RSCA: Marc Coucke a besoin d’un nouveau business model… et de résultats

Marc Coucke, le nouveau patron du Sporting d'Anderlecht, a du pain sur la planche. © belgaimage

Le RSC Anderlecht, hier au zénith, patauge aujourd’hui dans la compétition belge. Mais peut-on vraiment s’en étonner ? Son modèle d’entreprise, axé sur la commercialisation des joueurs, n’est pas sans risques et génère un résultat bien maigre. “Ce club a urgemment besoin d’argent”, confie un initié. Marc Coucke, le nouveau propriétaire, sait ce qui lui reste à faire.

A la mi-septembre 2017, les actionnaires du RSC Anderlecht – la famille Vanden Stock et consorts – mettaient le club en vente. Trois mois plus tard, les comptes étaient dévoilés aux intéressés. ” Le club a fait l’objet d’une gestion catastrophique ces dernières années, sur fond de mauvaise administration financière et d’ambitions sportives, explique un enchérisseur. Le club a placé son destin entre les mains des agents de joueurs, qui ont pris le club en otage. ”

Ces constatations n’ont pas effrayé Marc Coucke. L’ancien propriétaire du club d’Ostende, rival d’Anderlecht, s’est joint à Joris Ide pour racheter 74 % des parts de Royal Sporting Club Anderlecht SA. La transaction valorise l’équipe à 100 millions d’euros, dont 20 millions de dettes financières. Devenu milliardaire depuis la cession d’Omega Pharma à la société américaine Perrigo ( lire l’encadré ” Une fortune en danger ? ” plus bas), Marc Coucke investit à tour de bras. Rappelons au demeurant que Joris Ide est l’ancien propriétaire de l’usine ouest-flandrienne éponyme de fabrication de tôles en acier.

Le 21 décembre 2017, le conseil d’administration d’Anderlecht se prononçait à l’unanimité en faveur du rachat. ” Sans doute que le président Roger Vanden Stock a été séduit par un milliardaire belge intéressé, explique un observateur . C’est probablement Alexandre VanDamme qu’il avait espéré voir sortir du bois le premier. Mais ce dernier fuit les projecteurs. Contrairement à Marc Coucke, qui s’en moque. ” Ce qui est sûr, c’est que Marc Coucke a du pain sur la planche. A l’heure où le noyau des joueurs fait l’objet d’un profond remaniement, le modèle d’entreprise du club mériterait lui aussi d’être revu. Comparativement aux clubs de Bruges et de Gand, par exemple, deux clubs d’élite, Anderlecht affiche une gestion très singulière.

Le chiffre d’affaires généré par son coeur de métier, à savoir jouer au football, est fortement corrélé aux résultats de la campagne européenne. Le chiffre d’affaires se compose principalement des revenus issus de la vente de tickets, des droits de télévision, des services de restauration, du sponsoring et du merchandising. Sans oublier les gains des compétitions européennes. La dernière participation d’Anderlecht en Champions League remontait à la saison 2014-2015. Cette compétition d’élite européenne grossit d’un coup le chiffre d’affaires de quelque 10 millions d’euros. Et il devrait une nouvelle fois augmenter avec la campagne 2017-2018.

La Champions League fut aussi, ces dernières saisons, très profitable pour les clubs de Bruges et de Gand. Concernant ce dernier, il peut désormais également compter sur son nouveau stade : la Ghelamco Arena. Celui-ci peut accueillir bien plus de supporters que l’ancien Ottenstadion. Le nouveau stade affiche presque toujours complet et la fréquentation est passée de 7.000 supporters en moyenne à 18.000-20.000. Le nombre d’abonnés a atteint des sommets sans précédent. En moyenne, Anderlecht accueille 19.000 supporters. Le nombre de sièges a reculé de 5.000 unités au cours des 10 dernières années. “Un choix délibéré, vu les normes de sécurité plus strictes et les places devenues plus coûteuses, indique Jo Van Biesbroeck, administrateur délégué et directeur opérationnel du club. Face aux autres clubs, nous sommes celui qui tire les plus hauts revenus, entre autres du sponsoring et des services de restauration. ”

De prime abord, le bilan du RSC Anderlecht paraît excellent. Lors de la saison 2016-2017, la société a fait état de produits d’exploitation record. Non pas grâce au chiffre d’affaires, mais plutôt grâce à la rubrique ” autres produits d’exploitation “. Celle-ci contient essentiellement les revenus tirés des transferts de joueurs. Pour l’exercice 2010-2011, le football à proprement parler représentait encore 81 % des produits d’exploitation, contre à peine 42 % aujourd’hui, la part résiduelle provenant des transferts de joueurs.

