Trois entreprises belges qui révolutionnent l’agriculture

GUILLAUME JANSSENS ET OLIVIER LAGAE Les drones pilotés par TerrEye scannent des zones agricoles pour en tirer des informations qui seront ensuite analysées. © PG © PG

Pour augmenter les rendements agricoles et faciliter la vie des agriculteurs, des entreprises mettent au point des procédés nouveaux, basés sur des technologies de pointe.

Le changement agricole est en marche. Ces dernières années, l’avènement progressif des circuits courts, le raffermissement des labels bio ou le développement de la permaculture ont suggéré une envie globale de produire et de distribuer autrement, en revenant à des procédés ancestraux, responsables et réfléchis. Malgré tout, cette mouvance n’a jamais occulté les bienfaits de nouveaux outils capables de moderniser l’activité agricole.

Les exploitations ont compris l’intérêt de souscrire au processus du smart farming, qui combine au sein d’une activité séculaire, l’intégration de hautes technologies (données et algorithmes décisionnels, logiciels, GPS, drones, etc.). Le but ? Faire passer l’agriculture à un niveau supérieur de précision, tout en améliorant la condition des exploitants. Les entreprises belges investissent ce secteur aux multiples facettes. Tour d’horizon des acteurs prometteurs/importants.

TERREYE: UNE TECHNOLOGIE DE “HAUT VOL”

Fondée en janvier 2016 par deux jeunes entrepreneurs belges, l’un passionné par la capture et le traitement de données aériennes, l’autre par la gestion et la conservation des espaces naturels, la société TerrEye sensibilise le propriétaire agricole aux bienfaits du numérique. Alliant le travail ancestral de la terre à la technologie moderne, l’entreprise propose la réalisation d’inventaires agricoles au moyen d’images aériennes capturées par le biais de drones.

“Le territoire est en pleine mutation, confie Guillaume Janssens, cofondateur de TerrEye. Les espaces sont de plus en plus convoités et les ressources de plus en plus rares. C’est pourquoi l’agriculture de précision, et plus spécifiquement la télédétection, représente une solution pour faire face aux contraintes environnementales, réglementaires et économiques.” Equipés d’un capteur multispectral, les drones pilotés par TerrEye vont scanner des zones agricoles déterminées pour en tirer des informations qui seront ensuite analysées et cartographiées numériquement. Ces données (qui évaluent le rendement et le stress hydrique d’une plante ou qui détectent les problèmes de semis et de traitement des cultures) auront pour but d’aider l’agriculteur à mieux connaître sa parcelle, réduire ses coûts, et améliorer certains de ses procédés agricoles. C’est par exemple le cas du dosage des fertilisants (azote, potassium, etc.), comme l’explique Olivier Lagae, cofondateur de l’entreprise. “Les agriculteurs ont l’habitude d’appliquer des doses d’azote standard sur leurs plantations, indépendamment des conditions météorologiques, de la localisation de leurs parcelles, ou encore de la variété de leurs plantes. Or, avec la solution de notre partenaire Airinov, il est possible d’objectiver la croissance et le potentiel des plantes pour un champ et une saison donné. Si bien qu’après avoir survolé une plantation, nous pouvons estimer pour chaque mètre carré de terre le statut azoté des cultures, et ainsi établir une recommandation sur la quantité des fertilisants à répandre.”

Innovante, cette méthode aurait, selon ses concepteurs, un impact positif sur la santé économique et le rendement des exploitations. En effet, dans l’hypothèse où la dose d’azote conseillée par TerrEye serait inférieure à celle utilisée normalement par l’agriculteur, une économie de fertilisants pourrait être réalisée. A l’inverse, dans le cas où la dose préconisée serait supérieure à celle répandue, le rendement de la terre s’en trouverait amélioré. Soit une situation de win-win pour l’agriculteur.

