TomTom, le survivant des terminaux GPS

R-Link: la console d'"infotainment" qui équipe nombre de modèles Renault et contient, entre autres, le système de navigation TomTom © PG

Le roi européen du GPS aurait pu sombrer face à la concurrence des services gratuits sur smartphone comme Google Maps ou Waze. Mais il a rebondi en tant qu’entreprise centrée sur les logiciels et les données, notamment pour les voitures autonomes.

Zéro euro : c’est le bénéfice réalisé en 2016 par TomTom sur la vente des GPS autonomes, un marché que l’entreprise néerlandaise avait inventé en lançant le premier terminal GPS pour automobile en 2004. Les comptes de l’an dernier parlent même d’une légère perte pour cette activité, qui décline année après année. L’an dernier, le marché a reculé de 19 % et ce rythme devrait se maintenir en 2017.

Harold Goddijn, CEO de TomTom, n’a cependant pas l’intention de lâcher le marché des PND (portable navigation devices), mais il a depuis longtemps diversifié les activités de l’entreprise. TomTom est sur le point de réussir sa reconversion vers les services et les softwares. Surtout grâce au secteur automobile, très gourmand en données cartographiques, de trafic, et en logiciels pour nourrir les systèmes de navigation intégrés dans les tableaux de bord. A partir de 2017 ou de 2018, ces revenus devraient représenter la plus grande partie des ventes de l’entreprise.

” Des indications positives montrent que TomTom est en train de réussir sa transition vers un business à plus grandes marges et avec un niveau plus élevé de revenus récurrents “, note Morgan Stanley. Qui prévoit une hausse du bénéfice net de 12 à 100 millions d’euros entre 2016 et 2020.

Une des rares pépites technologiques européennes

TomTom, le survivant des terminaux GPS
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Il aurait été bien triste de voir sombrer une des rares pépites technologiques européennes que les Américains n’ont pas rachetée et qui occupe encore 4.716 salariés. TomTom est née en 1991, sous le nom de Palmtop Software, pour créer des logiciels destinés à des ordinateurs de poche en vogue dans les années 1990, les PDA (personnel digital assistant), dont les plus vendus portaient les marques Palm, Psion et Compaq. L’entreprise a été fondée par Harold Goddijn, un jeune économiste sorti de l’Université d’Amsterdam, son épouse française Corinne Vigreux et deux amis fans de technologie rencontrés à l’université : Pieter Geelen et Peter-Frans Pauwels. Le quatuor se partage encore aujourd’hui, à parts égales, 45 % du capital de cette entreprise cotée, dont la capitalisation boursière atteint 2,1 milliards d’euros.

La société Palmtop Software édite dans un premier temps des jeux, des applications comptables, mais aussi des guides et des cartographies. Lorsqu’en 2000, les Etats-Unis rendent les signaux GPS des satellites militaires américains accessibles à un usage civil, la société voit tout de suite un débouché pour les ordis de poche : la navigation. Palmtop Software lance alors une appli appelée Tom-Tom (nom dérivé du mot ” tam-tam “). Le coup de génie sera de proposer en 2004 un appareil entièrement conçu pour la navigation GPS, dessiné pour tenir sur un tableau de bord et muni d’un écran tactile : le premier TomTom Go. ” La première année, nous espérions en vendre 700.000, expliquait Harold Goddijn à Trends-Tendances, voici 10 ans. En sept mois, nous avons dépassé les 250.000, puis 1,7 million se sont écoulés en 2005. ” L’entreprise, rebaptisée TomTom, va alors se centrer sur la navigation GPS.

