Pourquoi PSA a racheté Opel ? Explications en 6 points

CARLOS TAVARES, CEO DU GROUPE PSA. © BELGAIMAGE

PSA a annoncé ce lundi le rachat pour 1,3 milliard d’euros d’Opel/Vauxhall. L’opération doit faire du groupe français le numéro 2 européen derrière Volkswagen. Les enjeux du dossier peuvent se résumer en six questions.

Une fois de plus, c’est la faute au Brexit. General Motors (GM) pensait enfin rentabiliser ses marques européennes, Opel et Vauxhall. Et patatras, le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE a précipité la chute de la livre sterling. Le bénéfice escompté s’est transformé en pertes : -257 millions de dollars (Ebit). Mary Barra, CEO de GM, lassée par plus de 15 ans d’années dans le rouge (14 milliards d’euros perdus depuis 2000), a fini par décider la cession de ces activités.

Pour Carlos Tavares, CEO du groupe PSA (Peugeot Citroën) (1), c’était l’occasion à ne pas manquer pour passer à la taille supérieure. Avec 3.146 millions de voitures vendues en 2016, PSA reste un joueur moyen parmi les constructeurs généralistes. Avec Opel/Vauxhall, il pourrait dépasser les 4 millions de ventes par an, devenir n°2 sur le marché européen, derrière Volkswagen et devant Renault. Montant de l’acquisition: 1,3 milliard d’euros.

C’est un fameux virage pour le groupe français. En difficulté voici quelques années, PSA avait tenté de s’en sortir en concluant déjà une alliance avec GM en 2012, lequel avait pris 7 % des parts. Des accords de collaboration avaient été signés sur des plateformes et des achats communs. Mais cela n’avait pas suffi. Les pertes se creusaient et PSA s’est mis en quête d’argent frais. L’Etat français et le constructeur chinois Dongfeng sont entrés dans le capital, chacun à hauteur de 13,68 % au niveau de la famille fondatrice Peugeot. GM s’est éloigné, a revendu ses parts, mais a maintenu certaines collaborations.

Les partenaires étaient dès lors de retour à la table des négociations, mais cette fois PSA était en position de force. Carlos Tavares, appelé à la rescousse en 2014, a redressé le groupe via un gel des salaires, la fermeture d’une usine, une réduction de la gamme, entre autres. Il a pu ramener la rentabilité, avec 1,2 milliard d’euros de bénéfice net en 2015 (contre 555 millions d’euros de pertes en 2014). Le CEO a, au passage, obtenu une jolie augmentation de salaire de 100 %, décrochant 5,24 millions d’euros de rémunération pour 2015. Le dossier peut se résumer en six questions:

1 Opel, Peugeot et Citroën trop petits ?

Opel, Peugeot et Citroën ont toutes le même souci : ce sont des marques généralistes. Elles doivent faire du volume pour dégager un peu de marge. Elles sont prises en sandwich entre les marques premium BMW ou Mercedes, qui produisent depuis une bonne décennie des petits modèles (BMW Série 1, Mercedes Classe A) et viennent rogner les marchés des Peugeot 308, Citroën C4 ou Opel Astra. Par le bas, ils sont pressés par les marques low cost, Dacia et les coréennes. Elles subissent aussi la pression du groupe Volkswagen qui bénéficie de volumes importants. En 2016, en dépit de la crise du diesel, il était numéro un mondial avec 10,3 millions de voitures vendues. Résultat : Peugeot, Citroën et Opel ont perdu des parts de marché (voir infographie “Contrer le recul des parts de marché”).

Alexis Albert, un analyste de Barclays, cité par Bloomberg, estimait récemment qu’une économie de 1,9 milliard d’euros par an pourrait être dégagée par un rachat d’Opel et Vauxhall. PSA pourrait profiter des trois marques et de leur complémentarité géographique. Opel est surtout fort en Allemagne, Vauxhall en Grande- Bretagne, Peugeot Citroën en France, Espagne et Italie.

