“Nous ne sommes pas les seuls naïfs à croire dans le potentiel bruxellois”

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Carlson Rezidor, le groupe hôtelier qui regroupe les marques Radisson Blu, Park Inn by Radisson et Park Plaza, a ouvert deux nouveaux hôtels à Bruxelles depuis les attentats de mars 2016. Le Belge Eric De Neef, responsable commercial du groupe, nous explique les raisons de ce choix et décrit les défis de ce secteur que la consolidation, le terrorisme et la technologie transforment à vue d’oeil.

Menace terroriste ou pas, Carlson Rezidor poursuit sans ciller son expansion dans notre pays. Le tout premier Radisson RED, car c’est ainsi qu’on les nomme, a ouvert ses portes en plein coeur de Bruxelles seulement quelques semaines après les attentats du 22 mars 2016. Plus récemment, le groupe a inauguré son quatrième hôtel bruxellois avec un Park Inn by Radisson, situé à un jet de pierre de Zaventem. Carlson Rezidor compte désormais 12 hôtels dans notre pays, mais le groupe ne compte pas en rester là. C’est en tout cas ce qu’affirme le Bruxellois Eric De Neef (53 ans), responsable mondial de toutes les activités commerciales et de développement des marques chez Carlson Rezidor. Un groupe qui, avec plus 1.400 hôtels (opérationnels ou en développement) et 95.000 travailleurs, fait partie du top 10 mondial.

ERIC DE NEEF. Nous visons un chiffre compris entre 20 et 25 établissements. Nous sommes bien implantés à Bruxelles, avec quatre hôtels opérationnels. A Anvers, nous en avons deux, mais nous pourrions en créer un ou deux supplémentaires. Nous en ouvrirons certainement un à Berchem. Nous en avons également deux à Spa, à Hasselt, à Liège et un à Louvain. Gand manque par contre à notre palmarès et nous percevons un potentiel vraiment considérable à la côte. Il va de soi que nous sommes totalement convaincus par les possibilités de la Belgique. Nous sommes d’ailleurs les premiers à y avoir ouvert des hôtels depuis les attentats bruxellois : le Radisson RED, l’année dernière, où nous ciblons surtout une clientèle jeune, et maintenant cet hôtel à l’aéroport. Avons-nous bu la tasse avec le RED quand nous l’avons inauguré à peine trois semaines après les attentats ? Terriblement. Avons-nous perdu de l’argent ? Enormément. Au total, les attaques nous ont coûté 2 millions d’euros.

Elargissez-vous votre offre à Bruxelles parce que vous misez sur l’expansion de l’aéroport ?

Effectivement, et sur des grandes entreprises comme KPMG, Deloitte et Microsoft. Elles sont très présentes ici et leur croissance est permanente. Nous ne sommes donc pas les seuls naïfs à croire dans le potentiel bruxellois. Le nombre de villes et de pays que l’on peut atteindre de Bruxelles en une heure et demie est incroyable. La zone de chalandise de Zaventem est énorme et l’occupation de l’aéroport a encore une belle marge de progression, par rapport aux 70 % actuels.

Nous ne possédons aucun de nos établissements hôteliers. Nous sommes exploitants, gestionnaires ou accordons une franchise.

Vous travaillez dans un secteur vulnérable. Comment pouvez-vous mieux vous protéger en tant qu’entreprise hôtelière ?

Nous sommes très forts en procédures de sécurité, que nous avons mises en place bien avant le 22 mars 2016. Elles font partie de notre ADN, notamment à la suite de l’attaque sur notre hôtel Radisson Blu à Bamako, la capitale malienne, fin 2015. Un groupe islamiste avait pris 170 personnes en otage et 22 d’entre eux ont perdu la vie, dont certains membres du personnel.

La Belgique est-elle votre ” enfant à problèmes ” ?

Pas du tout. Bruxelles connaît encore quelques difficultés et nous aurons encore besoin d’une année pour stabiliser complètement la situation, mais nous avons le sentiment que les choses rentreront dans l’ordre. La Russie et la Turquie nous causent davantage de soucis. En Turquie, nous exploitons 17 hôtels. Certaines villes comme Izmir et Ankara tournent bien, mais à Istanbul, la situation est terriblement difficile. On peut comparer cela à la Belgique, et à ce qu’a subi Bruxelles après les attaques, alors que les affaires restaient très bonnes dans des villes comme Genk et Anvers. Cela dit, en Turquie, les investisseurs immobiliers se font très rares et il faudra attendre que l’instabilité politique reflue. Même chose en Russie, où les sanctions économiques européennes font sentir leurs effets.

