Scandale Facebook: “Nous pensions faire quelque chose de parfaitement normal”

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Facebook était toujours ce mercredi au coeur d’une tourmente mondiale depuis que la société Cambridge Analytica a été accusée d’avoir illégalement acquis les données de 50 millions d’utilisateurs du réseau social.

La société de Mark Zuckerberg s’est dite “scandalisée d’avoir été trompée” par l’utilisation des données de ses utilisateurs par Cambridge Analytica et a dit “comprendre la gravité du problème”.

Devant l’ampleur du scandale, une commission parlementaire britannique a demandé mardi au patron de Facebook de venir s’expliquer devant elle. Et lui a donné jusqu’à lundi pour répondre.

Le jeune milliardaire a également été invité à s’exprimer devant le Parlement européen, qui va “enquêter pleinement” sur cette “violation inacceptable des droits à la confidentialité des données”.

Aux Etats-Unis, les procureurs de New York et du Massachusetts, imités par le régulateur américain du commerce (FTC), ont lancé une enquête sur ce scandale.

En toute (il)légalité

Le psychologue russe Alexandr Kogan, l’un des développeurs d’une application utilisée par Cambridge Analytica pour recueillir des millions de données sur les utilisateurs de Facebook, s’est dit convaincu d’avoir agi en toute légalité, dans un entretien mercredi à la BBC.

Se déclarant “choqué” par les accusations portées contre lui, il a estimé “être utilisé comme un bouc émissaire à la fois par Facebook et par Cambridge Analytica”.

“Nous pensions que nous faisions quelque chose de parfaitement normal”, a-t-il dit à la BBC. “Cambridge Analytica nous a assurés que tout était parfaitement légal et en conformité avec les conditions d’utilisation” de Facebook, a-t-il dit.

Les données en question auraient été récupérées via une application de tests psychologiques téléchargée par 270.000 utilisateurs du réseau social et développée notamment par Aleksandr Kogan, qui, selon Facebook, les a ensuite fournies indûment à CA.

Aleksandr Kogan, qui enseigne la psychologie à l’université de Cambridge, a mis au point un questionnaire de personnalité appelé This Is Your Digital Life.

Selon les médias américains, la Commission fédérale du commerce (FTC), un organisme public chargé de veiller à la protection des consommateurs et de la concurrence, a aussi ouvert une enquête.

Les autorités chargées de la protection des données dans l’Union européenne se sont également saisies mardi de l’affaire. Le sujet était au menu d’une réunion de ces autorités à Bruxelles, a indiqué la Commission européenne, dont une représentante devait demander des “clarifications” à Facebook, dont le cours a dégringolé en Bourse.

Dans le viseur des autorités britanniques de protection des données et de la justice américaine, Cambridge Analytica a annoncé mardi la suspension de son patron Alexander Nix, qui s’était vanté d’avoir oeuvré pour Donald Trump en 2016.

Cette décision a été prise à la suite de la publication de “commentaires” de M. Nix enregistrés par la chaîne Channel 4 News, ainsi que d’autres “allégations” formulées à son encontre, qui “ne représentent pas les valeurs” de la société, spécialisée en communication stratégique et analyse de données à grande échelle, a-t-elle expliqué dans un communiqué.

Les commentaires en question sont issus d’une enquête diffusée lundi et mardi par la chaîne britannique, où le patron de Cambridge Analytica apparaît en caméra cachée répondant aux questions d’un reporter à l’identité déguisée.

Les derniers éléments publiés mardi le montrent ainsi se vantant du rôle joué par son entreprise aux Etats-Unis dans la campagne présidentielle du candidat républicain Donald Trump en 2016. Recherche, analyse: “On a dirigé sa campagne numérique”, assure-t-il.

‘Fouiller les serveurs’

Et l’homme de mettre en avant le système d’emails auto-destructeurs qu’il utilise: “Il n’y a aucune preuve, pas de trace écrite, rien”. Pas de danger que les parlementaires américains percent son secret à jour, ajoute-t-il. “Ce sont des hommes politiques, pas des techniciens. Ils ne comprennent pas comment ça marche”.

CA, qui dispose de bureaux au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, est accusé d’avoir récupéré sans leur consentement les données de 50 millions d’utilisateurs de Facebook pour élaborer un logiciel permettant de prédire et d’influencer le vote des électeurs, afin de peser dans la campagne de Donald Trump.

Channel 4 News a également diffusé une interview enregistrée avec Hillary Clinton en octobre 2017. “Il y avait une campagne d’un genre tout nouveau qui était menée dans le camp d’en face”, y explique l’ancienne candidate démocrate en dénonçant “un effort de propagande”.

“La vraie question c’est de savoir comment les Russes ont pu cibler aussi précisément les électeurs indécis dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie”, trois Etats remportés par le milliardaire républicain, ajoute-t-elle.

