Prayon, le Liégeois qui fera rouler les bus chinois

L'usine située à Engis produira annuellement 2.500 tonnes de phosphate de fer, une substance qui entre dans la composition des batteries lithium-ion. © PG

Pour répondre à la pollution dramatique qui frappe l’Empire du Milieu, Pékin donne la priorité aux bus électriques. Résultat : on va entamer la construction d’une nouvelle unité de production de phosphate de fer en région liégeoise !

Les producteurs chinois de cathodes avaient un souci : un des composants chimiques ne donnait pas satisfaction, parce que le taux de rebut en fabrication était trop élevé. Pour Pulead, un des plus importants d’entre eux, c’est de Belgique qu’est venue la solution. Explication : le produit final qui entre dans les batteries lithium-ion, aujourd’hui les plus sécurisées, est le LFP, pour lithium-fer-phosphate, ou phosphate de fer lithié. Le lithium sera ajouté, en Chine, au phosphate de fer produit à Engis, en bord de Meuse, principal site de production du groupe Prayon. La qualité de son matériau a convaincu l’entreprise chinoise de signer un contrat d’approvisionnement de cinq ans, renouvelable. Une co-entreprise est également créée pour l’exportation hors de Chine.

Avec ou sans phosphate ? Cette substance se retrouve dans de nombreux produits alimentaires. Elle peut servir d'agent conservateur ou améliorer la texture en évitant la séparation de l'huile et des protéines. © PG
Avec ou sans phosphate ? Cette substance se retrouve dans de nombreux produits alimentaires. Elle peut servir d’agent conservateur ou améliorer la texture en évitant la séparation de l’huile et des protéines. © PG© PG

Engis produira 2.500 tonnes de phosphate de fer par an. Ce n’est pas colossal dans l’absolu, mais il s’agit d’un produit de grande pureté valant 5.000 dollars la tonne ! Il gonflera d’emblée le chiffre d’affaires, qui était de 709 millions d’euros en 2015. Occupant quelque 1.400 personnes, Prayon est leader mondial dans les produits phosphatés. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il est contrôlé conjointement par la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW) et par l’Office chérifien des phosphates (OCP), société détenue par l’Etat marocain et premier exportateur mondial de phosphate, qui disposerait de trois quarts des réserves mondiales.

Adieu les détergents

Le phosphate trouve diverses applications nouvelles, ou en progression, telles que le traitement anticorrosion des métaux, ou encore celui de l’eau.

Autre débouché important à l’avenir pour ces batteries au phosphate : le stockage de l’électricité, pour équilibrer les réseaux électriques. Pour les mêmes raisons, mais amplifiées : plus volumineuses mais moins chères que les autres, et offrant une grande sécurité. Avec le développement de l’éolien et du photovoltaïque, ce stockage deviendra une impérieuse nécessité. ” Tout ceci représente une chimie nouvelle, de grande précision, où les tolérances sont infiniment moins grandes que dans le passé “, observe Yves Caprara, administrateur délégué de Prayon.

Ces nouveaux marchés sont bienvenus, et pas seulement pour leur forte valeur ajoutée : certains usages plus classiques des phosphates sont en repli. Ainsi en va-t-il du secteur des détergents, qui représente encore un quart des ventes du groupe. Alors que le phosphate est banni des détergents pour lave-linge depuis une dizaine d’années, il le sera aussi des lave-vaisselle le 1er janvier prochain. Aujourd’hui en Europe et aux Etats-Unis, demain en Chine… Seule exception législative : les hôpitaux. L’hygiène y prime et le phosphate reste autorisé par l’Europe.

709 millions d’euros, c’est le chiffre d’affaires réalisé en 2015 par Prayon, leader mondial dans les produits phosphatés

” C’était connu de longue date et nous avons fait une croix dessus : le phosphate étant un nutriment, on ne peut nier qu’il est susceptible de nourrir les algues dans les rivières, admet Yves Caprara. Plutôt que de défendre une cause perdue, je préfère aller de l’avant pour trouver d’autres usages et d’autres marchés. Offrant davantage de valeur ajoutée. ”

Le phosphate trouve diverses applications nouvelles, ou en progression, telles que le traitement anticorrosion des métaux, ou encore celui de l’eau. Nombre de grandes villes, de New York à Paris, possèdent encore énormément de canalisations en plomb. Pour éviter la contamination de l’eau et écarter le danger de saturnisme, on y injecte de l’acide phosphorique qui dépose une pellicule de phosphate dans les tuyaux.

