TUI remplace Jetair, un nouveau nom à 30 millions d’euros

© BELGA IMAGE

Jetair dépense plusieurs dizaines de millions d’euros pour adopter le nom de sa maison mère. L’opération dépasse la simple question de “branding” : le groupe cherche aussi à améliorer sa distribution pour dégager de la croissance, en réformant et en multipliant ses agences.

Adieu Jetair, bonjour TUI ! Le premier voyagiste du marché belge fait le grand saut et adopte le nom de sa maison mère, TUI. Le groupe allemand, basé à Hanovre, avait en effet racheté Jetair à la famille Brackx en 2001. A l’époque, il avait été décidé de conserver le nom d’origine, pour ne pas perturber la clientèle. Quinze ans plus tard, TUI décide de mettre sa marque en avant de manière globale. Après les Pays-Bas, c’est la filiale belge qui change de nom. Depuis le 19 octobre, le voyagiste Jetair s’appelle donc TUI, la compagnie aérienne maison Jetairfly devient TUIfly et les agences de voyage Jetaircenter sont rebrandées en TUI Shops.

L’opération est un investissement important : elle représente un budget de 30 millions d’euros, étalés sur deux exercices, annonce Elie Bruyninckx, manager de la zone occidentale du groupe TUI (France et Benelux). ” Si nous dépensons cette somme, ce n’est pas seulement pour changer de nom, l’exercice serait bien coûteux dans un secteur où les marges sont fines, explique le manager belge. Il s’agit d’une opération plus large, nous revoyons aussi la distribution. L’objectif est d’obtenir une plus grande croissance et d’être plus attractif pour recruter des jeunes. ”

Le changement de nom marque aussi la métamorphose d’une entreprise qui, depuis sa reprise par TUI, ne vend plus exactement la même chose. Elle a depuis lors en effet créé une compagnie aérienne, TUIFly, avec 24 avions, soit la deuxième compagnie de Belgique derrière Brussels Airlines. Et celle-ci ne cesse de grandir. Cela fait longtemps d’ailleurs qu’elle a abandonné le modèle de ” compagnie charter “, dédiée exclusivement au transport des clients des voyages organisés de Jetair. Pour se lancer dans une compagnie régulière à part entière, ” où la majorité des passagers ont juste acheté un ticket “, continue Elie Bruyninckx. TUI Belgium est donc aujourd’hui à la fois voyagiste, concurrent de Thomas Cook ou du Club Med, et transporteur, concurrent de Brussels Airlines voire de Ryanair. Il touche à la fois la clientèle traditionnelle qui aime les all inclusive et celle, grandissante, qui achète un ticket sur le Web et réserve un logement sur Airbnb ou Booking.com.

1. Est-ce le signe d’une perte d’autonomie de la filiale belge ?

Le cas de Jetair est différent de celui de Brussels Airlines, qui sera rachetée par Lufthansa en 2017. ” Pour Jetair, il n’y a pas de modification d’actionnariat “, indique Elie Bruyninckx. Aucune restructuration n’est prévue : ” nous recrutons toujours “, affirme d’ailleurs le manager. Les effectifs de TUI en Belgique sont passés de 400 en 2001 à 2.080 aujourd’hui. Le groupe allemand a déjà mené une approche d’intégration sélective. ” Nous gérons de manière centralisée partout où cela fait sens, comme l’achat et l’entretien d’avions pour les cinq compagnies du groupe, ou de paquebots. Mais il n’est pas prévu de les fondre en une compagnie unique. Il y a par exemple une compagnie belge, TUIfly, immatriculée en Belgique, avec ses équipages et sa gestion de lignes organisées. ” Cette approche, baptisée freedom in the framework (liberté dans la structure), laisse une grande latitude aux filiales pour mieux s’adapter à leur marché local. ” Nous ne sommes pas des exécutants, résume Elie Bruyninckx. C’est l’entrepreneur, au niveau du pays, qui construit son business, en profitant des effets d’échelle des achats faits en commun par le groupe. ” Les dirigeants locaux participent aussi aux décisions globales. Elie Bruynickx, fondateur de JetairFly et ex-dirigeant de Jetair, est à présent manager de l’Europe de l’Ouest, soit le Benelux et la France, et participe depuis 2015 au comité de direction du groupe.