Dans les enregistrements publiés lundi, Alexander Nix suggère également des techniques pour mettre en difficulté un rival politique, comme par exemple le fait d'”envoyer des filles autour de la maison du candidat”.

Interrogé dans le quotidien The Times, Alexander Nix a démenti avoir tenté de piéger des hommes politiques. Cambridge Analytica a de son côté “nié fermement” ces accusations.

Au Royaume-Uni, l’Information Commissioner’s Office (ICO), autorité indépendante chargée de réguler le secteur et de protéger les données personnelles, a demandé l’autorisation d’enquêter au sein de CA afin de pouvoir “fouiller les serveurs” et “effectuer une vérification des données”.

Facebook, comme Twitter ou Google, est accusé depuis des mois d’avoir servi à des entités liées à la Russie pour manipuler l’opinion publique, en particulier lors de la campagne présidentielle américaine ou celle du référendum sur le Brexit en 2016.

Ils sont aussi régulièrement accusés de ne pas assez protéger les données personnelles de leurs utilisateurs, qui sont la base de leur modèle économique.

Comment changer les données personnelles en or

Manger bio, avoir étudié au Mexique, aimer les chaussures: autant de données personnelles en apparence insignifiantes, mais qui permettent au géant Facebook, aujourd’hui dans la tourmente, de gagner des milliards de dollars. Explications:

“Quand c’est gratuit, c’est toi le produit”

Qui s’inscrit sur le réseau social imaginé par Mark Zuckerberg est accueilli avec cette promesse: “Facebook, c’est gratuit, et ça le restera toujours.” Mais alors, si les utilisateurs ne payent rien, comment Facebook génère-t-il ses gigantesques profits – presque 16 milliards de dollars l’an dernier, en hausse de 56% sur un an? La réponse est très simple: via la publicité. A titre d’exemple, au quatrième trimestre 2017, les recettes publicitaires ont pesé pour 98,5% du chiffre d’affaires total de l’entreprise.

Facebook applique en réalité à la lettre un slogan bien connu de tous les spécialistes du marketing: “Si c’est gratuit, c’est toi le produit”. Le “produit”, en l’occurrence, ce sont les données que chaque utilisateur fournit au réseau social, à chaque fois qu’il réagit à diverses publications – via des “like” ou des émoticônes-, qu’il publie lui-même quelque chose ou qu’il fait des recherches.

Les données, trésor pour les annonceurs

“Les données sont le pétrole d’aujourd’hui. Elles ont beaucoup de valeur, mais si elles ne sont pas raffinées, elles ne sont pas utilisables”: cette citation attribuée au mathématicien britannique Clive Humby en 2006 explique parfaitement le modèle économique de Facebook.

En “raffinant” une matière première brute – des milliards de publications, photos, interactions – le géant californien permet aux annonceurs d’envoyer des publicités dites “ciblées”. Le groupe donne d’ailleurs lui-même la marche à suivre sur une page internet dédiée aux annonceurs. “Que vous souhaitiez diffuser votre publicité auprès de personnes en fonction de leur âge, de leur emplacement, de leur passe-temps ou autre, nous pouvons vous aider à entrer en contact avec celles qui sont les plus susceptibles d’être intéressées par vos produits ou service”, peut-on ainsi lire.

“Si vous tenez un magasin de chaussures, vous pouvez par exemple cibler les personnes qui ont récemment acheté des chaussures”, explique Facebook.

Une collecte “parfaitement légale”

Si Facebook se retrouve aujourd’hui dans la tourmente à la suite de l’exploitation des données de ses opérateurs par une entreprise liée à la campagne de Donald Trump, Cambridge Analytica, son modèle économique en tant que tel est légal. Le réseau social ne vend pas les données elles-mêmes, mais l’accès aux usagers qui les publient, le plus souvent sans avoir lu en détail les conditions d’utilisation.

“On n’a pas conscience de partager tout ça et en réalité les réseaux sociaux nous connaissent mieux que nos propres parents”, déclare Nathalie Devillier, chercheuse spécialisée dans la protection des données.

Cet accès des annonceurs, il est d’ailleurs possible de le restreindre, à condition d’explorer les paramètres de son compte Facebook. Il est par exemple possible de répondre par “Non” à la question “Voulez-vous voir des publicités en ligne ciblées par centres d’intérêt de Facebook?” .

“Facebook ne va pas chercher autre chose que ce que vous avez mis sur la toile. C’est l’utilisateur qui en est responsable”, explique Gaspard Koenig, président du cercle de réflexion libéral GénérationLibre.

Ce dernier plaide pour que la logique marchande soit étendue en donnant la possibilité aux usagers eux-mêmes de vendre leurs données. L’Union européenne a, elle, choisi une autre voie, celle d’une plus grande protection des informations personnelles, avec l’entrée en vigueur fin mai d’un règlement européen sur la question.

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