Quand les enseignes investissent pour transformer les vendeurs en experts

La chaîne Planet Parfum se diversifie en ouvrant des instituts de beauté, où elle propose, notamment, des séances de massage. © PG / Luc Viatour
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

A l’heure de l’e-commerce, les enseignes ont bien compris l’importance de l’expérience client pour redonner de la pertinence à leurs points de vente physiques. Cela passe notamment par le renforcement du conseil et du service. Dans ce contexte, les académies internes se multiplient. Avec un objectif: former les vendeurs pour en faire de véritables experts.

“N’oubliez pas que vous n’êtes pas des vendeurs et des vendeuses, mais bien des conseillers et des conseillères de beauté. ” Le ton est donné au siège de la chaîne Planet Parfum, à Anderlecht. Elles sont une petite vingtaine à suivre la formation dispensée ce matin par un représentant d’une marque de soins vendue en exclusivité par l’enseigne. Sur la table, les bols d’eau côtoient les miroirs et les boîtes de Kleenex. C’est que les vendeuses présentes, à qui l’on a pris soin de distribuer un syllabus reprenant les caractéristiques de tous les produits de la marque, vont devoir se livrer durant cette journée à quelques exercices pratiques.

” Avec toutes les émissions, les ‘tutos’ qui expliquent comment faire sa crème soi-même, les blogueurs et les influenceurs, il faut que nous soyons beaucoup plus armées, lâche une vendeuse, qui nous assure toutefois ne pas être dupe. Aujourd’hui, c’est le discours d’une marque. Mais nous avons le même genre de formation avec d’autres marques, et nous nous faisons ensuite notre propre idée. Personnellement, face à la demande d’une cliente, j’essaie toujours de conseiller plusieurs marques. ”

Dans la stratégie de ” reconquête ” déployée ces derniers temps par Planet Parfum, le conseil et le service occupent une place prépondérante. Alors les formations de ce type se multiplient. ” Chacun de nos collaborateurs suit aujourd’hui trois ou quatre jours de formation par an, explique le CEO Tanguy De Ripainsel. Le conseil a toujours été au coeur de notre métier, mais ce doit être encore plus le cas aujourd’hui. A l’heure de la digitalisation, nous pouvons nous différencier par le service et le conseil. Par ailleurs, les consommateurs ne fréquentent plus une seule chaîne, et certaines choses qui n’étaient pas la norme auparavant le deviennent aujourd’hui. On ne peut donc plus se permettre d’offrir une expérience client moyenne. ”

La chaîne a ainsi décidé de mettre de l’ordre dans ses formations et de les centraliser davantage à son siège d’Anderlecht. Elle a créé fin 2015 sa ” Talent Academy ” au sein de laquelle travaillent quatre formateurs. C’est qu’en dehors des formations dispensées par les marques elles-mêmes, le groupe forme en interne aux métiers de la vente. Il fait par ailleurs appel à des formateurs extérieurs n’étant pas nécessairement liés à des marques. ” C’est le cas pour nos formations au maquillage ou pour nos instituts de beauté, précise le patron, qui a récemment lancé des modules d’e-learning en magasin. ” Une demi-heure par semaine, chaque collaborateur doit suivre un module dont le contenu est chaque fois renouvelé, explique Tanguy De Ripainsel. Cela peut concerner un nouveau produit, une nouvelle procédure, etc. C’est un préalable pour accéder aux formations. ”

Tom&Co : une formation de 60 heures en interne

Autre enseigne, stratégie similaire. Depuis qu’il a racheté Tom&Co à Delhaize en 2016, Lionel Desclée s’est donné pour mission de repositionner l’animalerie sur le conseil et le service. ” Le supermarché de la croquette, il est derrière nous “, déclarait-il dans nos colonnes l’année dernière. Et pour cause : face aux pure players du secteur, le rôle d’une chaîne comme Tom&Co doit évoluer pour conserver sa raison d’être. C’est ainsi que l’enseigne propose de plus en plus de services comme le toilettage, la garde d’animaux, etc. Le personnel, lui, doit être de plus en plus formé. ” L’alimentation animale est davantage segmentée et pointue, assure le CEO. Il est difficile de s’y retrouver pour le client. C’est pourquoi la formation de notre personnel est au coeur de notre stratégie. ”