2. Quels sont les changements qui touchent les agences de voyage ?

Le nouveau nom est l’occasion de revoir le réseau de distribution en Belgique pour obtenir une croissance difficile à atteindre. Cet effort concerne les agences maison, les franchisés, les indépendants, mais aussi l’Internet, qui représente actuellement quasi 60 % des ventes, poussé par la vente de tickets d’avion. Jetair avait 68 agences en propre, TUI Belgium comptera à terme 130 TUI Shops. Le gonflement du réseau maison passera par la reprise d’agences indépendantes, franchisées ou non. ” Nous reprendrons des agences indépendantes, selon leur situation géographique, celles qui nous dirons que, vu le investissements à faire pour rester aux normes, elles préfèrent vendre “, explique Elie Bruynickx. La formule TUI Shops implique un remodelage des agences en propre et des franchisés, pour revoir l’expérience de la clientèle, avec un nouveau système de réservation.

L’objectif est de mieux marier l’Internet et le système d’agences, car une partie des clients ne choisissent pas un canal ou un autre, ils fréquentent les deux. Ils s’informent sur le Web puis achètent en agence. Parfois c’est l’inverse. L’offre sera augmentée d’environ 30 %. Notamment en ajoutant, en agence, les offres premier prix Sunjet, jusqu’ici vendues en direct, via le Web ou par téléphone. ” Nous voulons combattre l’idée que sur Internet tout est moins cher. Avec le nouveau concept d’agences TUI, les tarifs et les produits sont désormais les mêmes, sur Internet et en agence “, avance Dirk Van Holsbeke, general manager de TUI Belgium. ” D’une autre manière, cela veut dire que le client recevra le service, en agence, gratuitement. ” TUI ne cherche pas à favoriser un canal de vente en particulier : l’essentiel est qu’il y ait plus de clients.

3. Quid des commissions des agences ?

Comme l’ont souligné nos confrères de L’Echo, le changement de nom va aussi toucher les commissions touchées par les agences. Celles-ci sont diminuées de 1 % par rapport à ce qui se faisait jusque-là. Un pour cent que les agences récupèrent néanmoins si elles engrangent 35.000 euros de contrats supplémentaires. Au-dessus de 65.000 euros de croissance, elles recevront même encore 1 % en plus. ” C’est mieux qu’avant, avance Dirk Van Holsbeke, avec 30 % de produits supplémentaires, il y a moyen de vendre plus. Et puis, 35.000 euros, cela ne représente que 10 ou 15 dossiers. ” Autre mesure : les commissions supplémentaires ne sont accessibles qu’aux agences vendant 250.000 euros par an de produits TUI par implantation. ” Cela ne représente peut-être que 10 % des ventes d’une agence moyenne, calcule Dirk Van Holsbeke, ce qui est raisonnable pour parler d’une relation de partenariat. ” Elle pourrait accélérer l’écrémage du secteur des agences, déjà affecté par le recul constant de la part de marché des voyages à forfait vendus en agence. ” Hier, Jetair se présentait comme le meilleur ami des agences, relativise Jean-Philippe Cuvelier, des agences Service Voyages. Aujourd’hui, il se situe dans la moyenne des voyagistes. ”

4. Le groupe TUI est-il en bonne santé ?

Plutôt : TUI prévoit une hausse de 3 % des ventes pour l’exercice qui se clôture fin septembre (les résultats n’ont pas encore été publiés). Et une croissance de 12 % de l’Ebita (résultat d’exploitation), malgré une année touchée par les attentats, les soucis en Tunisie, en Egypte, en Turquie, en Grande-Bretagne avec la livre affaiblie par le Brexit. ” Dans les années passées, des chocs externes de cette échelle auraient déclenché un effondrement des bénéfices “, écrit le Financial Times. Qui attribue ce résultat à la forte intégration verticale de TUI, qui possède 310 hôtels, 147 avions, 14 paquebots. Le groupe contrôle une bonne partie de ses services et peut ainsi plus facilement modifier les destinations pour ses clients lorsqu’un pays devient soudainement infréquentable.

