“On n’a pas ressuscité une compagnie pour f… le camp !”

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La crainte du fondateur de Brussels Airlines ? Que la Lufthansa ne veuille pas prendre 100 % de la compagnie belge, comme c’était prévu. Une crainte confirmée par la compagnie allemande, qui a acté une réduction de valeur de 13 millions sur sa filiale belge. Interview.

Lufthansa réduit la valeur de Brussels Airlines

Le groupe allemand Lufthansa a été contrainte de déprécier la valeur de ses parts dans Brussels Airlines en raison des mauvais résultats et de la mauvaise conjoncture qui entoure le secteur aérien actuellement, révèle jeudi L’Echo. Il a ainsi réduit la valeur des 45 % acquis en 2009 de 13 millions d’euros. “Nous ne lèverons pas l’option d’achat sur Brussels Airlines en 2012, car nous avons à gérer des dossiers difficiles comme la restructuration de la compagnie Austrian qui est en cours et la cession de BMI”, a par ailleurs précisé au quotidien un porte-parole de Lufthansa.

En annonçant des pertes exceptionnelles de 80 millions d’euros pour 2011, Etienne Davignon, président de SN Airholding (maison-mère de Brussels Airlines), demande que le secteur aérien belge puisse bénéficier du même niveau de cotisations sociales et fiscales que les concurrents pour son personnel navigant. Les concurrents paient en effet environ 30 % de contributions de moins que les compagnies immatriculées en Belgique.

SN Airholding appartient à 45 % au groupe Lufthansa, qui devait intégrer la compagnie à hauteur de 100 %. A condition qu’elle soit rentable… Troublé par d’autres dossiers – et peut-être le contexte fiscal d’une compagnie comme Brussels Airlines – le groupe allemand a décidé de ne pas acquérir les 55 % qui lui manquent (lire encadré ci-dessus).

Voici l’interview d’Etienne Davignon publiée par Trends-Tendances la semaine dernière, avant, donc, l’annonce de la décision de Lufthansa.

Pensez-vous que le gouvernement fera une exception pour une entreprise en matière fiscale, en pleine période d’austérité ?

Notre demande porte pour le secteur, pas seulement pour nous. Le gouvernement peut se poser des questions : en 2000, le pays comptait 11 compagnies aériennes. En 2012, il n’y en a plus que six.

La Belgique est un mauvais pays pour lancer une compagnie aérienne ? Est-ce trop compliqué ?

Techniquement, non ; financièrement oui.

Votre demande d’un statut fiscal et social particulier rappelle des demandes semblables, dans les années 1990, de la Sabena, qui estimait avoir des coûts sociaux supérieurs à ceux de British Airways… Pourquoi n’avoir pas évoqué le souci en 2001, lors des débuts de SN Brussels Airlines ?

Non, le problème n’est pas nouveau. Pourquoi ne pas l’avoir évoqué avant ? Car nous avons pu y faire face pendant 10 ans. Parler d’un handicap quand vous le surmontez n’est ni très digne, ni très efficace. Mais l’an dernier, nous avons perdu 80 millions d’euros. Ces pertes sont dues à la guerre civile en Côte d’Ivoire et au changement unilatéral de l’accord aérien avec le Sénégal, qui ont coûté 40 millions d’euros. Ces éléments ne se reproduiront pas. Les autres 40 millions d’euros de pertes proviennent de la hausse du kérosène. Et on payera encore 40 millions de plus pour le carburant en 2012. Bref, nous risquons à nouveau une perte de 80 millions cette année. La constatation est faite que si nous devons continuer à payer les cotisations telles que nous les payons nous n’arriverons pas à réduire, dans le contexte actuel, les coûts à un niveau qui garantit le développement de la société.

Les syndicats estiment que vous posez mal la question. Pour eux, il ne faut pas demander un régime spécial, mais l’application du régime belge à Ryanair…

C’est gentil de leur part de le dire, mais Ryanair n’est en rien en faute. La compagnie fait ce qu’elle est autorisée à faire jusqu’en 2020. Le secteur aérien bénéficie d’une autorisation qui permet de domicilier le personnel navigant hors du pays où il a une base, en termes de cotisations sociales et de fiscalité. Mais cela s’arrêtera pour les cotisations en 2020, et les nouveaux engagés devront respecter la règle générale dès l’adoption de la mesure.

Est-ce que le problème ne se situe pas dans la gestion de Brussels Airlines ?