Aussi dans l’assiette !

Umicore : ex-partenaire, pas concurrent

Prayon, c’est également le zinc. Ce métal constituait même le métier exclusif de la société lors de sa création en 1882. Elle y est revenue voilà une quarantaine d’années, via sa filiale (à 50%) Silox, et n’est pas prête d’y renoncer. A preuve : Silox s’était portée candidate au rachat de la filiale Zinc Chemicals d’Umicore, qui lui a été soufflée en juin dernier par le fonds californien Open Gate Capital.

Prayon et Umicore se connaissent bien. Les deux groupes ont lancé une filiale commune en 2012 : be-Life, dont l’entreprise liégeoise a repris le contrôle l’an dernier. S’ils sont tous deux actifs dans les composants pour batteries, Umicore est plutôt tourné vers les smartphones, qui exigent de petites unités très puissantes. Prayon est pour sa part orienté vers les grosses batteries alimentant les bus. “Mais également celles destinées aux voitures en partage, ne parcourant qu’une centaine de km par jour, précise Yves Caprara. Celles de la Tesla, c’est un autre métier.”

” Nos produits font partie de votre quotidien et sont partout dans la maison “, affirme la société liégeoise. En voie de disparition dans les détergents, le phosphate se retrouve dans de nombreux produits alimentaires. Tantôt comme agent conservateur, tantôt (aussi) pour améliorer la texture en évitant la séparation de l’huile et des protéines. Cas typique : le fromage fondu. Un marché modeste dans nos contrées, mais considérable dans les pays chauds. Ces applications représentent un quart du chiffre d’affaires de Prayon, à peine moins que les fertilisants ! Les dérivés du phosphate sont ainsi utilisés dans la fabrication de certains aliments carnés, la conservation des crevettes surgelées, le blanchiment du sucre, ainsi que pour empêcher le noircissement des pommes de terre après épluchage. Ils stabilisent également la vitamine C dans les jus de fruit et, en réaction avec le bicarbonate de soude, sont agents levants dans les gâteaux et pâtisseries. Bref, sans le savoir, la plupart des Belges en mangent très régulièrement, fût-ce en quantités infimes. Et sans danger : ” Notre corps contient naturellement du phosphate, rappelle Yves Caprara. Celui contenu dans le sang permet de dégager l’énergie. Et n’oublions pas que nos os sont composés de phosphate de calcium “, sourit-il.

Partenaire de PLAISIR

Le jeu de mots est… plaisant, bien sûr, mais l’initiative sérieuse. Lancé en décembre 2015 avec un budget frôlant les 3 millions d’euros, le projet ” production locale d’aliments immergés, sains, innovants et renouvelables “, d’où l’acronyme PLAISIR, a pour ambition de soutenir le lancement d’une nouvelle filière alimentaire basée sur les micro-algues. La spiruline en l’occurrence, une algue consommée de longue date au Mexique et au Tchad notamment. Très riche en protéines, mais aussi en calcium, fer, ou encore vitamine B12 et E, la spiruline passe pour l’aliment le plus complet qu’on puisse trouver dans la nature. Vendue en Occident sous forme de pastilles, elle est promise à un brillant avenir dans les pays sous-développés. En réponse à la malnutrition, mais également au manque d’espace et de ressources pour les autres sources de protéines : la spiruline demande cinq fois moins d’énergie, quatre fois moins d’eau et 20 fois moins de surface que le soja.

