Pourquoi Netflix ne fait pas (encore) peur au marché belge

Le site Netflix qui propose des films en flux continu sur Internet ainsi que des locations de films par courrier aux États-Unis et au Canada se classe dans le top 10 avec 1.600.000.000 euros de revenus (51 euros par seconde). © Reuters

Les rumeurs d’arrivée du géant américain du streaming vidéo en Belgique ont inquiété pas mal d’observateurs. Sur papier, Netflix pourrait faire du tort aux opérateurs, aux services de vidéo à la demande, aux chaînes de télé. Mais la réalité du terrain se montre nettement plus complexe.

Quand on l’interroge sur l’arrivée possible de Netflix en Belgique, ce loueur de DVD nous regarde avec des yeux de merlan frit : il n’a jamais entendu parler de ce site internet. C’est pourtant cette plateforme web qui pourrait bien porter un dernier coup de grâce à son activité, après celui porté par la vidéo à la demande (VOD).

Netflix ? De quoi s’agit-il ? D’un site internet américain qui propose un service de subscription video on demand (SVOD). En clair, une plateforme qui permet, moyennant un abonnement d’une dizaine de dollars mensuels, de regarder de manière illimitée un catalogue de 100.000 titres de films et de séries. Aux Etats-Unis, Netflix, dont l’activité a démarré en 1999 (comme loueur de DVD à distance, ce qu’il continue à faire pour 8 millions d’Américains), est devenu un véritable mastodonte : au premier trimestre 2013, le site a généré pas moins d’un milliard de dollars de revenus. Et sa communauté ne cesse de s’étoffer : aujourd’hui, 36 millions de personnes ont adopté le streaming vidéo de Netflix dans la quarantaine de pays où il est actif, mais avec une très grosse proportion aux USA (7 millions seulement à l’international). L’entreprise, cotée en Bourse, est même parvenue à séduire Disney, avec qui elle a conclu un partenariat à plus de 300 millions de dollars par an pour la diffusion exclusive sur le Net des nouvelles sorties des studios de Mickey à partir de 2016.

Autant dire que les rumeurs récemment parues dans la presse belge font grand bruit. Le Soir a annoncé que Netflix aurait entamé des discussions avec les principaux distributeurs de films indépendants des Pays-Bas aussi actifs en Belgique. Ce qui laisse deviner l’ouverture du service chez nous. “D’ici la fin de l’année”, avancent certaines sources. A plus long terme pour d’autres, tandis que les derniers voient dans ce scoop une information téléguidée.

Qu’à cela ne tienne, l’arrivée probable de Netflix en Belgique dans un avenir plus ou moins proche pose surtout une grande question : ce site et son modèle de vidéo en streaming peut-il égratigner le marché belge et ses nombreux acteurs ? Les plus pessimistes voient en effet l’ensemble du secteur trembler face à l’attaque frontale que pourrait leur infliger Netflix avec son offre alléchante et sa politique de prix très agressive pour un accès à du contenu “illimité”. Les consommateurs pourraient se contenter d’un abonnement sur Netflix et résilier leur abonnement télé auprès de leur opérateur, se désintéressant totalement des chaînes gratuites. Voilà pour le scénario catastrophe, où tant les chaînes payantes que les chaînes classiques et les opérateurs y perdraient des plumes.

La Belgique, peu attirante La réalité est probablement beaucoup moins noire que cela. D’abord, parce que l’arrivée de Netflix chez nous risque bien de ne pas être pour tout de suite. “Le marché est très petit, morcelé et plutôt compliqué pour un acteur international, note un observateur avisé. Les droits doivent en outre être négociés à un niveau local avec une multitude de partenaires. Ce qui demande d’une part, beaucoup d’efforts pour un espoir de toucher finalement une communauté très limitée de quelques dizaines, voire quelques centaines, de milliers de personnes. D’autre part, cela nécessite une véritable connaissance de notre marché.” Et si l’annonce de Netflix au mois d’avril de s’installer dans un nouveau pays européen d’ici le second semestre laisse libre cours à une multitude de pronostics, de grands marchés attirent plus spontanément le regard. Car, il faut bien l’admettre, la Belgique ne figure généralement pas dans les premiers marchés sur les radars des géants américains. Ainsi, lorsqu’Apple avait lancé son service de vidéo sur l’iPod, il a fallu attendre plusieurs années avant de voir arriver les premiers contenus intéressants dans notre plat pays. LoveFilm, un service concurrent à Netflix et propriété d’Amazon, n’est pas encore disponible chez nous alors qu’il tourne déjà chez nos voisins allemands.

Ensuite, dans le cas où Netflix déposerait bel et bien ses valises chez nous, le pari ne serait pas forcément gagné d’avance pour le colosse américain. Christian Loiseau, deputy general manager de BeTV insiste sur la “chronologie” des medias dans l’univers des films. L’exploitation des films reste, en effet, scandée par un rythme bien défini. Ils passent d’abord en salle avant d’être proposés en vidéo à la demande (VOD) à l’unité auprès des opérateurs (VOO, Telenet, Belgacom, par exemple) dans les quatre à six mois après la diffusion au cinéma. Et cela à un prix “premium”. Viennent ensuite les chaînes à péage (type BeTv et Canal +), et enfin, la diffusion sur les chaînes de télé en clair (RTL TVi, etc.). Ce n’est en général qu’après que les films reviennent en VOD à meilleur prix.