Un marché tué par Google Maps et Waze

Harold Goddijn, CEO de Tomtom est sur le point de réussir la reconversion de son entreprise vers les services et les softwares.
Harold Goddijn, CEO de Tomtom est sur le point de réussir la reconversion de son entreprise vers les services et les softwares. © PG

Ce marché, longtemps très rentable, s’est érodé avec la concurrence d’autres GPS autonomes comme Garmin ou Mio mais aussi à cause des constructeurs automobiles qui équipent de plus en plus les véhicules d’un navigateur intégré. La chute de TomTom a aussi été précipitée par l’emprise croissante des smartphones et d’applis telles que Google Maps et Waze. Ces services sont non seulement gratuits, mais offrent une mise à jour quotidienne des cartes. Les infos liées au trafic sont incluses, les trajets tiennent compte des embouteillages en temps réel, grâce à la connexion data des smartphones, laquelle coûte de moins en moins cher.

Pour rester compétitif, TomTom a été obligé de réduire ses tarifs, de rendre gratuite la mise à jour des cartes (à vie), et même d’abandonner son abonnement pour les données de trafic en temps réel pour des GPS d’entrée de gamme comme le TomTom Via 62 vendu 199,65 euros (hors promo). Les bénéfices ont fondu.

Son grand concurrent Garmin a rencontré moins de soucis. Alors que TomTom avait tout misé sur le GPS pour voiture, Garmin s’est adressé à tous les marchés, à tous les usages. Née en 1989, l’entreprise américaine a démarré dans les GPS de marine et produit du matériel de navigation pour l’aviation, les activités outdoor comme la randonnée ou le cyclisme. L’automobile ne représente qu’un petit tiers de ses ventes (883 millions de dollars sur un total de 3 milliards en 2016). Il est tout autant secoué au niveau des ventes de GPS autonomes que TomTom, mais la santé des autres catégories de GPS absorbent cette érosion. Les ventes de Garmin ont donc globalement augmenté de 7 % l’an dernier. L’outdoor est, par exemple, un marché en forte croissance : il représentait 546 millions de dollars de ses ventes en 2016 (+33%).

TomTom était pourtant prévenu du danger consistant à rester centré sur le marché automobile. En 2008, l’entreprise a connu une crise énorme. Elle venait juste de se lancer dans l’acquisition de Tele Atlas, son fournisseur de données cartographiques (une denrée stratégique), pour 2,6 milliards d’euros, lorsque la crise bancaire est survenue. Pour la première fois, les ventes de GPS ont reculé. Harold Goddijn est parvenu à tenir le cap en coupant dans les coûts et le personnel (plus de 300 départs). Les fondateurs ont dû réinjecter des fonds via une augmentation de capital.

Malgré tout, TomTom a maintenu son attachement au marché automobile en misant sur la diversification des offres. Cherchant à la fois à vendre des GPS autonomes aux particuliers, mais aussi des systèmes de navigation et de la cartographie aux constructeurs automobiles, pour les appareils intégrés au tableau de bord. L’entreprise espérait en secret que le recul des recettes des GPS autonomes serait compensé par les services et logiciels vendus aux constructeurs automobiles. Après de longues années, cette approche est en train de réussir.

Arrivée tardive dans l'”outdoor”

Harold Goddijn a aussi fini par orienter l’entreprise vers l’outdoor en produisant dès 2013 des montres sportives et connectées. Il va même se risquer sur les plates-bandes de la GoPro en sortant sa propre caméra outdoor, TomTom Bandit. Le marché des sportifs est devenu crucial. ” TomTom s’est mis très tard aux accessoires pour l’outdoor, il y a juste trois ans, alors que Garmin y est actif depuis plus de 10 ans “, précise M. De Munck, acheteur chez Media Markt. TomTom cherche à rattraper le terrain perdu en multipliant les montres spécialisées, notamment pour les golfeurs, qui détectent les coups et les analysent. En 2016, les ventes ont quasi doublé, passant de 600.000 appareils portables pour le sport à 1 million, avec des ventes passant de 69 à 106 millions d’euros. La vogue des montres connectées devrait continuer à pousser les ventes et freiner la chute du marché consumer.

