Spadel domine le marché belge des eaux minérales: “Plus il fait chaud, mieux c’est”

© Wim Kempenaers

Tandis que la Belgique affrontait des températures tropicales au mois de juin, les usines d’embouteillage de Spadel tournaient à plein régime. Le leader du marché au Benelux fait des affaires en or quand il fait chaud, mais pas seulement. La prospère entreprise ne manque pas d’ambition. Ses concurrents internationaux n’ont qu’à bien se tenir.

Des milliers de flacons crissent sur les lignes d’embouteillage qui remplissent jusqu’à 60.000 bouteilles par heure. L’eau minérale naturelle coule directement dans les bouteilles, acheminée des sources de la station thermale via des conduites hermétiques. L’eau potable de Spa, non traitée, est d’une pureté irréprochable. Le processus est quasi entièrement automatique. Le personnel des neuf lignes de production de Spadel est réduit au strict minimum.

” C’est la haute saison pour nous “, déclare Marc du Bois, administrateur délégué de Spadel. ” Les bonnes années, la consommation d’eau augmente de 30 % en été. Nous sommes particulièrement satisfaits du mois de juin qui a été exceptionnel cette année. Dès que la température dépasse les 30 degrés, le consommateur boit quasi exclusivement de l’eau. Pour notre industrie, c’est clair : ‘plus il fait chaud, mieux c’est’. ”

La canicule est un sacré plus pour un secteur déjà florissant. L’eau en bouteille surfe sur la vague de la tendance actuelle à l’alimentation saine. D’un autre côté, cette même tendance fait baisser les ventes de boissons rafraîchissantes. Les clients surveillent leur consommation de sucre et de calories. Le marché de l’eau enregistre une croissance constante depuis 2000, excepté le passage à vide de 2008 à 2010. ” Quand frappe la récession, le consommateur revient à l’eau du robinet, souligne Marc Du Bois. Ou aux marques de distributeur des supermarchés. Ils reviennent ensuite aux grandes marques. ”

Spadel

– Leader du marché au Benelux avec les eaux minérales naturelles Bru et Spa

– Entreprise familiale de la famille Du Bois, dirigée par la troisième génération

– Société cotée en Bourse depuis 1922 (la famille Du Bois possède 93,03 % des actions)

– six usines et six sources (en plus de Spa : Bru-Chevron, Brecon Carreg au Pays de Galles, Carola et Wattwiller en Alsace, et en Bulgarie)

– Leader du marché en Bulgarie (40%) depuis l’acquisition de Devin cette année

Concurrence acharnée

Spadel a vu son volume baisser de 7 % en 2008 et 2009, mais depuis lors la tendance est de nouveau à la hausse. Hormis le ” léger recul ” de sa part de marché en 2013. L’entreprise spadoise cotée en Bourse affiche d’excellents résultats. Fort d’une part de marché de 20,5 %, le leader du Benelux devance largement les autres marques dans le segment des magasins. A savoir : Chaudfontaine (Coca-Cola), Evian (Danone) et Valvert (Nestlé) principalement. Chaudfontaine est le leader du marché horeca en Belgique mais N°3 en magasin avec 4,5 % de part de marché. Evian est N°2 avec 12 %.

Il existe indubitablement un marché pour les marques d’eau régionales. Produire localement a la cote. ” Nous menons une stratégie de marques régionales. Nous vendons dans un rayon de 400 à 500 kilomètres autour de nos sources. Aux Pays-Bas, la situation est plus marquée, analyse Marc du Bois. Nous dominons largement le marché mais il n’y a pas de réel N°2. Le marché néerlandais des eaux croît d’un peu plus de 10 %. Spadel croît aussi mais moins vite que le marché, du fait du positionnement agressif des marques de distributeur. Aux Pays-Bas, nos plus gros concurrents sont, non pas Chaudfontaine ou Evian, mais ces marques de distributeur. ”

