Paris creuse un nouveau super métro

© Societe du Grand Paris / Agence

Paris aura un nouveau métro, mais autour de la ville cette fois. Des entrepreneurs venus de toute l’Europe se bousculent autour du plus important chantier du continent.

Plus de 200 kilomètres de tunnels à 30 mètres de profondeur, 68 nouvelles stations, 7 centres de maintenance technique, 300 sites en chantier, 43 millions de m³ de terre et de décombres à évacuer. Concernant le Grand Paris Express, tout est impressionnant et grandiose. Le ‘super métro’ est de loin le plus grand projet de construction d’Europe, le quatrième au monde.

En 2030, les cinq nouvelles lignes de métro automatiques devront être opérationnelles, dont la plus grande partie en 2024, l’année des Jeux olympiques.

L’objectif sera-t-il atteint ? Telle est la question. Une tout aussi grande incertitude est celle liée au budget d’au moins 28 milliards d’euros: restera-t-il dans les limites du raisonnable ? Mais ce sont là des questions classiques lors de chaque entreprise d’une telle ampleur historique.

Historique, car le Grand Paris Express est la troisième grande étape dans l’histoire moderne de la mobilité dans la région de Paris, qui compte 12 millions d’habitants.

La première étape fut le métro inauguré en 1900 dans la ville. Un deuxième bond en avant a suivi dans les années septante avec l’arrivée du RER, des trains de banlieue qui relient les zones suburbaines à la capitale, où ils arrivent en sous-sol pour une connexion fluide avec le métro.

En Europe, Londres et Paris sont les seules capitales à réellement compter. Toutes les autres sont trop petites pour être en position de force parmi les grandes métropoles mondiales”

Stéphane Kirkland

Le RER a deux grands inconvénients. Les trains sont surchargés et le système est axé sur le transport vers Paris.

Les banlieues sont à peine reliées entre elles. Voyager d’un côté de la ville à l’autre n’est possible que via Paris. Mais les Franciliens, comme les habitants de la région d’Île-de-France se nomment, n’habitent pas seulement dans une banlieue, ils y travaillent aussi de plus en plus fréquemment.

Leurs employeurs, notamment de grandes entreprises comme SFR Telecom, optent pour des emplacements moins chers autour de la ville et en dehors du quartier des affaires de La Défense.

Londres, le concurrent historique

Sur le site web du Grand Paris Express, vous pouvez dès à présent calculer le gain de temps. Vingt à trente minutes de moins pour un voyage d’une banlieue à l’autre, ce qui devrait persuader beaucoup de personnes à abandonner la voiture.

Le Grand Paris Express, dont l’ancien président Nicolas Sarkozy avait esquissé les contours il y a presque dix ans, n’est pas seulement une réponse aux grands problèmes de trafic et environnementaux dans la région. C’est aussi une stratégie pour soutenir la croissance économique.

L’espoir est que, grâce aux trajets plus courts et aux nouvelles liaisons, de nouveaux centres d’activité économique naissent, de telle sorte que le Grand Paris devienne finalement une ‘métropole multipolaire’.

L’université Paris-Saclay au sud de la ville est ainsi censée devenir un tel pôle. Saclay s’entoure aujourd’hui des départements de recherche et développement (R&D) de Danone, Thales et EDF notamment et ambitionne d’endosser le rôle de Stanford dans la Silicon Valley. L’hôpital Gustave Roussy, qui dispose d’un département renommé en recherche sur le cancer, deviendrait le noyau d’un cluster pour soins de santé et biotech.

Selon l’architecte et historien Stéphane Kirkland, Paris est trop longtemps restée immobile, alors que Londres, le concurrent historique, a connu un développement énorme. Le Grand Paris Express est à ses yeux une tentative prometteuse pour ne pas perdre la connexion avec “la première division” des grandes métropoles mondiales.