2 Pourquoi s’inspirer de Renault-Nissan ?

Les généralistes qui réussissent font du volume, comme GM. Ou ils nouent des alliances, effectuent des acquisitions, comme l’a fait Renault, où Carlos Tavares a par ailleurs été n°2. Il a vécu et organisé lui-même des partages de composants entre marques. Renault participe à plusieurs alliances : avec Nissan, dont il détient plus de 40 %, avec Daimler, avec Avtovaz (Russie) et, plus récemment, avec Mitsubishi. La marque Renault produit environ le même volume que PSA, mais peut mieux rentabiliser les composants qu’elle vend à des partenaires (moteurs, plateformes, transmissions). Carlos Tavares peut désormais développer une approche similaire.

Adam Jonas, de Morgan Stanley, se demandait toutefois le mois dernier si cette stratégie n’est pas trop tardive. “Miser sur de grands volumes pour mieux amortir des investissements revient à avoir une guerre de retard, écrit-il. VW et l’alliance Renault-Nissan y sont arrivés voici 10 ans. La vraie guerre aura lieu quand les gagnants parviendront à réussir la sortie de la nouvelle génération de modèles, et PSA a encore beaucoup de choses à faire pour réduire l’écart.” L’enjeu actuel est plutôt le passage à de nouvelles motorisations (électriques). Adam Jonas reconnaît tout de même que l’opération “pourrait, si elle est confirmée, avoir un impact positif sur la compétitivité à long terme et les économies d’échelles”.

3 Racheter Opel va-t-il aider à électrifier les voitures ?

Pourquoi PSA a racheté Opel ? Explications en 6 points
© TT

Le rachat d’Opel pourrait donner accès à une plateforme très avancée de voitures électriques à PSA, qui n’a guère investi dans ce domaine. Ses difficultés récentes l’ont obligé à freiner les investissements. GM a développé la Chevrolet Volt, rebaptisée Opel Ampera en Europe, et sort la Chevrolet Bolt, nettement plus performante et moins chère, avec une autonomie de quasi 400 km. Elle pourrait être exploitée par le groupe PSA, qui rattraperait ainsi le retard qu’il a pris face à Renault, Volkswagen ou Daimler, lesquels investissent massivement dans la motorisation électrique. Mais cela impliquerait une certaine dépendance vis-à-vis de GM.

4 L’Allemagne peut-elle bloquer l’opération ?

La chancelière Angela Merkel est très attentive au maintien de l’emploi chez Opel, qui a déjà fermé une usine à Bochum. Même si Carlos Tavares concède le maintien d’un management spécifique pour Opel, le coeur du groupe basculerait en France. “Après une période transitoire, Opel sera complètement intégrée dans PSA”, estimait Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Centre Automotive Research (CAR) de l’Université de Duisburg-Essen. “Les capacités de production d’Opel et de PSA sont de toute évidence trop grandes en Europe. Il y a des incertitudes sur les usines d’Eisenach et de Kaiserslautern.” Les économies ne pourront se réaliser que “par la centralisation des achats et une réduction des effectifs”. Même chose pour les usines britanniques de Vauxhall, à Ellesmere Port et Luton, qui souffrent en plus des incertitudes du Brexit.

Il paraît improbable que Carlos Tavares accepte de garder un Opel/Vauxhall déficitaire. Il devra réduire rapidement les coûts. Les politiques et les syndicats allemands ont un grand pouvoir, mais personne n’a intérêt à voir les négociations échouer. La mise en vente par GM met en évidence que la marque allemande n’est pas tirée d’affaire malgré des restructurations récentes. “Il faudra attirer les clients avec des rabais plus élevés”, ajoute-t-il. Et encore restructurer…

