Que font les entreprises de leur argent ?

Les actionnaires s’en mettent-ils vraiment plein les poches comme l’affirment d’aucuns ? Ou s’agit-il simplement d’un cliché pour populistes en mal d’audience ?

Pour le savoir, nous avons mené l’enquête grâce aux données du dernier Top 30.000 qui vient de sortir de presse, en laissant de côté les banques et les compagnies d’assurance dont les comptes annuels sont présentés selon des schémas particuliers pour nous intéresser aux seules entreprises industrielles, commerciales ou financières qui ont terminé l’année en bénéfice. Dans notre Top, elles sont 24.515 et ont, ensemble, engrangé 76 milliards d’euros. C’est un peu plus que d’habitude. D’une année à l’autre en effet, la somme des bénéfices reste relativement stable et tourne autour des 60 milliards. Ce montant est bien évidemment différent du résultat global repris en encadré et obtenu en diminuant les bénéfices des pertes.

Le total des bénéfices 2011 détonne un peu par rapport aux années précédentes. Le responsable de cette “déviance” est AB Inbev qui a acté une plus-value de 15,1 milliards sur la vente d’une participation néerlandaise à une autre filiale batave. Le groupe brassicole pulvérise ainsi son précédent record : 7,7 milliards en 2009, répartis entre deux sociétés du groupe. L’énormité du montant pèse évidemment sur l’ensemble des résultats et il importe d’en tenir compte dans leur appréciation.

Bénéfices distribués et reportés
Sur les 76 milliards de bénéfices réalisés en 2011, 10 ont été affectés aux capitaux propres, 30 ont été distribués aux actionnaires et autres ayants-droit et le solde a été reporté. L’on obtient ainsi un taux de distribution de 40 % qui remonte à 52 % si l’on fait abstraction des résultats d’AB Inbev. Le même calcul effectué sur cinq exercices fait apparaître le même pourcentage : 52 %. Bref, une moitié des bénéfices reste dans l’entreprise ce qui donne pour sociétés de notre Top un montant à reporter de 157 milliards.

Il s’agit évidemment d’une moyenne et d’une année à l’autre, les pourcentages distribués ne sont pas identiques. Il en va de même selon les secteurs. Les entreprises chimiques, par exemple, ont distribué en 2011 moitié moins que les entreprises de construction : 27 % contre 55 %, et les sociétés de distribution qui dans le cas présent semblent justifier leur appellation encore davantage : 64 %.

La même diversité se retrouve au niveau régional. La distribution des bénéfices est plus généreuse en Flandre (49 %) qu’à Bruxelles (33 %) ou en Wallonie (31 %). Abstraction faite des résultats d’AB Inbev, le pourcentage de bénéfices distribués à Bruxelles remonte toutefois à 52 %. C’est à Bruxelles que se trouve, grâce à AB Inbev, concentré l’essentiel des bénéfices du pays : 41 milliards contre 29 pour la Flandre et six pour la Wallonie. Calculée sur cinq ans, la quote-part relative des régions s’établit à 47 % pour Bruxelles, 43 % pour la Flandre et 9 % pour la Wallonie.

On peut disserter à perdre haleine sur le surpoids offert à Bruxelles par la concentration sur son territoire de sièges sociaux d’entreprises en réalité actives dans l’une ou l’autre Région du pays, voire les deux, il n’en demeure pas moins que dans tous les cas de figure, la quote-part de la Wallonie reste congrue : 8 % pour 2011 et 9 % pour les cinq dernières années.

Certes, la Wallonie est clairsemée en holdings et plus encore en sociétés financières intragroupes qui ont pris le relais des défunts centres de coordination. Les uns comme les autres alignent en effet avec une régularité de métronome des bénéfices plus que confortables. Ces sociétés financières laissées de côté, la quote-part des bénéfices imputables à la Wallonie remonte à 12 %. Est-ce beaucoup, peu, insuffisant ? A chacun de juger. Ce résultat est en tout cas fragile car tributaire des aléas d’une seule entreprise : GSK Biologicals. Etabli dans le Brabant wallon, ce producteur de vaccins assure en effet à lui seul, sur cinq ans, 17 % des bénéfices de la Wallonie. Sans son apport, la quote-part de la Wallonie retomberait en dessous de 10 %.

Enorme dette wallonne envers le fisc et l’ONSS
Ce pourcentage, mis en rapport avec deux autres, a tout de même de quoi inquiéter. Lorsque dans les annexes des comptes annuels l’on s’intéresse aux rubriques 9072 et 9076 sous lesquelles doivent respectivement figurer les dettes fiscales et sociales échues la quote-part de la Wallonie grimpe en flèche. Elle atteint 40 % en matière sociale et 47 % en matière fiscale pour l’exercice 2011. Le fisc comptant en annuités et l’ONSS en trimestres, remonter dans le temps n’avait pas grand intérêt. Ces deux paramètres sont souvent considérés comme des signes avant-coureurs d’une défaillance prochaine. Les dettes sociales et fiscales d’aujourd’hui hypothèquent en effet le futur de l’entreprise.

Et il est loin d’être rose. Si l’entreprise ne parvient plus à honorer ses dettes envers des créanciers aussi inflexibles que le fisc ou l’ONSS, il est craindre qu’elle n’ait plus grandes ressources à sa disposition et la disproportion entre la quote-part de la Wallonie en termes de bénéfices d’une part, de dettes fiscales et sociales d’autre part, pose pour le moins question. Les secteurs les endettés envers ces deux organismes sont les seniories en Wallonie, le nettoyage à Bruxelles et le transport ainsi que la logistique en Flandre.

Tony Coenjaerts

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