C’est, pour l’instant, dans ce créneau-là qu’opère Netflix. En effet, la plupart de ses films constituent ce qu’on appelle le “catalogue”. Les chaînes à péage comme BeTV qui misent sur du contenu premium et récent ne seraient donc pas directement en première ligne d’attaque de Netflix. Par contre, les services de VOD pourraient partiellement en pâtir. Reste que, là encore, Christian Loiseau se montre serein : une part non significative de films achetés à la pièce en VOD sont des nouveautés. A moins que Netflix ne commence à négocier des droits sur des films et séries pour une diffusion rapide après leur sortie. “Mais ces droits coûtent plus cher”, insiste le responsable chez BeTV. Et il semblerait assez difficile de rentabiliser l’investissement dans des droits onéreux sur notre marché avec des tarifs d’abonnements low cost. Et augmenter le forfait d’abonnement rendrait Netflix moins attractif. De plus, BeTV a resigné des deals avec les grands studios, dont certains jusqu’en 2017. Ce qui nous laisse un certain avantage sur ce plan.

Contenu déterminant De toute évidence, c’est bien sur l’offre de contenu que la différence pourra se faire. “Content is King, le contenu est roi, analyse Jean-Michel Noé, professeur de stratégie à l’Institut Cooremans et M&A senior manager chez Deloitte Fiduciaire. Ce sont les fournisseurs de contenu qui, au final, vont arbitrer les luttes entre les opérateurs télécoms, les chaînes de télé et les acteurs comme Netflix. La question se jouera à coup de largeurs de catalogue et d’exclusivités de l’offre.”

Cela, les opérateurs télécoms l’ont bien compris. Il n’y a qu’à voir l’appétit des telcos belges et l’âpreté des négociations sur les droits du football pour s’en convaincre. Dans son créneau, Netflix en est aussi bien conscient. Aux Etats-Unis, pour rivaliser avec une chaîne comme HBO, qui propose une bonne partie des séries à succès aux USA (The Sopranos, Game of Thrones, Six Feet Under, etc.), Netflix a développé… ses propres séries exclusives. Pour cela, elle a consacré pas moins de 100 millions de dollars pour s’octroyer les services de David Fincher (producteur d’Alien 3, Seven, etc.) et de l’acteur Kevin Spacey pour sa série maison, House of Cards. Et pour 2014, ce sont les réalisateurs de Matrix (Andy et Lana Wachowski) qui réaliseront Sense8, une série de 10 épisodes destinée en exclusivité à Netflix.

Des habitudes bien ancrées La plateforme Netflix se concentre pour l’instant essentiellement sur les films et les séries. Le sport, les reportages, l’actualité ou les émissions de divertissement ne figurent pas dans son offre. “Or, soyons clair : le consommateur apprécie encore de pouvoir regarder ce genre de contenu, souligne un spécialiste actif dans le milieu. Par ailleurs, en Europe et en Belgique en particulier, les gens demeurent attachés à un mode de consommation linéaire, à savoir qu’ils regardent les chaînes dans le flux continu de diffusion. Et encore assez peu à la demande. Le changement dans la manière de consommer les contenus constitue probablement l’une des difficultés que rencontrera Netflix et qui prendra pas mal de temps à évoluer. Au mieux trois à cinq ans pour que la SVOD soit vraiment connue et adoptée en Belgique.” Pour Louis Audet, le boss de Cogeco, un câblo-opérateur québécois, Netflix est complémentaire aux acteurs sur le marché : “Les gens le prennent mais ils ne lâchent pas le câble pour avoir ça, quoi qu’on lise, disait-il récemment dans la presse québécoise. Ceux qui le font constituent un pourcentage minuscule. Et nous, quand nos clients font cela, ils deviennent des clients qui bougent moins, ils restent avec nous pour le service internet.”

Voilà pourquoi “aujourd’hui, si Netflix débarquait, il toucherait les gros consommateurs de films et de séries, analyse Jean-Michel Noé. La menace majeure sera l’économie d’échelle dont Netflix peut bénéficier dans la négociation des contenus”. L’une des craintes serait que Netflix mette à profit ses gros moyens et sa présence internationale pour négocier des deals, y compris pour du contenu au niveau local, au détriment des acteurs belges. Mais là encore, notre petit marché vaut-il la peine de parier sur la surenchère ?

Des clones made in Belgium ? Du côté de chez Telenet, Patrick Vincent, chief commercial officer, se montre serein : “Un nouvel acteur sur le marché comme Netflix ne peut qu’engendrer encore plus de concurrence et donc, un meilleure service de la part des acteurs présents. Dans ce cas, nous utiliserons nos points forts pour réagir… et on pourrait en surprendre plus d’un !” Car si la rumeur de l’arrivée de Netflix peut bien avoir un impact, c’est celui-ci : pousser les acteurs locaux à réagir en lançant leur propre alternative, de sorte à tenter de couper l’herbe sous le pied du concurrent américain. Chez BeTV, Christian Loiseau admet que sa chaîne travaille sur une offre similaire à ce que Netflix propose. Et il nous revient que Belgacom pourrait bien aussi, de son côté, lancer son système de SVOD. De quoi se tirer une balle dans le pied de leurs services de VOD ? “C’est évidemment ce à quoi les opérateurs doivent être vigilants, note cet expert. Ils devront correctement doser l’équilibre entres les contenus en VOD classique et en streaming vidéo pour que l’un ne cannibalise pas l’autre.” En France, certains émettent des doutes sur la question : CanalPlay, le service de streaming vidéo du groupe Canal+, rencontre un succès encore mitigé, avec 200.000 abonnés. Mais certains observateurs soutiennent qu’une partie de ces abonnés proviendrait en fait de Canal + qui perd des abonnés. Une tendance à surveiller.

CHRISTOPHE CHARLOT

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