TomTom, le survivant des terminaux GPS
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L’appel des voitures autonomes et connectées

Cette incursion dans l’outdoor n’a pas distrait TomTom de sa stratégie à long terme en matière de vente de softwares et de données. Il en vend à tout le monde et de plus en plus : à Apple, pour améliorer l’application Apple Plans. Ou à Uber, qui utilise les cartes et les données de trafic pour ses chauffeurs. Et surtout aux constructeurs automobiles. TomTom a ainsi fourni Renault, un client important, en systèmes de navigation et a même participé au système d’infotainment R-Link (sorte de tablette avec des applis spécifiques, dont la navigation TomTom) qui équipe nombre de modèles. Il fournit Mercedes en infos trafic pour ses systèmes de navigation et plus d’un million de voitures à l’étoile recourent à ce service. Volkswagen, Audi, Porsche et Skoda lui achètent le même service. TomTom vend aussi de plus en plus de services télématiques aux propriétaires de flottes qui veulent recevoir à distance les données des véhicules (consommation, kilométrage, comportement routier, etc.). En 2016, ce service comptait 619.000 abonnés (+15%).

Deux éléments dopent les ventes aux constructeurs automobiles. Le premier est l’arrivée des voitures autonomes et connectées. Les constructeurs, qui achètent la majorité des éléments des voitures à des sous-traitants, ont de gros besoins. TomTom a développé une cartographie en 3D adaptée à la conduite autonome, qui intègre le tracé des bandes de circulation, les objets présents sur le côté des routes (arbres, poteaux, glissières, trottoirs, etc.). Environ 246.000 km de routes ont été archivées de la sorte : les autoroutes allemandes, les grandes routes françaises, les autoroutes américaines. Ce projet, appelé HD, va encore s’étendre. Ce type de cartographie, nettement plus pointue que celle utilisée pour les GPS actuels, est stratégique pour développer des voitures autonomes ou fortement automatisées. TomTom a signé en mars dernier un accord avec Volvo pour fournir cette cartographie pour son projet de voiture autonome, Volvo Drive Me.

TomTom n’est cependant pas seul sur le marché. Google y rôde. BMW, le groupe VW, et Daimler ont de leur côté racheté à Nokia Here, un service de navigation et de cartographie en 2015, pour 2,8 milliards d’euros, pour faire barrage à Google et à ses ambitions automobiles. Mais TomTom a l’avantage pour les constructeurs d’être indépendant à la fois de Google et du trio qui a racheté Nokia Here. Il possède aussi une grande expertise dans les systèmes mobiles connectés, plus une énorme base de données cartographiques et une masse de données de trafic en temps réel.

Montres connectées: la diversification tardive de Tom Tom dans
Montres connectées: la diversification tardive de Tom Tom dans “l’outdoor” a toutefois été payante.© PG

Rebondir, mais pas si haut qu’en 2007

Les ventes de softwares et services par TomTom devraient rapidement dépasser les ventes de produits destinés aux consommateurs. En 2020, ces derniers ne devraient plus peser que le tiers des ventes du groupe (323 millions d’euros sur un total de 1,09 milliard, selon Morgan Stanley). Ils seront sans doute surtout constitués par des montres sportives et autres accessoires communicants.

” TomTom est au début d’un virage important du business hardware à faible marge vers celui d’un fournisseur de softwares et de services à haute marge “, indique Morgan Stanley dans une note récente, ajoutant que ce virage, longtemps attendu, devrait se traduire par une hausse rapide de la rentabilité. ” Nous pensons que le marché surestime les investissements à réaliser et sous-estime la croissance potentielle des profits “, indique le rapport des analystes de la banque d’affaires. TomTom devrait donc rebondir en 2017, mais pas à la hauteur des succès connus durant ses belles années, lorsque le cours de l’action dépassait 60 euros et que les bénéfices culminaient à 317 millions d’euros. En 2020, les prévisions situent les bénéfices à 100 millions d’euros. Quant au cours de l’action, qui a chuté sous les 3 euros, et se situe à présent autour des 8,8 euros, les analystes les plus optimistes le placent à 15,5 euros (ING), ce qui devrait pousser la valorisation de l’entreprise au-delà des 3 milliards d’euros.

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