RTL Belgium va licencier 105 personnes: “Joyeux anniversaire…”

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La direction de RTL Belgium a annoncé ce jeudi son intention de licencier 105 personnes. Les postes visés n’ont pas été précisés, mais ces licenciements concernent tant des salariés que des pigistes, a précisé Christopher Barzal, porte-parole de RTL Belgium.

En conseil d’entreprise extraordinaire puis devant l’ensemble du personnel, la direction a dressé ce jeudi matin les contours du plan #Evolve, le plan de transformation adopté mercredi par le conseil d’administration pour adapter le groupe audiovisuel privé aux nouveaux modes de consommation des médias et le repositionner face à la concurrence.

“La direction est restée très générale, elle est surtout revenue sur le contexte, que l’on connait déjà”, a rapporté Yves Flamand, secrétaire permanent du Setca.

Outre l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge, la direction a expliqué que la maturité du marché publicitaire en télévision se traduisait par une trop “faible progression des investissements annuels en Belgique”, selon les termes du courriel interne qu’elle a transmis à ses travailleurs. Elle a aussi pointé “la multiplication des financements publics et l’assouplissement des règles dont bénéficie la RTBF, tant en télévision (financement des séries belges notamment) qu’en radio (quotas non globalisés notamment), qui faussent la concurrence sur un marché étriqué”, ainsi que “l’arrivée d’opérateurs télécoms locaux (Proximus, Telenet, Voo) et de puissants groupes sur le marché de la consommation audio et vidéo”.

Tous les départements visés

Le plan #Evolve concerne l’ensemble des départements. Au niveau des régies publicitaires, il prévoit une fusion et “la création d’une véritable opération commerciale intégrée TV+Radio+Digital, capable d’offrir des solutions intégrées aux annonceurs”.

En ce qui concerne la rédaction, l’idée est d’organiser le traitement de l’information “sur le principe Fast News/Slow News afin de s’adapter à une demande d’informations à la fois réactive et explicative sur l’ensemble de nos médias”, a indiqué la direction sans beaucoup plus de précisions.

Pour relancer son offre digitale, RTL Belgium va par ailleurs créer “une nouvelle plateforme de catch-up TV (télévision dite de rattrapage) gratuite financée par la publicité ciblée”. Une “plateforme interne de production unique multitâches, multimarques et multimédias” est également sur les rails.

Ce plan implique notamment “la redéfinition et/ou la suppression de certaines fonctions exercées jusqu’ici en son sein: 105 collaborateurs pourraient dès lors être concernés par un licenciement”, a précisé la direction devant les travailleurs.

Le personnel a repris le travail, malgré le “drame social”

Les travailleurs de RTL Belgium sont “en colère, déçus, abattus”, a indiqué vers midi Fabian Duma, permanent de la CGSLB, à l’issue de l’assemblée générale du personnel. “On ne comprend pas. La justification, on la trouve amère: c’est de l’anticipation.”

Les quelque 800 travailleurs de l’entreprise, dont un peu plus de 500 salariés (524 selon les données de l’ONSS pour 2016), ont toutefois repris le travail. Aucune action n’est prévue à ce stade, alors que s’ouvre la procédure d’information et consultation prévue par les règles “Renault” sur le licenciement collectif.

A l’issue de l’assemblée générale du personnel, une cinquantaine de personnes se sont toutefois réunies à l’extérieur et ont chanté ironiquement “joyeux anniversaire”, référence aux 30 ans de la chaîne RTL-TVI.

“Le personnel se pose beaucoup de questions. On peut parler d’un drame social”, souligne Fabian Duma.

“On est face à une entreprise bénéficiaire”, rappelle aussi Yves Flamand. RTL Belgium doit prendre le virage de la digitalisation, admet-il. Mais “quand on est face à un problème, soit on l’affronte tous ensemble et on se serre les coudes, soit on sabre dans le personnel sans réfléchir plus loin. On a l’impression que RTL a opté pour la deuxième solution et ça nous choque”, poursuit-il.

A partir de la semaine prochaine, un conseil d’entreprise aura lieu chaque semaine sur les différentes thématiques du plan #Evolve. Les syndicats y examineront quelles alternatives aux licenciements proposer. “Le travail des délégués, ce sera aussi de connaître les conditions de travail de ceux qui resteront”, ajoute M. Duma. La direction “répondra aux questions, contre-propositions et arguments formulés par les représentants du personnel”, assure-t-elle.

“La télévision sera en perte l’an prochain si on ne fait rien”

RTL Belgium dans son ensemble se porte bien mais, “si on ne fait rien, la télévision sera en perte l’an prochain”, a expliqué jeudi matin son patron Philippe Delusinne, interrogé par les médias avant l’assemblée générale du personnel qui s’est terminée vers 12h00.

Le télévision sera le secteur le plus concerné par ces licenciements, a précisé le CEO, et ce sur toute sa chaîne de valeur (production, information…).

