Outre l’acier, Washington protège jalousement son secteur technologique

Cristiano Amon, PDG de Qualcomm Incorporated © Reuters

En cherchant à bloquer le rachat de l’un de ses poids lourds technologiques par un concurrent asiatique, les autorités américaines affirment protéger ce secteur stratégique des visées chinoises, perçues comme une menace commerciale et politique.

Qualcomm, mastodonte américain des semi-conducteurs –la puce qui fait tourner smartphones ou ordinateurs– refuse de se faire avaler par son concurrent Broadcom, qui propose environ 120 milliards de dollars, un record pour le secteur.

Dernier épisode en date, le groupe basé en Californie a saisi le comité sur les investissements étrangers (CFIUS), chargé d’examiner des transactions qui pourraient avoir un impact sur la sécurité nationale. Le CFIUS, qui peut recommander au président américain de s’opposer à une opération, a au minimum un mois pour examiner le dossier en détail et le groupe espère que le projet sera bloqué avant l’assemblée générale de ses actionnaires le 5 avril.

Le CFIUS a d’ores et déjà écrit noir sur blanc que “toute fusion possible entre Qualcomm et Broadcom pourrait poser un risque pour la sécurité nationale” car elle “affaiblirait le +leadership+ technologique” du groupe américain, qui est un des “leaders” de la 5G grâce à ses nombreux brevets.

L’idée de protéger certains secteurs stratégiques de l’influence étrangère, surtout chinoise, est l’un des leitmotivs du président américain Donald Trump, qui veut mettre en place des droits de douanes de 25% sur les importations d’acier et de 10% pour l’aluminium.

Et alors que l’Asie –Chine en tête– dispute aux Etats-Unis sa place de leader dans les technologies et des télécommunications, ce secteur fait désormais clairement partie des domaines jugés stratégiques commercialement et politiquement.

L’une des raisons est la course à la 5G, l’internet mobile ultra rapide qui va se déployer progressivement dans les deux années qui viennent.

‘Mainmise de la Chine’

Le CFIUS s’était déjà opposé l’année dernière au rachat du fabricant américain de semi-conducteurs Lattice par un groupe étatique chinois appuyé par un fonds d’investissement américain, un avis suivi par Donald Trump.

Les enjeux liés à un rachat de Qualcomm par son concurrent sont multiples, explique Lee Ratliff, analyste du cabinet IHSMarkit: “il s’agit de sécurité, oui. Mais aussi la compétitivité et la dominance des Etats-Unis dans le secteur technologique”.

Et même si Broadcom est basé à Singapour, c’est bien la Chine que craignent les autorités américaines: un affaiblissement de Qualcomm “permettrait à la Chine d’augmenter son influence dans la (…) 5G”, affirme le CFIUS, qui cite le groupe chinois Huawei, très présent dans la 5G et que les Etats-Unis soupçonnent, comme d’autres groupes chinois, de faire de l’espionnage pour le compte de Pékin, des accusations rejetées par les intéressés.

Ce sont ces craintes qui ont d’ailleurs fait vraisemblablement capoter récemment un partenariat entre Huawei et l’opérateur américain AT&T.

La crainte vis-à-vis de la Chine n’est pas nouvelle, rappelle pour sa part Andrew Hunter, expert en sécurité internationale au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), basé à Washington.

“Ce qui a changé depuis dix ans, ce n’est pas en soi le niveau d’inquiétude envers la Chine mais l’importance des investissements chinois directement dans des secteurs américains sensibles”, explique-t-il.

Selon le cabinet Rhodium Group, les investissements directs d’entreprises chinoises aux Etats-Unis, tous secteurs confondus, ont atteint 45,6 milliards de dollars en 2016, trois fois plus qu’en 2015 et dix fois plus qu’en 2011.

Mais en l’occurrence, les arguments du CFIUS sont biaisés, estime l’analyste Stacy Rasgon de Bernstein. “Je comprends les craintes à propos d’une mainmise de la Chine sur notre propriété intellectuelle, mais en l’espèce, elles sont mal placées” car, selon lui, un rachat n’affaiblirait pas Qualcomm dans la 5G.

De plus, souligne-t-il, Broadcom n’est pas vraiment un groupe étranger car il n’a guère à Singapour que son siège.

Broadcom, né du rachat en 2015 du groupe américain du même nom par le groupe américano-singapourien Avago Technologies, prévoit de plus de se relocaliser aux Etats-Unis dans les prochaines semaines, rappelle-t-il.

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