Nous nous sommes posé la question en analysant la perte de 2011. A-t-on le bon modèle ? Nos objectifs d’augmentation de passagers (Ndlr : +16,4 % en 2011), d’occupation de nos avions, sont positifs. L’objectif de la captation de la clientèle intéressée par notre type d’activité est atteint. Nous avons constaté que nous pouvons faire la concurrence à nos concurrents low cost à partir de Bruxelles, et là, le concurrent est EasyJet. En augmentant la capacité sur Genève et Nice, nous avons vu que nous parvenions à bien tenir. Nous avons décidé une réduction des frais généraux de l’ordre de 15 % à 20 % pour récupérer une partie des pertes. Nous ouvrons New York en juin, car beaucoup de passagers qui viennent des Etats-Unis continuent sur nos lignes. En avril, on commence une extension de nos activités au Congo avec la compagnie Korongo. Cela montre que la liaison entre le sort de Brussels Airlines et celui de l’aéroport est important.

Qu’apportez-vous à l’aéroport de Bruxelles qu’une compagnie étrangère n’apporterait pas ?

Un grand nombre de passagers en transit. A Charleroi, il n’y a quasiment pas de passagers en correspondance. Alors que 70 % des passagers qui viennent de notre réseau africain prennent d’autres vols à Bruxelles. Ce transit est aussi très important pour nous : Si nous n’avions pas le long-courrier, et que nous devions travailler qu’en Europe, nous ne nous en sortirions pas. Quand nous ouvrons une ligne nous créons quatre fois plus de retombées économiques qu’une compagnie étrangère qui dessert Bruxelles. Ce sera le cas pour le nouveau vol de New York.

Que ferez-vous si le gouvernement n’accepte pas votre demande ?

Ce serait triste. Du reste, il n’est pas certain que l’Etat y perde s’il accepte. Un refus serait ennuyeux vis-à-vis de la Lufthansa. Elle est persuadée d’avoir fait une bonne opération stratégique (avec le rachat de 45 % de SN Airholding en 2009) et estime que le développement d’un hub pour Star Alliance est une bonne chose. Nous allons voler vers le Cameroun à la place de Swiss, et ainsi de suite. Même chose sur Accra (Ghana). Aujourd’hui, parce que le secteur est en difficulté en cause du prix du kérosène, et que le groupe Lufthansa a des soucis avec Austrian, il ne va pas reprendre 100 % d’une compagnie dont il ne peut estimer qu’elle a une perspective profitable.

Et la menace de partir à Luxembourg ou en Irlande ?

Ce serait un paradoxe : je pourrais dire que l’on délocalise pour sauver l’emploi et pas pour le supprimer. Mais ce ne serait qu’un truc… Et il pourrait affecter la crédibilité de la compagnie. Je le constate déjà aujourd’hui, compte tenu d’une série de réflexions médiatiques. Dire que la situation est intolérable signifie que cela ne peut durer, donc que l’on pourrait aller en faillite. Dans un pays encore marqué par la chute de la Sabena, je ne peux pas me permettre de donner cette impression, alors que la situation financière de la compagnie ne le justifie pas. En prenant la décision de partir, je conforterais la crainte de l’ébranlement de crédit. Pour les fournisseurs, les voyageurs potentiels, les répercussions de notoriété ne sont pas bonnes. Et puis, on n’a pas ressuscité une compagnie pour foutre le camp. On n’a pas fait l’effort de reconstruire une compagnie, qui a gagné de l’argent jusqu’en 2011… On nous donnait six mois de vie. Pour les optimistes c’était un an. Dix ans après, nous employons 3.500 personnes, 4.000 personnes dépendent de nous, c’est une réussite. Il faut trouver la manière de maintenir la réussite. C’est au gouvernement de voir si c’est dans l’intérêt général de faire quelque chose pour le secteur. Sinon je devrais réduire la voilure.

Quand espérez-vous une réponse du gouvernement ?

Je suis réaliste… Comme il s’agit d’un régime fiscal, le moment de la décision importe moins que le moment où débute la rétroactivité.

Vous espérez bénéficier d’une mesure sur la totalité de l’exercice 2012 ?

Ce serait plus simple.

Et la perte serait réduite de moitié ?

Davantage ! En cumulant les mesures internes, on espère réduire la perte de 20 ou 30 millions. Et faire des bénéfices en 2013.

Propos recueillis par Robert van Apeldoorn

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