“Nous ne voulons plus être une entreprise d’électronique grand public”

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Une restructuration radicale de l’entreprise traditionnelle, des opportunités commerciales nées du vieillissement des populations, la fabrication (inattendue) de “sex toys”, autant de sujets que le CEO de Philips a accepté de commenter sans retenue.

DER SPIEGEL. Lorsque vous êtes devenu CEO de Philips en 2001, l’entreprise comptait environ une douzaine de divisions. Aujourd’hui, il n’en reste plus que trois : l’éclairage, l’électronique grand public et les soins de santé. L’entreprise souffre-t-elle d’anorexie au point de se laisser mourir de faim ?

GERARD KLEISTERLEE. Absolument pas. Philips est une entreprise en très bonne santé qui a même généré un bénéfice en 2009, l’année de la crise financière. La vérité est qu’elle a été restructurée en profondeur. Au début, nous avons été confrontés à la question suivante : devons-nous continuer à produire toute la gamme de technologie de base, à commencer par nos propres microprocesseurs, ou devons-nous nous rapprocher du consommateur final et renforcer notre marque ? Nous avons opté pour la seconde solution et ce choix a eu un effet positif sur notre résultat financier.

Pourtant, quand vous avez commencé, Philips réalisait un chiffre d’affaires proche de 32 milliards d’euros. En 2009, il était inférieur à 26 milliards d’euros. Cela ne ressemble pas tout à fait à de la croissance.

C’est exact mais pour réaliser une croissance saine, il importe d’abord d’avoir des fondations saines. Il ne suffit pas de faire grossir le chiffre des ventes, Philips en a d’ailleurs fait la douloureuse expérience au début des années 1990 lorsque nous avons frôlé la faillite en dépit de la croissance enregistrée. La stratégie d’expansion que nous avons poursuivie au cours de la seconde moitié des années 1990 n’a pas non plus toujours été soigneusement réfléchie. Nous avons souvent essayé d’en faire trop. A présent, nous nous concentrons sur trois domaines qui sont des marchés de croissance partout dans le monde et qui, selon toutes les projections, vont vraisemblablement le rester : la santé, l’électronique lifestyle et l’éclairage.

Les mesures de réduction des effectifs sont-elles arrivées à leur terme ?

Elles sont finies depuis longtemps. La vente de grandes divisions, comme la production de microprocesseurs et la fabrication de moniteurs, est achevée. En même temps, nous avons acheté un certain nombre d’entreprises qui nous renforcent dans nos domaines de base. C’est uniquement la faute de la crise économique mondiale si ces développements ne se sont pas encore traduits en une croissance de nos ventes en 2009. Quand la crise sera passée, je prévois des taux de croissance annuels de 6 % voire davantage.

La crise touche-t-elle à sa fin selon vous ?

Non, elle n’est pas finie. Mais nous la contrôlons de mieux en mieux, comme vous pouvez le voir d’après nos coûts.

Ce n’est pas étonnant en faisant ce que vous faites et en supprimant rapidement des milliers d’emplois.

Les licenciements collectifs sont toujours pénibles. Mais l’effondrement dans certains marchés a aussi été brutal. Et quand on sait que la demande de certains produits ne reprendra pas après la crise, les fermetures d’usines deviennent inévitables. Dans le cas des ampoules à incandescence, par exemple, nous procédons à une restructuration dramatique à cause de l’interdiction de vente de ces ampoules dans certains pays. Nous accueillons favorablement cette évolution parce qu’elle contribuera à améliorer l’équilibre énergétique mondial. Mais les conséquences ne sont pas aussi positives pour le personnel étant donné qu’on ne peut pas simplement convertir une usine de fabrication d’ampoules conventionnelles en une unité de production d’ampoules de la nouvelle technologie.

Dans la division électronique grand public, vous avez déjà fermé presque toutes vos usines. Philips risque-t-elle de connaître le même sort que des entreprises d’électronique grand public comme Grundig ou Telefunken qui ont fait faillite alors que c’étaient des grands noms de l’électroménager ?

Non. Après tout, l’époque où nous étions une entreprise d’électronique grand public classique, remonte à bien longtemps.

Mais la marque continuera probablement à être synonyme d’électronique grand public dans l’esprit de la plupart des consommateurs.

C’est peut-être le cas en Europe occidentale. Mais en Chine, par exemple, nous sommes bien mieux connus pour nos appareils électroménagers. Aux Etats-Unis, les gens connaissent principalement la marque pour sa technologie médicale. Et c’est absolument ainsi que nous voulons que ce soit. Il est bon que Philips ne représente plus une seule catégorie de produits. C’est quelque chose qui se reflète aussi dans la valeur croissante de la marque.

Mais n’est-ce pas une stratégie dangereuse de faire fabriquer 90 % de vos produits par des sous-traitants et d’éliminer de plus en plus de produits de votre gamme ?

C’est devenu une pratique courante chez la plupart des grands fabricants du secteur de l’électronique grand public. Apple n’assume plus sa propre production. Hewlett-Packard ne fabrique plus tout lui-même. Dell non plus.

Excusez-nous mais vous citez exclusivement des entreprises informatiques. Vos concurrents directs sont des entreprises comme Panasonic et Sony qui se chargent encore de leur propre fabrication. Votre attitude de repli n’est-elle pas davantage une déclaration de faillite face à la concurrence de l’Asie du Sud-Est ?