Cerise sur le gâteau, la presse a relayé que le Sporting aurait touché 25 millions d’euros l’année dernière avec le départ de Youri Tielemans pour l’AS Monaco, quoique ce montant doive être pris avec des pincettes. ” Les montants des transferts sont généralement tenus secrets. Prudence, donc, avec les montants annoncés par la presse, précise Veerle Catry, partner au sein du bureau de consultance BDO et réviseur d’entreprise, notamment pour le club de Bruges. C’est une question de confidentialité entre les clubs. Ils n’ont aucun intérêt à voir ces montants publiés. La valeur des transferts dépend des négociations entre acheteur et vendeur. Le montant peut par ailleurs être réglé en une seule fois ou par tranches sur plusieurs années. ” Dans ce dernier cas, le paiement apparaît au bilan sous la rubrique ” créances “. Au terme de la dernière saison, après la vente de Youri Tielemans, cette rubrique dans le bilan d’Anderlecht affichait un montant record : 39 millions d’euros, soit deux fois plus que pour la saison 2015-2016.

RSCA: Marc Coucke a besoin d'un nouveau business model... et de résultats

Spéculation

Mais il y a mieux encore. Lors de l’exercice 2016-2017, la valeur des joueurs représentait environ quatre cinquièmes du bilan. Rien d’inquiétant, selon Jo Van Biesbroeck, qui précise que la commercialisation des joueurs constitue le modèle de croissance du club. ” Nous souhaitons générer de nouveaux flux de revenus grâce aux transferts sortants. Cette stratégie entraîne toutefois une plus grosse masse salariale et s’accompagne d’un risque plus important. Il convient en outre d’instaurer un cadre favorisant le développement de talents. Vous devez être prêt à investir, tant dans l’encadrement des jeunes que dans l’achat de talents sous-évalués que vous pourriez revendre avec une plus-value. Nous avons ainsi acheté des joueurs tels que Sven Kums, Lukasz Teodorczyk et Nicolae Stanciu. Ce dernier a depuis été revendu. L’objectif était de constituer un noyau fort. ”

Le cas Stanciu prouve aussi que cette stratégie peut connaître des ratés, ce joueur ayant été revendu avec une moins-value. Même chose pour le décevant Teodorczyk. Il est peu probable que le Sporting puisse récupérer son investissement.

” Il s’agit d’un modèle d’entreprise spéculatif, affirme un observateur. Il repose sur des sables mouvants. Quel joueur leur reste-t-il à vendre au bout du compte ? Le Sporting s’est déjà délesté de nombreux joyaux. Le bilan évolue comme une crosse de hockey. Avec un peu de chance, le club peut bien revendre certains joueurs. Mais quel objectif poursuit-il au final ? Cette gestion est hasardeuse sur le long terme. ”

Force est de constater que la gestion actuelle du Sporting n’a pas renforcé sa rentabilité. La forte croissance des produits d’exploitation ne se traduit pas par une progression soutenue du bénéfice d’exploitation. Ce sont plutôt les charges d’exploitation qui s’envolent, en raison notamment des montants versés aux agents de joueurs qui orchestrent les transferts. Parmi eux, Mogi Bayat, l’un des principaux agents du parc Astrid et l’un des grands gagnants de cette commercialisation des joueurs.

Pour poursuivre la comparaison avec Bruges et Gand, les activités principales (supporters, tickets, sponsoring) de ces deux clubs dégagent des flux de trésorerie plus importants. Le Sporting dispose à cet égard de liquidités beaucoup plus limitées. Son modèle d’entreprise, axé sur la commercialisation des joueurs, débouche sur des flux de revenus instables. A la clôture de l’exercice 2016-2017, Anderlecht comptait un peu plus de 390.000 euros en caisse, alors que le club dépense près de 2 millions d’euros par semaine en charges d’exploitation.

Le Sporting a également pu compter ces dernières années sur le soutien financier de ses actionnaires. Surtout celui du milliardaire Alexandre Van Damme. Au terme de l’exercice précédent, le bilan affichait 8,4 millions d’euros en prêts d’actionnaires : 6 millions prêtés par Alexandre Van Damme, le reste par la famille Vanden Stock.