Au niveau du recrutement, Tom&Co mise de plus en plus sur des collaborateurs diplômés : des assistants-vétérinaires, des toiletteurs, des comportementalistes, etc. Mais la chaîne vient également de lancer une formation de 60 heures (14 modules) en interne. ” Nous avons recruté deux personnes pour coordonner cette formation, explique Lionel Desclée. Ils viennent s’ajouter aux formateurs externes et aux animateurs de réseau qui forment directement dans les magasins. ”

La création de valeur, aujourd’hui, ne peut plus être uniquement liée à la vente de marchandises. Elle doit également être liée à la vente de services.” Sven Degezelle, CEO de Media-Saturn Belux

Pour ce responsable, la formation est un investissement à long terme. ” On n’en voit pas directement le résultat, mais il faut garder en tête ce que l’on veut comme objectif “, dit-il. En mettant en place ce cycle de formation, le groupe a dû tenir compte de plusieurs éléments. Alors que Tom&Co travaille avec des franchisés, chaque heure de formation est une heure qui n’est pas passée en magasin. ” La formation est donc totalement gratuite “, assure Lionel Desclée. Par ailleurs, de tels investissements ne peuvent être engagés sans s’assurer du résultat. ” Il est nécessaire que la personne qui entre dans le cycle de formation puisse aller jusqu’au bout et être diplômée, affirme Fabien Leroux, responsable de la Tom&Co Academy. En outre, nous devons constater une plus-value très rapidement. C’est le rôle des animateurs de réseau qui doivent vérifier sur le terrain si la formation est correctement appliquée. Dans ce genre de stratégie, le suivi est primordial. ”

MediaMarkt : trois académies et une… université

Enfin, le leader des produits électroniques et électroménagers chez nous, MediaMarkt, a lui aussi opéré récemment un virage à 180 degrés, quittant le modèle du cash&carry pour devenir un joueur omnicanal misant sur le service et le conseil en magasin. ” Nous avons décidé de renforcer fortement la formation de notre personnel, déclare Sven Degezelle, CEO de Media-Saturn Belux. Avec la transparence de l’omnicanal, se différencier sur l’assortiment, la gamme ou le prix devient de plus en plus difficile. Des algorithmes scannent chaque jour tous les prix et s’alignent. Pour se différencier, il faut donc autre chose. La création de valeur, aujourd’hui, ne peut plus être uniquement liée à la vente de marchandises. Elle doit également être liée à la vente de services. C’est pourquoi nous proposons par exemple la réparation des écrans de smartphones, des formations à destination de nos clients pour l’utilisation de certains articles, des cours de cuisine, des formations au montage, au traitement de l’image, à l’utilisation d’un appareil photo professionnel, etc. ”

D’après notre interlocuteur, trois défis se posent aujourd’hui au monde du retail dans son ensemble : le défi de la délocalisation, celui de la déshumanisation, et enfin la vague de l’intelligence artificielle qui met en danger certains emplois. ” Cela doit être vu comme une opportunité d’éliminer les tâches répétitives, insiste Sven Degezelle. Nous n’avons pas l’intention de supprimer ces postes, mais bien de reformer nos collaborateurs en vue de nouveaux postes qui s’ouvrent, notamment dans tout ce qui est marketing digital, big data, etc. Il y a 10 ans, nous formions nos collaborateurs sur les produits et leurs caractéristiques. Aujourd’hui, nous les formons davantage sur la manière de servir les clients, car ces derniers se sont déjà renseignés en ligne et connaissent les caractéristiques des produits. Il faut plutôt expliquer l’utilisation qu’ils peuvent en avoir et proposer une solution à un besoin. ”

Alors que MediaMarkt faisait jusqu’à présent appel à des sociétés de consultants externes, le groupe a décidé d’internaliser la formation presque à 100 %. Trois académies sont en train d’être mises sur pied, une dans chaque région. ” Notre première académie ouvrira fin février à Bruxelles, explique le patron. Nous sommes en train d’engager. Au total, cinq formateurs y seront actifs, et l’investissement pour le bâtiment se monte à 500.000 euros. ” L’idée de ces académies est de disposer de structures de formation en dehors des magasins et de créer une université (oui, vous avez bien lu) destinée à faire évoluer les collaborateurs en interne. ” Pour le moment, nous envoyons beaucoup de personnes à Solvay ou à la Vlerick Business School. L’idée serait de pouvoir les former en interne. ”

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