Quand l’armée belge snobe l’industrie nationale

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Un marché d’un milliard d’euros pour le renouvellement du matériel de la force terrestre risque de passer sous le nez des fabricants belges. ” Choquant “, tonne le président de CMI Bernard Serin.

Nul n’est prophète en son pays. La maxime est en passe de se confirmer aux dépens de CMI, FN Herstal et de quelques autres à l’occasion du programme CAMO, par lequel l’armée belge ambitionne d’acheter plusieurs centaines de véhicules de combat pour la force terrestre. Elle est en passe de conclure le marché, estimé à 1,1 milliard d’euros, avec les industriels français qui fournissent déjà du matériel similaire à l’armée française. Sans même consulter d’offre de la part d’entreprises belges.

“L’armée américaine nous a sélectionnés au niveau mondial pour fournir le prototype pour le renouvellement de ses tourelles de char et dans notre propre pays, on ne nous considère même pas, s’insurge le président de CMI, Bernard Serin, ce mardi à l’occasion de la présentation des résultats 2017 du groupe. C’est choquant. En principe, l’armée de leur pays sert de vitrine aux fabricants.” CMI a été retenue dans deux programmes de l’armée américaine et espère que cela débouchera sur un contrat l’automne prochain.

En attendant, le contrat belge risque de lui filer sous le nez. On attend une première prise de position du gouvernement en mars pour une décision en juin. Un timing assez serré pour du matériel qui doit être livré en 2025… Chez CMI, on craint d’être ici victime d’un “jeu de billard à trois bandes”, le marché terrestre servant en quelque sorte de compensation aux Français, écartés de la course pour le remplacement des avions militaires F16. “Nous pourrions fournir des tourelles d’une qualité supérieure pour un prix moins cher, reprend Bernard Serin. Nous pouvons aussi assembler les véhicules et la FN peut aussi apporter des équipements.” Il rappelle, au cas où le ministre N-VA de la Défense Steven Vandeput aurait une vision communautaire du dossier, que CMI possède une implantation à Willebroek et FN Herstal à Zutendaal, et qu’il est donc possible de veiller aux “équilibres régionaux”.

Bernard Serin, à droite.
Bernard Serin, à droite.© Belga

Le lobbying discret de CMI n’a pas produit ses effets, l’entreprise place donc le débat sur la place publique. L’armée a opté pour la voie d’un marché de gré à gré au lieu de lancer un appel d’offres (on s’étonne que cela soit possible quand les communes doivent passer des marchés publics pour quelques milliers d’euros…). Elle avance l’argument de l’interopérabilité : comme l’armée belge ne se retrouve pas seule dans les zones de combat, mais au sein d’alliances européennes, avec généralement l’armée française, autant veiller à ce que les équipements soient similaires.

Une vraie contre-publicité

CMI balaie l’argument : l’interopérabilité ne concerne que le système d’information, en l’occurrence le français Thalès (qui dispose aussi d’installations en Belgique). Tout le reste ne doit pas nécessairement être identique. CMI réclame donc au moins le droit d’être mise en concurrence avec les producteurs français. “C’est quand même un peu incongru que le gouvernement belge ne veille pas à avoir un minimum de retombées sur l’industrie belge dans un tel marché, renchérit Jean-Luc Maurange, administrateur-délégué du groupe. C’est d’autant plus dommage que ces véhicules peuvent avoir un bel avenir à l’exportation. Ne pas les choisir pour son marché national, c’est une vraie contre-publicité pour nos tourelles.”

En 2017, CMI a réalisé un chiffre d’affaires “honorable” de 950 millions d’euros. En retrait par rapport aux records de 2015-2016 (1,3 et 1,2 milliards), mais au-dessus de 2014. Cela s’explique par la défaillance de son partenaire espagnol Abengoa et le retard de plusieurs projets, notamment dans l’expédition de tourelles en raison des livraisons tardives de certains fournisseurs (CMI assemble, mais ne produit pas elle-même toutes les 400 pièces qui entrent dans la fabrication d’une tourelle de char). Ces délais impacteront positivement les résultats 2018. Et comme en outre, les inscriptions de commandes sont reparties à la hausse, CMI s’attend à égaler ses records en 2018, voire à les dépasser.

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