Marc du Bois a les deux pieds bien sur terre. ” Notre marché est hyper compétitif. Nous assistons à un durcissement des promotions et à une guerre des prix dans les supermarchés. La concurrence des marques de distributeur qui représentent la moitié du marché en termes de volume est palpable. Les actions du genre ” deux plus un ” ou ” un plus un ” se multiplient. Nous ne jouons pas à ce jeu-là. Le but n’est pas d’augmenter le volume mais bien la rentabilité. ” D’où des différences pouvant aller jusqu’à 10 % de parts de marché en termes de volume et de chiffre d’affaires. L’entreprise est très dépendante d’un nombre limité de clients : sept d’entre eux représentaient l’an dernier 49 % du chiffre d’affaires consolidé.

Concurrent de Coca-Cola

Spadel domine le marché belge des eaux minérales:
© TT

C’est pourquoi Spadel veut élargir sa gamme de boissons. L’innovation est le leitmotiv du plan stratégique pour les prochaines années. L’eau plate est et reste le produit phare de Spa et représente avec 3 millions d’hectolitres près d’un tiers des volumes consolidés. Mais deux segments progressent encore plus vite : les eaux aromatisées pétillantes et les limonades à base d’ingrédients naturels, sans sucre et pauvres en calories. ” Pendant la récession, la consommation de limonades et de bières s’est maintenue car ces boissons procurent incontestablement plus de plaisir que l’eau. D’où le lancement des eaux aromatisées en 2016. Elles se situent à mi-chemin entre les eaux minérales et les sodas. Le consommateur cherche une alternative à la limonade classique mais de là à ne boire que de l’eau…. ”

L’an dernier, des boissons rafraîchissantes sans sucre ajouté ont fait leur apparition sur le marché sous le label Spa. Il a fallu investir dans une nouvelle ligne d’embouteillage de 17,5 millions d’euros, d’où des bénéfices sous pression. Mais Spadel ne manque pas d’ambition. ” Au rayon limonades, nous avons l’intention de concurrencer Coca-Cola et de devenir le N°2. ” Spadel rattraperait ainsi le géant américain des sodas PepsiCo. Les volumes des nouvelles boissons restent relativement modestes pour le moment : un demi-million d’hectolitres environ. Mais leur croissance est fulgurante : la vente des eaux aromatisées croît de 50 % chaque année.

La forte ambition de Spadel a fait exploser son cours en Bourse. Il frise désormais les 150 euros, un record. Les projets d’offre d’achat fin 2015, à 95 euros par action, ont été abandonnés. Offre inacceptable, ont estimé plusieurs actionnaires minoritaires mécontents. La marque Spa n’entre pas en considération dans le bilan de l’actif fixe immatériel, ce qui n’est pas obligatoire selon les normes IFRS. ” Incroyable quand même ce cours boursier, non ? Je ne peux que m’en réjouir, note Marc du Bois le sourire aux lèvres. Je scrute le cours chaque jour. Mais l’offre d’achat est définitivement oubliée. J’ai d’autres priorités pour le moment. ”

Choc culturel

La Bulgarie figure tout en haut de la liste des priorités. Au mois de mars, Spadel a déboursé 120 millions d’euros pour racheter Devin, le leader du marché bulgare (40%). La Bulgarie est, après la Belgique, le marché le plus important pour le producteur d’eau avec 2,3 millions d’hectolitres. ” Nous sommes en position de force au Benelux. Mais quid s’il y a un gros couac ? Notre force fait aussi notre vulnérabilité. D’où notre démarche dans ce pays des Balkans “, explique Marc du Bois.