“Il y aura la possibilité d’avoir des départs à la préretraite”, mais “ce n’est pas une chasse aux plus anciens”, a-t-il insisté.

Si M. Delusinne reconnait que le personnel est “sous le choc”, il estime avoir jeté “les bases d’un dialogue ouvert et serein”.

Alors que les syndicats accusent la direction de faire payer aux travailleurs les conséquences de son réveil trop tardif sur l’importance du digital, Philippe Delusinne assume avoir “un petit peu de retard” en la matière, mais le justifie par “une décision très concertée, très voulue, de ne pas être dans un marché aussi petit que le nôtre en perte pendant des années avec le digital qui ne rapportait pas d’argent”. Ce virage va maintenant pouvoir être pris “avec l’apport du groupe RTL international, qui sera au niveau rentabilité plus intéressant”, espère-t-il.

Un peu plus tôt, sur les ondes de Bel RTL, Philippe Delusinne expliquait que “pour que RTL reste dans les dix prochaines années une société qui continue à faire ce qu’elle fait au niveau de la production locale, du ‘news local’ qui met en valeur les talents de la Communauté française de Belgique, il fallait changer des choses rapidement.”

“C’est ce que nous allons faire. Mais pour les téléspectateurs et les auditeurs, rien ne changera. Ce qui changera, c’est le mode opératoire, les structures au sein de la maison RTL”, a-t-il poursuivi, tout en disant “comprendre l’émoi”.

“Maximaliser le bénéfice”

Le plan intitulé #Evolve est avant tout un plan de restructuration, déplore un représentant du personnel qui préfère taire son nom. “Il est conçu pour maximaliser le bénéfice, alors que l’Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements, NDLR) de RTL Belgium est excellent: il s’élève entre 42 et 45 millions chaque année”, relève-t-il.

L’entreprise doit certes s’adapter à un contexte en mutation, dont l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge. “Mais, dans les pires estimations, on perdrait une dizaine de millions. Il resterait donc une marge confortable”, calcule-t-il. “Sans compter que, pour le groupe RTL dans son ensemble, on atteint les deux milliards annuels de bénéfice.”

“Le plan #Evolve, que certains chez nous appellent #Révolte, n’est pas un plan de sauvegarde de l’entreprise. On va sacrifier 105 familles pour maximiser le profit des actionnaires”, poursuit ce travailleur, amer.

Au-delà de ses conséquences en termes d’emploi, ce plan est encore très flou. Mais, à première vue, les gens vont “devoir travailler plus, avec une efficacité moindre”, analyse-t-il.

L’AJP craint une dégradation des contenus et des conditions de travail

L’Association des journalistes professionnels partage l’émoi et les inquiétudes du personnel de RTL Belgium auquel la direction a fait part de son intention de licencier 105 personnes. “Nous craignons une dégradation des contenus et des conditions de travail”, a indiqué Jean-François Dumont, secrétaire général adjoint de l’association.

Pour lui, la qualité du contenu et les conditions de travail futures sont un grand point d’interrogation. “Il est violent et choquant de constater qu’une entreprise bénéficiaire, qui a fait de l’information de proximité son identité, en vienne à sacrifier (des emplois) pour des motifs de prévention de prochaines difficultés. Un média ne tient pas seulement à sa capacité à générer du profit. Sa pérennité tient aussi à ses contenus. Le risque est d’en venir à sacrifier l’âme d’une entreprise.”

“Souvent, ce sont les plus anciens qui font les frais” de ce type de plans sociaux, a-t-il poursuivi. “Cela signifie aussi une perte de savoir-faire, de mémoire et un appauvrissement si les plus âgés venaient à s’en aller.”

Les employés, victimes du “réveil brutal et tardif” de la direction

“Choqués” par les informations avancées dans la presse, les représentants du personnel au sein du conseil d’entreprise ont fait savoir mercredi que tout licenciement était injustifié à leurs yeux.

“TF1 serait clairement un prétexte! Depuis près de 30 ans, la direction sait que TF1 étudie la possibilité de commercialiser ses écrans publicitaires en Belgique. Pour le moment, TF1 n’a pas pris 1 euro à RTL. S’il devait y avoir des licenciements, cela serait une mesure préventive et injustifiée pour garantir à l’actionnaire ses dividendes”, selon les représentants syndicaux.

“Le personnel réclame depuis des années la mise en place progressive d’une vraie stratégie digitale. La direction reconnaît elle-même avoir fait preuve d’immobilisme en la matière. Les employés de RTL ne peuvent pas être les victimes de ce réveil brutal et tardif”, estiment-ils, “choqués et indignés d’entendre aux travers de nombreuses déclarations que certains employés expérimentés sont stigmatisés pour leur incapacité supposée à évoluer”.

Selon ses représentants, le personnel de RTL Belgium “est décontenancé et en souffrance depuis des mois”.

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