“En Europe”, dit l’auteur de Paris Reborn, un livre sur la modernisation de Paris au dix-neuvième siècle, “Londres et Paris sont les seules capitales à réellement compter. Toutes les autres sont trop petites pour être en position de force parmi les grandes métropoles.”

En France, la priorité a longtemps été mise sur le développement des villes de province, pour atteindre un meilleur équilibre dans le pays.

L’impact sera plus grand et les coûts seront plus bas si nous ne retardons aucune ligne.

Philippe Yvin, Société de Grand Paris

Maintenant, c’est clairement à nouveau au tour de la capitale. “Paris est beaucoup trop importante en tant que locomotive économique pour le reste de la France. Il n’y a pas de temps à perdre.”

Les travaux à la ligne 14 sont en cours. La 14 est une ligne de métro existante dans la ville, qui est prolongée à partir de la gare Saint-Lazare en direction du nord vers Saint-Denis et le Stade de France. Au sud de Paris, la construction des stations pour la ligne 15, qui circulera autour de la ville, a démarré. Le forage des tunnels devrait commencer en janvier.

Trop ambitieux

Il y a deux difficultés techniques. Les lignes se situent entre 25 et 30 mètres sous le sol, beaucoup plus bas que le métro existant, pas plus profond que douze mètres.

Les tunnels arrivent sous les canalisations de gaz et d’eau et des égouts. L’autre problème est l’emplacement tout aussi profond des futures stations et leur grande surface, de plus de cent mètres sur quarante.

Le Grand Paris Express est-il trop ambitieux ? Le gouvernement français se questionne. Beaucoup trop de travaux ont démarré en même temps, insinue l’Élysée.

Le fait qu’à chaque nouvelle étude sur l’état du sol le prix du super métro arrive à un niveau plus élevé n’améliore pas le consensus autour du projet.

Dans quelques semaines, une version adaptée du projet, actuellement budgétisé entre 28 et 35 milliards d’euros, sera probablement présentée.

La nouvelle approche semble de faire ce qui est nécessaire pour les Jeux olympiques de 2024 et l’exposition universelle de 2025, accueillis par Paris.

Concrètement, cela signifie probablement que les machines de forage pour les lignes 17 et 18 ne seront actives qu’après 2030.

Le fait qu’à chaque nouvelle étude sur l’état du sol le prix du super métro arrive à un niveau supérieur n’améliore pas le consensus autour du projet.

Si elles voient le jour. Car les sceptiques du Grand Paris Express ont de nouvelles munitions en main depuis que la FNAUT (Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports) a publié le mois passé un avis extrêmement critique sur le nouveau métro.

La FNAUT craint qu’il n’y ait bientôt plus d’argent pour l’amélioration des transports publics existants.

C’est la raison pour laquelle la fédération déclare donner la priorité aux lignes 14 et 15. La ligne 16 peut attendre et la région de Paris doit pouvoir se passer des lignes 17 et 18, estime-t-elle. Le budget pour ces lignes – évalué à plus de 5 milliards d’euros – pourrait bénéficier aux trains du RER et au tram.

Les lignes 17 et 18 sont tout simplement trop chères, évalue la FNAUT. Selon les prévisions, la ligne 17 pourrait ainsi compter sur tout au plus 200.000 usagers par jour, la ligne 18 sur 100.000 par jour.

À titre de comparaison : les lignes A et B lourdement surchargées du RER transportent quotidiennement à peu près un million de passagers.

Thérapie économique de choc

Les maires des communes – généralement prospères – de la ligne 18 et ceux des communes pauvres de la ligne 17 poussent de hauts cris.

Selon ces derniers, la ligne 17 est indispensable, car elle désenclavera de nombreux quartiers en difficulté. Or, selon la FNAUT, cet argument social n’est pas exact. La ligne 17 suit en grande partie le trajet du RER B, qui relie aujourd’hui déjà Saint-Denis, Le Bourget et l’aéroport de Roissy entre eux.