Outre ces avantages, le scan effectué par les drones a également pour conséquence d’optimiser l’apport des produits phytosanitaires en fonction de la présence de maladies au sein de la parcelle étudiée. “Cette optimisation permettra, à terme, d’apporter de justes doses de produits phytosanitaires sur les surfaces qui en ont réellement besoin en maximisant leur apport sur les parties à fort potentiel de croissance”, conclut Guillaume Janssens.

Avec l’aide de ses partenaires clefs – Regenacterre, Green-Farm, l’Université de Namur et Airinov – TerrEye, déjà pionnier dans la cartographie numérique au service de l’exploitant en Belgique, souhaite étendre son réseau d’agriculteurs sur un marché prometteur, dont les domaines d’applications (sylviculture, urbanisme, aménagement du territoire, écologie, etc.) sont extrêmement variés.

AGROPTIMIZE: PULVÉRISER MOINS POUR GAGNER PLUS

Fruit d’une collaboration inédite entre l’Université de Liège, le Luxembourg Institute of Science and Technology (List) et Drone Agricole, une société commerciale française, l’entreprise AgrOptimize se spécialise dans le développement d’outils agricoles de précision. Basée à Arlon et créée en mars 2016, la petite structure (quatre employés) s’apprête à commercialiser PhytoProTech, une solution permettant d’objectiver le risque phytosanitaire de parcelles agricoles. Le système utilise des modèles informatiques qui prennent en compte les données historiques et météorologiques précises des parcelles concernées, pour informer l’agriculteur du positionnement et de la quantité optimale de produit phytosanitaire à répandre sur ses cultures. Et ce, pour éviter la propagation de maladies fongiques ou la prolifération d’insectes trop voraces. En ce qu’il prévoit la formation de maladies avant l’apparition des symptômes, PhytoProTech va également alerter l’exploitant sur son ordinateur ou son téléphone, en cas de risque sérieux d’incubation.

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“Compte tenu des informations qu’il fournit, notre outil permet aux agriculteurs de ne répandre des produits chimiques (fongicides, insecticides) qu’aux bons endroits, en quantité suffisante et uniquement si les cultures sont véritablement menacées, explique Paul Bertaux, CEO d’AgrOptimize. Soit un bénéfice écologique et économique pour l’exploitant.” Actuellement testée par 15 agriculteurs partenaires, la solution rapporterait annuellement, selon la firme, entre 30 et 70 euros par hectare. Une aubaine, mais qui pour l’heure n’est limitée qu’aux maladies fongiques du blé d’hiver, de l’escourgeon ou du colza.

“Nous ne souhaitons pourtant pas nous arrêter là, confie Paul Bertaux. PhytoProTech a vocation à étendre ses fonctionnalités à d’autres cultures et d’autres maladies pour couvrir, à terme, l’intégralité de l’assolement.” En vue d’un tel développement, AgrOptimize peut compter sur sa panoplie de chercheurs, près de 250, répartis au sein du List et de l’ULg, ainsi que sur ses autres procédés, pour l’heure à différents stades de maturité (R&D, maturation, prototypage, phase précommerciale, commercialisation). L’entreprise est également très ambitieuse et souhaite se tailler la part du lion sur un marché extrêmement porteur.

“Plusieurs directives européennes montrent clairement l’évolution souhaitée de l’agriculture vers une gestion raisonnée et une réduction de l’utilisation des pesticides et fertilisants, continue Paul Bertaux. Nos outils sont potentiellement applicables aux principales cultures européennes (blé, orge, colza, pomme de terre, betterave, etc.) et nord-africaines, ce qui laisse entrevoir un marché énorme. Rien qu’en Europe, il existe à peu près 25 millions d’hectares de blé.” La stratégie commerciale d’AgrOptimize se décline d’abord à l’échelle européenne, où les produits seront commercialisés au départ de Belgique, de France et du Luxembourg via des partenariats commerciaux, pour être ensuite déployés sur de nouveaux marchés tels que le Maroc ou l’Algérie.

