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‘Oui, la Belgique a laissé filer ses multinationales’

“En Belgique, il ne reste plus de grandes entreprises internationales, à part AB InBev.” Il faut bien avouer que la petite phrase de Mark Rutte a un fond de vérité: n’est-il pas vrai que nous avons perdu une série de sièges de multinationales ces 30 dernières années: PetroFina, BBL, Royale Belge, Electrabel, Tractebel, CBR, Raffineries Tirlemontoises, etc. ?

Lorsqu’ils parlent de la Belgique, les hommes politiques des Pays-Bas font rarement dans la dentelle. Voici neuf ans, lors de la chute de Fortis, Wouter Bos, qui était alors ministre néerlandais des Finances, avait lancé son fameux : ” la Belgique est redevenue un nain bancaire “, se réjouissant au passage d’avoir acheté, aux descendants des va-nu-pieds qui avaient bouté Guillaume d’Orange hors du parc de Bruxelles, les ” bons ” actifs de Fortis, laissant à ces niais les éléments toxiques. Au final, on a vu que les problèmes ne se situaient pas nécessairement là où Wouter Bos les voyait.

Soucieux de préserver cette belle tradition, le Premier néerlandais Mark Rutte a donc, lui aussi, émis sa petite phrase belgophobe. Pour défendre la disparition de la taxation des dividendes, il a expliqué qu’il était important de rester attractif. ” On voit ce qui se passe en Belgique quand on ne change pas les balises à temps, a-t-il dit en conférence de presse la semaine dernière. En Belgique, il ne reste plus de grandes entreprises internationales, à part AB InBev. ” Une exagération qui snobe UCB, Solvay, Umicore, KBC, etc., et qui a déclenché la colère de Charles Michel.

Certes, le Premier néerlandais a effectué sa sortie dans un contexte très particulier. En interne, il doit fédérer une coalition très fragile (un seul petit siège de majorité). Et sur le plan extérieur, les révélations des ” Paradise Papers ” ont jeté une lumière très dérangeante sur le dumping fiscal néerlandais.

Il apparaît désormais au grand jour que les multinationales américaines font un usage massif de la CV-BV (société en commandite), une forme juridique qui échappe à la fois aux griffes du fisc américain et du fisc néerlandais. ” On voit dans les statistiques américaines – qui sont particulièrement bonnes – que dans ces centaines de milliards de dollars de profits réalisés par les multinationales américaines hors du territoire des Etats-Unis, les Pays-Bas sont le paradis fiscal n° 1, constate Gabriel Zucman, professeur à l’université de Berkeley et spécialiste de la ” richesse cachée des nations “. C’est seulement après qu’on voit apparaître les Bermudes, le Luxembourg, la Suisse, Hong Kong, Singapour, les îles Caïmans “.

La question n’est pas de “changer les balises à temps”. Elle est de disposer de balises claires, qui ne dérivent pas au gré des contrôles budgétaires ou des changements de coalitions.

Mais la colère tassée et la mauvaise foi oubliée, il faut bien avouer que la petite phrase de Mark Rutte a un fond de vérité : n’est-il pas vrai que nous avons perdu une série de sièges de multinationales ces 30 dernières années : PetroFina, BBL, Royale Belge, Electrabel, Tractebel, CBR, Raffineries Tirlemontoises, etc. ?

Bien sûr, contrairement à ce que Mark Rutte affirme, ces sociétés ne sont pas parties à l’étranger parce que le taux de l’Isoc était trop élevé. Elles ont déménagé tout simplement parce qu’elles n’ont pas pu créer un ancrage belge, les actionnaires de référence préférant prendre leurs bénéfices (et profiter de l’absence de taxation des plus-values) ou s’adosser à des groupes étrangers plus puissants. Et a contrario, quand bpost a voulu mettre la main sur la poste néerlandaise, on a assisté à une levée de boucliers aux Pays-Bas qui a fait capoter le projet.

Ce que les Pays-Bas doivent nous inspirer, ce n’est donc pas la course au dumping fiscal, qui devient d’ailleurs de plus en plus difficile en raison des mesures que poussent l’Union européenne et l’OCDE. En revanche, le modèle néerlandais est inspirant lorsque l’on pense à l’importance de leurs fonds de pension, au pragmatisme de leur système législatif, à la continuité de leur politique fiscale… Pour reprendre les termes de Mark Rutte, la question n’est pas de ” changer les balises à temps “. Elle est de disposer de balises claires, qui ne dérivent pas au gré des contrôles budgétaires ou des changements de coalitions. Bref, d’une politique industrielle et de mesures fiscales susceptibles d’arrimer pour longtemps en Belgique des capitaux désireux de s’investir dans des entreprises belges… En cela, Mark Rutte a raison : la Belgique peut mieux faire.

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