La stratégie d’AB InBev derrière l’offre de rachat de SABMiller

Carlos Brito, CEO d'AB InBev © Belga

Si l’on parle rentabilité, AB InBev est l’Apple de la bière. Cela explique l’accueil positif de son projet de rachat du n°2 mondial, SABMiller. Le brasseur belgo-brésilien maîtrise l’art des fusions. Sauf qu’ici l’accord est loin d’aboutir. Décryptage.

Toujours plus grand. AB InBev a beau être le n°1 mondial de la bière, avec 20,8 % du marché, le brasseur basé en Belgique est encore à la recherche de méga-acquisitions, tant qu’il y en a encore sur le marché. AB InBev a en effet déclaré son intention de racheter SABMiller, le n°2 du marché (9,7 %). Le groupe est né en 2002 de la fusion entre South African Breweries (Afrique du Sud) et Miller Brewing (Grande-Bretagne) et est coté à Londres. En Europe, les marques connues détenues par SABMiller sont Peroni, Grolsch, Foster’s ou Pilsner Urquell.

Les raisons de cette offre – une nouvelle proposition a été formulée ce mercredi – sont nombreuses. La première est l’évolution du marché de la pils : la consommation stagne en Europe et aux Etats-Unis, ce qui encourage les consolidations. Surtout si une telle démarche ouvre l’accès à des marchés plus porteurs comme les pays émergents, qui représentent 70 % des ventes de SABMiller. La deuxième raison est le talent d’AB InBev et son CEO, Carlos Brito, à rentabiliser de grosses acquisitions, et à démentir la règle que les grandes fusions aboutissent souvent à des échecs.

Une rentabilité nette de 20 %, “best in class”

Le rachat d’Anheuser-Busch pour plus de 50 milliards de dollars en 2008, alors que le monde traversait la crise financière, en a été l’exemple le plus net. La réduction des coûts à hauteur de 15 % des revenus a dopé la rentabilité du groupe InBev, qui a accolé AB à son nom suite à l’opération. La rentabilité du groupe a atteint en 2014 plus de 9 milliards de bénéfice net sur 47 milliards de revenus. Une performance du niveau d’Apple. Carlos Brito ne rachète jamais pour le plaisir de grandir, mais pour celui d’augmenter les bénéfices, sans état d’âme. “Dans toutes les sociétés, il y a 20 % de personnes qui mènent, 70 % qui suivent et 10 % qui ne font rien”, avait-il asséné en arrivant à la tête d’Anheuser-Busch, phrase rapportée par le Financial Times, en invitant à se débarrasser des 10 derniers pour cent.

Si l’on ajoute les taux d’intérêt très bas, qui favorisent le financement de grosses acquisitions, le cocktail des bonnes raisons de racheter SABMiller semble complet. Toutefois l’affaire semble bien plus compliquée que celles abordées par AB InBev auparavant. L’acquisition est encore loin d’être faite et réussie.

Plusieurs analystes notent une accumulation d’obstacles. Lesquels ?

1. Les gains potentiels sont plus modérés

AB InBev ne s’attaque pas à un groupe “sous-managé”, comme c’était le cas pour Anheuser-Busch ou d’autres cibles. ING estime, dans sa note d’analyse, que “SABMiller est déjà gérée de manière efficiente et il faut tenir compte de l’éparpillement géographique” du groupe. La banque estime le potentiel des économies à 7,5 % des revenus, soit moins de la moitié des résultats obtenus avec Anheuseur-Busch ou Grupo Modelo (le brasseur mexicain racheté en 2013 pour 20 milliards de dollars). L’évaluation de KBC Securities suit le même raisonnement : elle estime le potentiel d’économie entre 4 et 8 %. Or le coût de l’opération sera élevé : plus de 80 milliards d’euros. Bien plus que le rachat d’Anheuser-Busch.

2. Ennuis en vue avec les autorités de la concurrence

C’est la rançon de la taille des deux brasseurs : les étincelles avec les autorités nationales de la concurrence risquent d’être nombreuses. Les plus évidentes sont les Etats-Unis, où AB InBev contrôle 47 % du marché, et SABMiller 29 % à travers une filiale, MillerCoors. La situation est comparable en Chine, où SABMiller détient 49 % dans une joint-venture avec le brasseur CRE (n°5 mondial) pour produire la bière Snow, la plus vendue au monde. Il faudra donc revendre ici et là des participations. Ce tracas régulatoire n’est pas insurmontable mais peut réserver des surprises. Les autorités de la concurrence de quasiment tous les marchés vont analyser le dossier. Cela peut prendre facilement une année.

3. Une offre difficile à structurer

C’est le point le plus délicat. L’offre n’est pas du tout évidente à construire. Les grands actionnaires de SABMiller sont deux : l’américain Altria (société de tabac qui possède notamment Marlboro) et le colombien Bevco. Leurs participations s’élèvent respectivement à 26,6 % et 13,9 %. Le premier préférait être payé en actions, notamment pour des raisons fiscales. Mais AB InBev a plutôt l’habitude de lancer des acquisitions en cash. Un échange d’actions exposerait les actionnaires de contrôle d’AB InBev à perdre leur majorité. Ils sont réunis en deux groupes : les actionnaires belges historiques (28,6 %) et le trio brésilien qui a fondé le fonds 3G, Jorge Lemann, Carlos Sicupira et Marcel Telles (28,6 %).

La dernière grosse opération possible

Si l’affaire n’aboutit pas, le groupe qui aime tant la croissance par acquisition n’aura plus de grosse cible dans la bière. Les autres grands brasseurs sont inaccessibles. Le n°3, le néerlandais Heineken, a refusé ses avances voici un an, son actionnaire principal n’étant pas intéressé. Et le capital du n°4, le danois Carlsberg, est verrouillé par une fondation. Il restera à envisager des acquisitions hors du monde des brasseries…

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