Cette intégration verticale est le fruit de fusions et de reventes successives qui ont formé le TUI Group en 2014. Il s’agit d’une longue histoire qui, en résumé, est la reconversion d’un groupe industriel dans le tourisme. En 1997, le groupe allemand Preussag, actif dans la métallurgie et les mines (ex-mines royales de Prusse), met le pied dans le tourisme en rachetant Hapag-Lloyd, compagnie maritime et aérienne. Il prend le nom TUI AG et se convertit de plus en plus au tourisme, en rachetant les voyagistes Jetair en Belgique, Nouvelles Frontières en France ou encore Thomson en Grande-Bretagne, et revend ses actifs industriels et logistiques.

Le long processus s’achève en 2014 pour créer TUI Group (et non plus TUI AG). Après la consolidation, TUI Group s’est lancé dans une rationalisation de ses structures, de ses processus et aussi de ses marques. D’où la promotion de TUI comme marque globale, dans les noms de filiales, des compagnies aériennes et même d’une chaîne d’hôtel all inclusive, TUI Blue. Le grand espoir est d’obtenir la reconnaissance qui profite tant aux marques fortes comme Ikea ou Apple, en reflétant mieux la taille du groupe, numéro un en Europe. TUI occupe 76.000 personnes et réalise plus de 20 milliards d’euros de ventes. Ses premiers actionnaires sont Alexey Mordashov, patron du groupe sidérurgique Servatal (15%) et la famille Riu (3%), dans le cadre d’un échange d’actions (TUI possède 50 % de la chaîne d’hôtels Riu).

Le travail de rationalisation se passe de manière différente selon les pays. Il n’y a guère de vagues en Belgique, bon élève. Le marché français est plus difficile, il doit encore être remis en ordre de marche. La marque TUI n’y sera développée que plus tard, lorsque la rentabilité y sera durablement rétablie. Outre- Rhin, il y a des grincements de dents chez les pilotes de la compagnie aérienne TUIfly Allemagne, qui a une base de coûts un peu trop élevée, car il est question de la rapprocher avec Air Berlin.

Changer la marque comporte des risques, mais les responsables de TUI Belgium sont confiants. ” Nous avons réalisé l’opération aux Pays-Bas avec des résultats meilleurs qu’espéré “, affirme Elie Bruyninckx. Ce dernier compte sur le fait que logo stylisé de TUI est déjà présent depuis une bonne décennie sur les avions, les brochures et les agences. Il s’agit d’un logo en forme de large sourire, représentant de manière compressée les lettres ” T ” ” U ” ” I “. Le changement de nom a donc déjà eu lieu depuis longtemps. De manière subliminale.

De Jet-Air à TUI Belgium

• 1956.Gérard Brackx se lance à Ostende dans le tourisme par autocar, avec le service Ostend Flying Cars. Il lance une agence de voyages, Royal Tours, la première à ” vendre “, à partir de 1969, un petit village espagnol de pêcheurs aux Belges, Benidorm, avec des vols Sabena.

• 1971.Création de Jet-Air, simplifié plus tard en Jetair, centré sur les voyages à forfait en avion.

• 1985.Lancement du voyagiste Sunjets, une marque premier prix en vente directe, suivie en 1990 de Vip Selection, du haut de gamme. Les deux marques sont toujours actives.

• 1996.L’allemand TUI AG rachète 35 % de Jetair.

• 2001.TUI AG prend 100 % du capital et maintient la marque Jetair. Le fils de Gérard Brackx, Bart, prend la succession au poste de CEO.

• 2003. Jetair lance sa compagnie aérienne : Jetairfly, rebaptisée à présent TUIfly.

• 2010.Elie Bruyninckx prend la succession de Bart Brackx.

• 2016.Passage à la marque TUI. Changement de la marque commerciale en novembre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content