Devin a provoqué un mini-choc culturel. Dorénavant, les réunions du comité de direction et du conseil d’administration se déroulent en anglais. ” La rentabilité de l’entreprise bulgare est plus élevée avec une marge Ebitda de 23 %. La direction de Devin est très perspicace et entreprenante. Ce sont des battants. Les Bulgares parlent moins qu’ils n’agissent. En Belgique, on parle énormément. Spa est encore toujours notre marque la plus importante. Mais dans quatre ans, Devin devrait la dépasser en termes de volume. ”

Quid de la météo en Bulgarie ? Une véritable aubaine, selon Marc du Bois. ” Il fait 42 degrés pour le moment. C’est formidable, non ? “, précise le patron de Spadel avec un large sourire. Avec une consommation annuelle de 78 litres par habitant (contre 126 litres en Belgique), les perspectives de croissance s’annoncent sous les meilleurs auspices. Il n’est pas exclu qu’un CEO bulgare soit un jour nommé à la tête de Spadel, estime l’administrateur délégué. ” Mais je viens de fêter mon 54e anniversaire et j’aimerais rester encore quelques années à la manoeuvre “, confie Marc du Bois, dans l’entreprise familiale depuis 1994. Il oeuvre en qualité d’administrateur délégué depuis 2005. Ses deux enfants, Barbara (27 ans) et Louis-Guy (24 ans), font leurs premiers pas dans la vie active mais pas chez Spadel. ” J’aimerais qu’elle reste une entreprise familiale. Ceci dit, mes enfants ne sont pas obligés d’occuper le poste de CEO. Ils peuvent parfaitement se contenter de la fonction d’administrateur. La vie est trop courte. Je leur dis souvent : faites ce que vous avez envie de faire mais faites-le bien. Mieux encore : faites-le excellemment. C’est beaucoup plus difficile quand on porte la casquette de CEO, de membre de la famille et d’actionnaire tout à la fois. Vous vous sentez constamment surveillé. ”

“Marc du Bois mérite une statue”

Jeudi 8 juin, l’échec des négociations salariales 2017-2018 s’est soldé par une grève dans l’usine d’embouteillage de Spa. Ce n’était plus arrivé depuis 1997. Le problème était résolu dès le lendemain. “Les relations sociales sont excellentes”, déclare Anne-Françoise Offermann, responsable CSC pour les cantons de l’Est. “Spadel est une entreprise modèle où règne encore une vraie ambiance familiale avec Marc du Bois en bon père de famille. Le personnel travaille ici de génération en génération. Marc du Bois mérite une statue.”

La législation européenne relative aux usines d’embouteillage facilite les choses. La mise en bouteille d’eau minérale naturelle doit se faire à la source pour garantir la pureté et la qualité de l’eau. Impossible donc de délocaliser dans les pays à bas salaires.

Spa devrait être le Knokke des Ardennes

Spadel domine la station thermale de Spa dans la province de Liège. La moitié des 466 travailleurs (100 renforts intérimaires en été) est originaire de la ville. Le producteur d’eau détient le monopole de l’exploitation des sources et paie une taxe au litre. Il alimente ainsi les caisses de l’administration communale de 5 millions d’euros par an, près d’un quart de l’ensemble des recettes. En contrepartie, Spadel bénéficie de quelques avantages : sur les 13.177 hectares de terrain protégé, toute activité industrielle et agricole est strictement interdite. En hiver, l’épandage est prohibé.

De l’avis de Marc du Bois, la ville n’est pas assez mise en valeur. “Spa ne mise pas assez sur ses atouts : la station thermale, les restaurants, les hôtels et les nombreuses autres possibilités d’hébergement. Mais aussi le superbe terrain de golf, la piscine et le casino. Sans parler des innombrables balades possibles dans le coin. Sur papier, on peut faire de Spa quelque chose de splendide. Il y a plusieurs années, j’ai dit au bourgmestre Joseph Houssa que Spa devrait être le Knokke des Ardennes. Mais Houssa a aujourd’hui 87 ans. Il aime rappeler qu’il est le plus vieux bourgmestre du pays, celui qui a siégé le plus longtemps. Difficile de négocier avec quelqu’un qui passe son temps à regarder dans le rétroviseur plutôt que d’avancer.”

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