Une augmentation de capital s’impose

Les observateurs se font pourtant du souci concernant les faibles liquidités du Sporting d’Anderlecht. ” Ce club a urgemment besoin d’argent “, faisait remarquer l’un des enchérisseurs en décembre. Tout indiquait que le nouveau propriétaire ne pourrait échapper à une augmentation du capital. ” Anderlecht doit investir. Pas dans des joueurs pour les revendre, mais dans l’amélioration des contacts avec les supporters grâce aux canaux numériques. Ou encore dans une gestion professionnelle du magasin en ligne et du merchandising. Ou dans une nouvelle infrastructure. Le club doit chercher à remplir son stade. ”

” Les huit dernières années n’ont pas nécessité d’augmenter le capital, souligne Jo Van Biesbroeck. Et ce grâce à notre politique d’achat et de vente de joueurs. La construction d’un nouveau stade entraînerait bien sûr une augmentation du capital, à moins que l’on opte pour une location. Mais ce ne serait pas idéal. ”

Marc Coucke souffle pour l’heure le chaud et le froid sur le sujet. Pour les observateurs, par contre, il apparaît comme inéluctable de rénover le stade Vanden Stock vieillissant, ou d’en construire un nouveau. Le club pourrait, ce faisant, remettre l’accent sur son coeur de métier : générer des revenus à partir du football. Cela étant, Ghelamco, dirigé par Paul Gheysens, autre candidat au rachat éconduit, maintient la pression. Le promoteur signait en octobre 2015 un accord de principe avec le club portant sur la location d’un nouveau stade sur le site du Heysel. Si les projets de construction ont été abandonnés, l’accord reste valable aux yeux de Ghelamco. La location annuelle s’élève ainsi à 9 millions d’euros. Anderlecht aurait toutefois la possibilité en contrepartie de renforcer ces flux de revenus, grâce à la hausse du nombre de supporters. A cet égard, de bons résultats sportifs seraient bienvenus.

Une fortune en danger ?

Depuis qu’il a vendu son bébé Omega Pharma au groupe pharmaceutique Perrigo pour la coquette somme de 3,6 milliards d’euros, Marc Coucke figure en bonne place dans le classement Forbes des hommes les plus riches de la planète, avec une fortune estimée à un bon milliard d’euros. Mais trois ans après le deal, les Américains s’estiment floués. Accusant l’entrepreneur flamand d’avoir embelli les comptes d’Omega Pharma de façon frauduleuse, ils lui réclament, ainsi qu’au fonds d’investissement Waterland, au moins 1,9 milliard d’euros, soit l’équivalent de ce que Perrigo a perdu en Bourse ces deux dernières années suite à l’acquisition de la société belge.

Alors, info ou intox ? Sur son compte Twitter, Marc Coucke se dit confiant quant à l’issue de cette bataille juridique dont le verdict n’est pas attendu avant trois ans. ” Dans notre Etat de droit, tout le monde peut réclamer des montants très importants à tout le monde. C’est évidemment embêtant. Mais le contrat a été établi selon le droit belge. Une défense/contre-attaque est minutieusement examinée. Nous avons pleine confiance en l’avenir. ”

En attendant, les experts estiment que la procédure n’est pas de nature à mettre en danger la fortune personnelle de Marc Coucke. D’abord parce qu’il est fort probable que celle-ci se solde par un règlement à l’amiable. Ensuite parce que le Gantois a très certainement pris en compte ces éventuelles conséquences financières. Les entreprises dans lesquelles il a réinvesti une partie du produit de la vente d’Omega Pharma n’ont donc pas trop de soucis à se faire : Pairi Daiza, Mithra, La Petite Merveille (Durbuy), etc. De même que sa dernière danseuse, le Sporting d’Anderlecht. D’autant que connaissant Marc Coucke, que seule la place de numéro 1 intéresse, il n’a pas racheté le club bruxellois pour faire de la figuration. Sa rivalité avec le club de Bruges et son propriétaire, le magnat de l’immobilier Bart Verhaeghe (Uplace), est aussi trop grande pour cela. Son objectif est clairement d’être champion un jour avec Anderlecht. Et de réaliser ainsi un rêve qu’il n’a pas pu concrétiser avec Ostende.

Par Sébastien Buron.

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