Epandeur Joskin.
Epandeur Joskin. © PG

JOSKIN: DES ÉPANDEURS DERNIÈRE GÉNÉRATION

En milieu agricole, la valorisation des engrais est une nécessité pour augmenter le rendement des cultures. L’épandage du lisier, par exemple, est un facteur clé dans la productivité des exploitations, si bien que le besoin d’un équipement adapté en la matière est quasiment indispensable. En effet, dépendant de la méthode d’épandage utilisée, les pertes volatiles d’engrais épandus peuvent varier de façon importante, pour parfois grimper jusqu’à 90 % lorsque les outils utilisés ne sont pas appropriés. Un manque à gagner pour les agriculteurs, qui vont se tourner dès lors vers des entreprises capables de leur proposer des solutions économiques. C’est le cas de la société Joskin, basée à Soumagne. Fondée en 1968, cette entreprise belge s’est spécialisée dans le développement et la commercialisation d’outils agricoles de précision, parmi lesquels des épandeuses derniers cris. “Le but de nos épandeuses est de permettre aux producteurs de gagner en productivité et d’éviter les écueils classiques liés à l’épandage”, explique Stéphane Girretz, en charge du marketing pour le groupe belge. Parmi ces écueils, les risques de la surfertilisation azotée, la pollution des nappes phréatiques en cas d’apports trop élevés et à la mauvaise période, ou encore le compactage des sols qui, découlant d’épandages sur sols insuffisamment ressuyés, occasionnera une série de conséquences néfastes pour l’agriculteur (formation de mottes, dégradation de la structure, etc.).

Pour doser convenablement les quantités de lisier à épandre et les contrôler, Joskin a mis en place un débitmètre électronique assurant à tout instant un débit exact. “Notre solution va permettre, quelle que soit la vitesse des machines, que l’épandage reste uniforme, et ce, grâce à un système de débit proportionnel à l’avancement, explique Stéphane Girretz. Le débitmètre va mesurer en permanence le débit d’épandage du lisier, tandis que des capteurs placés au niveau des roues de la tonne mesureront la vitesse d’avancement. Par interprétation de ces données, un ordinateur va réguler automatiquement le débit de lisier en fonction de la vitesse d’avancement, via une vanne électrique.” Résultat ? L’assurance d’une homogénéisation sur toute la parcelle, et une économie substantielle pour l’exploitant. Une économie qui s’accroît d’ailleurs lorsque les épandeuses sont équipées de systèmes de guidage par satellite. Dans pareil cas, les machines vont réduire ou éviter le chevauchement d’épandage entre deux passages sur une même parcelle, de quoi épargner du temps, du carburant, des intrants et de la main-d’oeuvre.

Pour garantir un épandage extrêmement efficace et respectueux des normes environnementales, tout en valorisant au mieux le lisier, Joskin propose également, en collaboration avec la firme américaine John Deere, une technologie d’analyse en temps réel de la composition du lisier (NPK). Rencontrant des objectifs agricoles, économiques et écologiques, cette technique consiste, grâce à une lentille infrarouge, à analyser les principaux composants du lisier à sa sortie du tonneau. Ces relevés prennent en compte l’azote total, le phosphore, le potassium, l’azote ammoniacal ainsi que les matières sèches contenues dans le lisier. Des informations précieuses qui, couplées à une cartographie de précision, mènent à une traçabilité optimale permettant, d’un simple coup d’oeil, de visualiser les teneurs de la matière épandue sur chaque zone agricole. Ces indications apporteront à l’agriculteur une meilleure connaissance et une visibilité accrue de son modèle. De quoi optimiser sa gestion par l’apport éventuel d’engrais minéral. En 2015, l’entreprise Joskin a réalisé un chiffre d’affaires de 105 millions d’euros, soit une réelle success story belge. Avec 3.091 machines fabriquées pour la même année, sur ses cinq sites de fabrication, le groupe entend continuer à oeuvrer pour l’agriculture de demain.

Augustin Lippens

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