5 GM va-t-il vraiment quitter l’Europe ? L’hypothèse folle

Le plus surprenant dans l’affaire est que General Motors soit prêt à quitter le marché européen. Il ne sera donc plus un constructeur global. Pourtant certains investisseurs font le pari que ce n’est qu’un “au revoir”. GM pourrait racheter plus tard Fiat Chrysler Automobile (FCA), actif des deux côtés de l’Atlantique avec Chrysler, Dodge et Jeep aux Etats-Unis, Fiat, Alfa Romeo, Ferrari et Maserati en Europe. Après l’annonce des négociations pour la vente d’Opel, le cours de FCA s’est mis à grimper. Cela semble être le fruit d’une pure spéculation, occasionée par l’offre faite, en 2015, par Sergio Marchionne, CEO de FCA, de fusionner avec GM, pour aller plus loin dans les économies d’échelle, et développer un groupe d’une taille nouvelle. General Motors avait rejeté l’idée, mais elle vit toujours, au moins dans l’esprit de Sergio Marchionne.

6 Et le risque du protectionnisme ?

Reste un élément de taille à affronter: le risque politique. La transaction intervient à un moment délicat: les élections législatives en Allemagne et les présidentielles en France, où les courants protectionnistes et nationalistes sont à la hausse. En France, la candidate Marine Le Pen (FN) a promis de taxer les importations de voitures étrangères (dans l’Union européenne, les droits de douane sont inexistants). Il y a aussi le Brexit, qui pourrait mener à des droits de douane aux frontières britanniques. Carlos Tavares ne semble pas inquiet. Son projet part de l’hypothèse que les frontières européennes resteront ouvertes, sans taxes douanières. Il est vrai que si les frontières se dressent en Europe, tous les constructeurs seront touchés: tous ont des activités transfrontalières, avec des moteurs produits dans un pays et des voitures assemblées dans un autre.

Déboires américains en Europe

Les constructeurs automobiles américains sont loin de rencontrer le succès de Google ou d’Apple en Europe. Ils souffrent depuis plus de 10 ans. Filiale de GM depuis 1928, Opel a longtemps été un constructeur apprécié en Europe, y vendant une voiture sur 10. Depuis 2000, il perd de l’argent et ses ventes chutent. Chrysler a aussi affronté des déboires et n’occupe aujourd’hui qu’une place symbolique.

Ford a beaucoup souffert mais a fini par redresser la barre. Il avait racheté Volvo, Jaguar, Land Rover, Aston Martin, réunis dans Ford Premier Automotive Group dès 1999, espérant devenir un champion du premium. Ford a dépensé plus de 13 milliards d’euros pour construire cette offre, racheter ces marques prestigieuses, mais n’a jamais pu rentabiliser cette stratégie. Il a fini par revendre ces marques les unes après les autres, Jaguar et Land Rover à l’indien Tata, Volvo au chinois Geely. La marque Ford, proprement dite, a aussi accumulé les pertes mais a fini par sortir du rouge en 2015. Elle réalisait en 2016 un bénéfice de 1,2 milliard de dollars (Ebit, bénéfice avant taxes et intérêts). “Davantage de modèles avancés et de meilleures économies d’échelle caractérisent Ford Europe”, estime Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center Automotive Research à l’Université de Duisburg-Essen. Il note aussi que Ford a mieux réussi qu’Opel/Vauxhall dans le segment des véhicules utilitaires et minibus, avec 270.000 ventes en 2016 contre 90.000 pour Opel/Vauxhall. Ce qui a contribué à creuser l’écart : Ford vendait en Europe 1,539 million de véhicules en 2016 contre 1,159 million pour Opel/Vauxhall.

(1) Le nom du groupe PSA signifie ” Peugeot Société Anonyme “. Ce nom a été adopté en 1976 lors de la fusion de Citroën S.A. et Peugeot S.A., sous l’appellation ” PSA Peugeot Citroën “. En 2016, le nom a été simplifié en ” Groupe PSA “, produisant les marques Peugeot, Citroën et DS. Opel et Vauxhall sont les marques produites par GM en Europe. Vauxhall est limitée au marché britannique, ce sont des modèles Opel reconfigurés avec conduite à droite.

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