Il est vrai que certains de nos concurrents traditionnels fabriquent toujours leurs produits eux-mêmes. Mais on peut voir qu’ils rencontrent de plus en plus de difficultés précisément avec cet aspect de leur activité. Pratiquement tous nos concurrents japonais suivent à présent la même voie que celle dans laquelle nous nous sommes engagés voici 10 ans. Samsung est la seule entreprise qui a conservé l’ancienne intégration verticale. Je suis de toute façon certain que cette structure ne représente pas l’avenir du secteur.

Votre groupe a-t-il renoncéà son ancienne prétention à être n°1 dans le secteur de l’électronique grand public ?

Les temps changent. Nous ne voulons certainement plus être une entreprise d’électronique grand public avec une gamme de produits particulièrement large. Dans ce cas, nous devrions aussi proposer des GSM, des systèmes de navigation, des appareils photo numériques et beaucoup d’autres produits. Or dans toutes ces catégories, il n’y a qu’un ou deux leaders forts qui laissent les autres acteurs les mains vides. Il est donc plus sensé pour nous de renforcer notre position en termes de produits intéressants comme les rasoirs et les brosses à dents que de nous attaquer à la concurrence venant d’Asie dans le secteur de l’électronique grand public.

La concurrence ne vous talonne-t-elle pas beaucoup plus si vous vous concentrez sur des rasoirs et des brosses à dents plutôt que sur des produits high-tech ?

Pas du tout. La technologie joue encore un grand rôle dans l’électronique médicale et l’éclairage mais pas dans les produits de consommation où le marketing est à présent le facteur décisif. Ce qui importe, c’est dans quelle mesure l’appareil est facile à utiliser et satisfait les désirs du client.

Qu’est-ce qui distingue les fers à repasser, les réveils “Wake-up Light” ou bien les moniteurs pour bébés de Philips de ceux de la concurrence ?

Les idées et l’excellente qualité du produit. Il suffit de songer à nos machines à café Senseo. Nous avons trouvé l’idée des dosettes de café. Cela a créé un énorme marché qui n’existait pas auparavant. La technologie a seulement joué un rôle secondaire.

Quelle est l’idée qui a présidé au développement des nouveaux sex toys de Philips qui se vendent à présent en Allemagne et au Royaume-Uni, entre autres ?

L’idée est venue d’un groupe de jeunes qui travaillent sur les sujets de la santé et du bien-être. Il était devenu évident qu’il y avait des différences majeures dans ce que les gens considèrent comme le bien-être. En Inde ou en Chine, où la propreté de l’eau potable et la pollution de l’air jouent un grand rôle, le bien-être a une autre signification qu’en Europe. Ici, il signifie pour certains le fait de pouvoir s’asseoir dans le divan et regarder la télévision après une dure journée de travail ; pour d’autres, il inclut la satisfaction sexuelle.

L’idée selon laquelle le sexe fait vendre n’est certainement pas neuve. Mais dans une entreprise traditionnelle comme Philips, il a dû y avoir nettement plus de résistance à ces innovations qu’au lancement de purificateurs d’eau en Inde.

L’équipe qui travaillait sur les produits s’attendait aussi à cela et le conseil d’administration a naturellement eu de longues discussions avant de lui donner le feu vert.

Quelles étaient vos réticences ?

Nous avons très soigneusement examiné, par exemple, si de tels produits feraient du tort à notre marque, en particulier auprès des clients de notre technologie médicale. La réaction fut totalement positive. Nos appareils de massage sensuel sont complètement différents des sex toys ordinaires. Ce sont des objets que vous pouvez laisser traîner chez vous sans éprouver de gêne.

Quelle signification le marché du relationship care, comme vous l’appelez, a-t-il pour Philips ?

Nous sommes encore dans la phase d’apprentissage et je ne peux pas dire avec précision où cela va nous mener. Mais l’avenir de Philips n’en dépend certainement pas. Pour nous, il s’agissait en partie de montrer à nos collaborateurs que des idées non conventionnelles étaient aussi les bienvenues si elles satisfaisaient à certaines exigences. Elles doivent convenir au marché, les produits doivent être de haute qualité et il doit être possible de les vendre dans des marchés de détail ordinaires. Nous avons plein d’autres idées pour améliorer le bien-être, en particulier pour les gens qui souffrent de maladies chroniques.

Par exemple ?

Nous ne pouvons pas et ne voulons pas placer tous les malades chroniques dans des hôpitaux ni tous les seniors dans des maisons de repos. De sorte que le monitoring à distance des maladies et infirmités acquiert de plus en plus d’importance. D’un point de vue technologique, il n’y a pas de problème mais la société a encore des réserves majeures. Nous travaillons sur divers projets pilotes dans ce domaine.

On utilise des robots dans les soins donnés aux personnes âgées au Japon. Pourriez-vous imaginer quelque chose de similaire en Europe ?

Non. Si des robots devaient remplacer les amis et voisins, ce ne serait plus ma société. Néanmoins, une société vieillissante soulève certainement des questions. Par exemple, y aura-t-il dans l’avenir assez de gens qui seront disposés à fournir ce type de soins et comment pourrons-nous nous le permettre financièrement ?

Et quelle est votre réponse ?

La technologie jouera – nécessité oblige – un plus grand rôle dans les soins à donner aux personnes âgées. Mais je songe davantage à des aides pratiques, pour des gens qui veulent continuer à vivre de façon indépendante et qui en sont capables avec le soutien d’un équipement spécialement conçu et d’un usage aisé. Et nous y travaillons.

Frank Dohmen et Klaus-Peter Kerbusk (“Der Spiegel”)

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