Un autre problème pour la ligne 17 est que Paris a déjà donné le feu vert pour le Charles de Gaulle Express précédemment, une liaison ferroviaire rapide entre l’aéroport de Roissy et Paris.

Philippe Yvin, le CEO de la Société de Grand Paris qui supervise le projet, essaie de sauver le plan original. Selon lui, l’importance d’une ligne ne s’exprime pas uniquement en nombre de voyageurs.

“Il s’agit aussi de développement”, explique-t-il dans le journal Le Monde. “Chaque élément contribue à une thérapie économique de choc. Et l’impact sera plus grand et les coûts seront inférieurs si nous ne différons pas de lignes.”

Des entreprises belges participent

Le Grand Paris Express est beaucoup trop grand pour les grandes entreprises de construction françaises. Les trois géants Vinci, Eiffage et Bouygues ont besoin de sous-traitants étrangers. Maintenant que 2 milliards d’euros ont déjà été dépensés pour le projet, 1.500 entreprises sont impliquées dans le Grand Paris Express. “Nous sommes explicitement ouverts aux offres de l’étranger”, souligne Jean-François Stoll de la Société du Grand Paris (SGP) lors d’une soirée pour les entrepreneurs belges à la résidence de l’ambassadeur belge à Paris. La SGP est l’entreprise publique créée par l’État français qui pilote la réalisation du projet.

“Il y a encore beaucoup à gagner dans l’achèvement”, explique Stoll. “Pensez par exemple à l’électricité, la plomberie, les escalators, les espaces verts pour les stations, et tout ce qui concerne le wifi et les données, car l’objectif est que, dans le nouveau métro, on puisse rester en ligne et être toujours joignable sur son mobile.”

Les grands protagonistes belges dans le projet sont le bureau d’ingénieurs-conseils Sweco Belgium – qui a ouvert un bureau temporaire à Saint-Denis avec une soixante de collaborateurs – et la filiale de Besix Franki Foundations, le leader du marché dans le Benelux pour les fondations en profondeur. Sweco est responsable d’une partie de la conception des lignes 15 et 17 et de deux centres de maintenance. Les fraises hydrauliques de Franki Foundations, des machines géantes utilisées pour les murs souterrains, sont déjà occupées à creuser sur différents sites. Le travail de Franki à la partie sud de la ligne 15 devrait générer entre 40 et 47 millions d’euros.

De plus petites sociétés espèrent elles aussi décrocher une mission, comme l’entreprise de construction Aertssen, spécialisée en terrassements. “Des quantités énormes de terre et de décombres devront être déplacées. 45 millions de m³, ce n’est pas rien”, précise Leo De Sutter de la société située à Stabroek. “Nous espérons naturellement en faire partie. J’ai eu des contacts avec Vinci. Il faut maintenant attendre, je ne peux encore rien communiquer de concret.”

La société Vergokan à Audenarde participe à une procédure d’appel d’offres pour des gaines de câbles, des systèmes de support de câbles en métal. “Nous en espérons le meilleur”, réagit Frédéric Bonnin-Thesta, manager de Vergokan en France. “Il s’agit d’une mission pour la ligne 15, où 600.000 euros sont en jeu, ce qui est beaucoup pour notre branche.” Si cela ne devait pas réussir, rien ne serait perdu. “Cela représente tellement de kilomètres, nous essaierons dans ce cas tout simplement encore une fois.”

Concernant les allégations liées à une éventuelle annulation d’une partie du projet (les lignes 17 et 18), pour l’heure, les Belges ne s’en inquiètent pas. “Pour la ligne 18, nous venons tout juste d’envoyer notre offre”, ajoute Maurice Bottiau, manager chez Franki Foundations. “Nous sommes au courant des rumeurs, mais nous nous basons sur ce que nous savons. “

Auteur : Kleis Jager, correspondant en France pour Trouw et Het Financieele Dagblad

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