“Un domaine à forte valeur ajoutée car de haute technologie” – Yves Caprara, administrateur délégué de Prayon

Prayon, le Liégeois qui fera rouler les bus chinois
© PG

TRENDS-TENDANCES. Le phosphate est largement assimilé aux engrais et ces derniers restent synonymes d’activité à faible valeur ajoutée. Ce n’est plus vrai…

YVES CAPRARA. Nous parlons plutôt de fertilisants que d’engrais et cela correspond à une grande avancée technologique. Prayon est aujourd’hui présent presque uniquement dans les fertilisants solubles, dérivés de l’acide phosphorique purifié, qui apportent à la plante exactement la dose nécessaire. Ils sont composés tant en fonction de l’espèce que du substrat. C’est donc un domaine, encore assez nouveau, à forte valeur ajoutée car de haute technologie. C’est à ce titre, notamment, qu’OCP (actionnaire à 50 %, Ndlr) nous perçoit comme un centre de recherche, d’innovation et de technologie.

C’est surtout la grande exportation que nous visons aujourd’hui, les pays où les rendements agricoles très faibles constituent un défi majeur. En Afrique par exemple, ils sont de 40 à 50 fois inférieurs à leur niveau dans le Benelux. Chez nous, ces fertilisants très purs répondent aussi au souci de ne pas retrouver de résidus malvenus dans les aliments. Ainsi qu’à celui d’éviter la dispersion dans la nature : la matière est absorbée de 95 à 99 %, alors qu’elle ne l’est qu’à 40 % en moyenne avec l’épandage en plein champ.

Vous avez pour actionnaires la SRIW et la société d’Etat marocaine OCP. C’est une contrainte ou un confort ?

Ce sont deux actionnaires fidèles et stables, qui ne visent pas la rentabilité à trop court terme. C’est essentiel, car notre activité dans les batteries, par exemple, a été lancée en 2008 et sera rentable en 2018 ou 2019. Dans le domaine automobile, nous sommes en voie d’homologation pour une grande marque. Les discussions ont commencé il y a deux ans et le modèle est pour dans sept ans, au mieux. S’il est un tant soit peu ambitieux, un projet de recherche et de développement dans le domaine industriel s’inscrit à l’horizon d’une dizaine d’années.

La moitié de la production mondiale d’acide phosphorique se réalise avec une technologie Prayon, affirmait-on naguère. C’est toujours vrai ?

Absolument ! Prayon Technologies vend la technologie, ainsi que les filtres. Les Russes, très satisfaits des usines que nous leur avons livrées voilà 40 ans et qui fonctionnent toujours, nous en commandent encore aujourd’hui. En août dernier, nous avons reçu une commande en Egypte. Nous voulons toutefois aller beaucoup plus loin en tirant parti du big data. Comment ? La technologie moderne permet de truffer les installations industrielles de capteurs et autres censeurs capables d’enregistrer des millions de données. Ce n’est pas vraiment nouveau ; ce qui l’est, c’est la possibilité d’analyser ces données, de les coupler et, ainsi, d’établir des liens de cause à effet. Parfois tout à fait inattendus, que l’analyse humaine n’aurait pas décelés. A en croire Roland Teixeira, le patron de General Electric Benelux, ce sera à l’avenir un des grands métiers de son groupe.

Ce pourrait l’être aussi pour Prayon ?

Notre filiale Prayon Technologies va en tout cas proposer une sorte de service après-vente à ses clients, ceux qui ont acquis des usines. Soit un examen approfondi après 10 ans, par exemple. La productivité de l’usine a glissé à 95 %. Pourquoi ? De pareilles petites dérives sont fréquentes. Corriger le tir et ramener la productivité à 99 % représente une belle différence au niveau de la marge. Même chose si l’analyse des vibrations permet de prévoir un bris de machine et d’éviter une brutale interruption de la production. Le big data n’a pas encore révolutionné l’industrie, contrairement aux services, mais on va y venir.

Le projet PLAISIR présente une caractéristique inattendue : il vise la production de la spiruline, non à l’échelle industrielle, mais bien domestique, le consommateur utilisant pour ce faire un appareil spécifique appelé phytotière. C’est pour cette raison que, parmi les six partenaires du projet, on retrouve non seulement l’Ifremer, l’incontournable Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, mais aussi le groupe SEB, leader mondial du petit électroménager. L’apport de Prayon, on l’a compris, c’est le phosphate nourrissant les algues. Un pari à la rentabilité encore incertaine. Et une diversification anecdotique, on l’a compris, en regard des fertilisants et composés pour les batteries de demain.

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