Pas sympas, les routiers de l’Est !

© Image Globe

A l’initiative de diverses organisations syndicales, les chauffeurs de poids lourds manifestent ce lundi contre le “dumping social” dont ils sont victimes, en organisant plusieurs convois en direction de la capitale.

Chauffeurs “bon marché”, délocalisations, sociétés fictives : de plus en plus de firmes belges de transport ont recours aux camionneurs de l’ancien bloc de l’Est pour rester concurrentielles. Au détriment du secteur de la logistique belge et des emplois qu’il génère.

Un conducteur averti en vaut deux. Des embarras de circulation sont à prévoir sur les grands axes menant à Bruxelles, ce lundi 24 septembre et le 9 octobre prochain. A l’initiative de diverses organisations syndicales, les chauffeurs de poids lourds manifestent ce lundi contre le “dumping social” dont ils sont victimes, en organisant plusieurs convois en direction de la capitale. “Ce n’est plus possible !, lance Roberto Parrillo, secrétaire national à la CSC-Transcom et président européen des organisations syndicales du transport routier. Il faut absolument améliorer les conditions de travail et d’emploi des chauffeurs professionnels en Europe. En parallèle, il faut davantage de contrôles et de sanctions pour ceux qui ne travaillent pas correctement.”

Le phénomène, à vrai dire, n’est pas nouveau. Avec l’entrée des pays de l’Est dans l’Union, début des années 2000, des sociétés belges ont commencé à faire appel aux chauffeurs originaires de l’ancien bloc communiste : Pologne, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, etc. Parfois inscrits sur les registres d’une société “boîte aux lettres” installée dans un de ces pays, souvent filiale d’une société de transport belge, ces chauffeurs “bon marché” étaient jusqu’ici principalement utilisés sur les liaisons internationales (Belgique-France, Pays-Bas-Allemagne, etc.). Et cela en toute légalité, précisons-le.

Pour le trafic intérieur

Ce qui a changé avec la crise, c’est que ces mêmes chauffeurs venus des pays de l’Est sont maintenant de plus en plus utilisés pour le trafic effectué à l’intérieur de nos frontières (Liège-Anvers, Zeebruges-Ostende, etc.). Problème : “C’est parfaitement illégal, souligne Michaël Reul, secrétaire général de l’organisation patronale UPTR (Union professionnelle du transport et de la logistique), qui se dit scandalisé par ce phénomène de concurrence déloyale. A partir du moment où un chauffeur travaille uniquement en Belgique, il n’est plus question de chauffeurs routiers internationaux ne devant pas être rattachés à un pays en particulier. La sécurité sociale belge est d’application et ce, indépendamment tant du domicile du chauffeur que du lieu d’établissement de son employeur.”

Il faut savoir aussi qu’un règlement européen datant de 2009 limite les opérations de transport national (cabotage) qu’une entreprise peut réaliser sur le territoire d’un autre Etat membre, à trois opérations de transport national, consécutives à un transport international, à réaliser dans un délai de sept jours avant de quitter le territoire. “Difficilement contrôlable, cette limitation n’est pas assez respectée, déplore Michaël Reul. Il n’est pas rare de voir des camions avec des plaques roumaines basés en permanence en Belgique et réaliser quotidiennement des transports de distribution urbaine.” Avec pour conséquence que des transporteurs belges se retrouvent confrontés à des clients leur opposant des offres de prix impossibles à suivre.

Dormir sur un parking

Dans ces conditions, peut-on reprocher aux firmes de transport belges d’être de plus en plus nombreuses à créer une filiale en Slovaquie ou ailleurs pour faire faire le trafic régulier de fruits et légumes entre la Belgique et l’Espagne par des chauffeurs de ces pays ? Sans cela, il est quasiment impossible de rester compétitif vous diront la plupart des patrons de firmes de transport. Les différences de salaires sont telles qu’ils n’ont pas vraiment d’autre choix que de délocaliser tout ou partie de leurs activités à l’Est. Pour un même salaire net, le coût patronal (cotisations sociales comprises) est trois fois plus élevé chez nous que là-bas. A cela s’ajoutent de généreux défraiements (indemnités de déplacement nettes d’impôt)… qui poussent à accepter de dormir sur un parking pendant trois ou quatre semaines. Résultat : même avec un salaire net inférieur à celui d’un chauffeur belge, de retour au pays, le pouvoir d’achat du chauffeur d’une entreprise des pays de l’Est est supérieur à celui du Belge. Bref, “ce ne sont pas de nouveaux esclaves”, résume Michaël Reul.

Seul le prix joue

Guère surprenant dès lors d’apprendre de la bouche de ce dirigeant d’une société de transport bruxelloise que “certaines firmes belges sont soupçonnées d’employer jusqu’à plusieurs centaines de camionneurs originaires des pays de l’Est pour le trafic sur notre territoire”. Et pas des moindres : de très gros transporteurs belges sont dans le collimateur du fisc et de l’ONSS. Rien d’étonnant non plus à cela, serait-on tenté de dire. “Quelle que soit la taille du transporteur, souligne Roberto Parrillo, le coût principal c’est le chauffeur. C’est l’élément central dans le prix de revient.” En clair, les salaires représentent en moyenne 40 % des coûts totaux, devant le carburant, le financement et l’entretien des véhicules. Inutile de tourner autour du pot : les trois critères qui permettent de faire la différence sont, le prix, le prix et encore le prix. “La responsabilité sociétale des expéditeurs, qui risquent également des poursuites, est proche de zéro, soutient Michaël Reul. Le réflexe environnemental n’existe qu’à prix de transport égal. Quant au transport durable, c’est juste du marketing…”

Comment éradiquer la fraude ?

Face à cette situation, que certains jugent très grave, que faire ? La réponse n’est pas simple. “Il s’agit d’une problématique difficile à résoudre”, répond John Crombez (sp.a), secrétaire d’Etat en charge de la Lutte contre la fraude fiscale et sociale, conscient du problème mais relativement impuissant quant aux solutions à lui apporter. “Le transport international en Belgique est tel, que trouver les conducteurs étrangers employés illégalement sur notre territoire revient à chercher une aiguille dans une botte de foin”, ajoute-t-il, allant même jusqu’à faire preuve dans certaines publications d’entreprise de compréhension à l’égard des transporteurs belges qui ne travaillent pas “correctement”. Difficile aussi parce que c’est la crise. C’est elle qui est en grande partie à l’origine du phénomène. Avec elle, le marché international du transport s’est contracté. Ce qui a conduit les camions de l’Est à se repositionner vers les zones moins en difficulté comme la Belgique. Difficile, enfin, parce qu'”il est nécessaire d’agir au niveau européen”, estime encore John Crombez. Obtenir comme le souhaite Roberto Parrillo de la part de l’Europe un moratoire sur le cabotage, alors que Bruxelles plaide pour une libéralisation totale du transport, semble illusoire. “Mais il y a peut-être moyen de réduire la fiscalité et les cotisations sociales, notamment sur les heures de travail prestées la nuit ou en horaire décalé, avant et après les heures de pointe, avec des effets bénéfiques pour la mobilité”, propose Michaël Reul. Rien, dit-il, n’a encore été fait dans ce sens. En attendant, des emplois nationaux sont détruits et le manque à gagner pour les caisses de l’Etat s’élèverait à plusieurs centaines de millions d’euros.

Sébastion Buron

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content