à l’école et j’y passerai encore le reste de ma carrière. J’avais besoin d’un break, de mûrir avant de passer de l’autre côté du bureau. Maintenant, je me sens prête.”

Un plus pour le CV ?

Une année sabbatique peut aussi ajouter de la valeur à votre CV, pour autant qu’elle ait été utilement mise à profit. “Toutes les années sabbatiques ne sont pas équivalentes. Passer un an à faire des barbecues avec d’autres Belges en Australie ne peut pas être valorisé de la même façon que d’avoir participé à un projet humanitaire au Laos”, estime Noémie Allard. “Si une personne prend le temps de se retrouver, de faire quelque chose qui lui plaît, ça lui permet de se remettre en question et de se rendre plus fort et plus motivé pour la suite”, ajoute de son côté Yannick Borremans, consultant dans l’agence de recrutement Huxley. “Ce genre de voyage montre aussi que la personne a l’esprit d’entrepreneuriat”, soutient Kristof Vermeire. Une telle année à l’étranger peut aussi permettre d’apprendre une nouvelle langue et, pour un commercial, d’étudier un nouveau marché ou de découvrir d’autres modes de consommation… Et pourquoi pas de dénicher une idée de business géniale à reproduire chez nous. De quoi donner un nouveau tournant à sa carrière.

Le crédit-temps menacé ?

Crise oblige, certains pensent qu’il est grand temps de faire usage du crédit-temps… tant que la mesure est encore de rigueur. Du côté de l’administration, on calme le jeu : “Les employeurs demandent bien sûr la suppression du crédit-temps depuis longtemps, mais il n’a jamais été question de le supprimer vu que la durée de travail est déjà allongée, précise Célien Van Moerkerke, du service “études sociales” de la FGTB. On ne peut exiger des gens qu’ils travaillent plus longtemps sans leur permettre au moins d’aménager -un peu- leur carrière.” Des décisions ont par contre été prises pour diminuer le crédit-temps de fin de carrière, mais il ne s’agirait (encore) que d’un cas particulier.

CÉLINE DELACHARLERIE

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