Quel est votre souci principal ?

En ce qui concerne la Belgique, il s’agit du manque de vision et d’ambition. Notre pays a énormément à offrir mais nous n’en faisons pas assez la promotion. La façon inappropriée dont nous avons abordé le marketing de Bruxelles après les attaques a suscité chez moi de la colère et de l’inquiétude. Il aurait été inutile de faire quoi que ce soit dans les trois premiers mois parce que le choc émotionnel était tel que les gens ne seraient de toute façon pas venus. En revanche, il aurait fallu reprendre l’initiative et repositionner Bruxelles, ce que nous ne sommes pas parvenus à faire. Des campagnes ont été lancées, comme Sprout to be Brussels, mais ce n’était pas suffisant. La ville a effectivement pris des décisions, ainsi que la Région et les autorités fédérales, mais ces efforts étaient trop fragmentés. Regardez Paris, où la réaction a été extrêmement déterminée, avec une vraie campagne, où le secteur privé et les instances touristiques ont dépensé des millions pour promouvoir la ville et soigner son image.

Que suggérez-vous ?

Nous devons développer une stratégie marketing claire, avoir assez d’ambition et de vision pour faire la publicité de la ville, ce que je ne vois pas. Bruxelles n’y parvient pas, non seulement en ce qui concerne le marketing, mais aussi le système dans son ensemble. Une telle politique commencerait par l’accueil des chauffeurs de taxi. Ils devraient être sympathiques et rouler dans des taxis propres. Or, il faut bien appeler un chat un chat : le problème se pose dès cette étape. Puis, il y a les infrastructures routières dans et autour de Bruxelles. Que faisons-nous pour éviter que les visiteurs restent dès le départ coincés dans les embouteillages pendant une heure ? Nous avons énormément à offrir à Bruxelles et à Anvers, et le potentiel de Bruges est phénoménal. Avec ces trois villes, nous devons tirer toute la Belgique. Existe- t-il une quelconque coordination entre ces trois villes ? Et il y a plus. Pouvons-nous attirer des congrès de 5.000 personnes ? Non, nous n’avons pas cette capacité. Et le produit de luxe par excellence, les hôtels cinq étoiles comme le Ritz ou le Dorchester, nous ne l’avons pas. Nous n’attirons pas la clientèle prête à payer 700 à 800 euros/nuit et nous ne faisons rien pour créer ce marché. Bruxelles a pourtant une aura, c’est une marque connue dans le monde entier.

Quelle est votre question prioritaire à l’échelle mondiale ?

L’évolution de la technologie, car c’est très cher. Jadis, il y avait plus de luxe à l’hôtel que chez les particuliers. De nos jours, tout le monde a tout chez soi, ce qui oblige les chaînes hôtelières à investir beaucoup pour continuer à faire la course en tête. Le secteur accuse par exemple du retard en matière de big data. Cela a un prix, mais nous n’avons d’autre choix que de développer cet aspect si nous voulons construire une relation authentique avec chaque client. Nous devons savoir ce que vous buvez et ce que vous mangez lorsque vous descendez dans chacun de nos hôtels. A nous aussi de structurer ces données afin de pouvoir les utiliser et d’en faire des outils de gestion.

Ainsi, quand nous constatons dans notre base de données que vous descendez toujours dans nos hôtels golf, il n’y a pas lieu pour nous de vous envoyer un mailing pour vous prévenir de l’inauguration de notre nouvel établissement à l’aéroport. Cela dit, notre secteur aux Etats-Unis est aussi sous tension à cause du big data. Dans ce pays, la protection de la vie privée est pour ainsi dire inexistante. Pensez par exemple au concept de la web to room : il vous permet de télécharger la clé de votre chambre sur votre smartphone et d’aller dans votre chambre sans passer par la réception. Cette procédure n’est pas possible en Europe. Ici, il faut s’enregistrer. C’est d’ailleurs préférable pour la sécurité. Les lignes sont en train de bouger du tout au tout, mais seuls nous ne pouvons rien. Nous devons donc importer cette technologie en achetant des entreprises ou en nouant des partenariats. Seuls les gros acteurs peuvent se le permettre. C’est une des raisons pour lesquelles la consolidation dans le secteur hôtelier est désormais pleinement lancée. Le coup d’envoi a été donné l’année passée par Marriott et Starwood Hotels. Il y a 10 ans, c’était la course au million, comme nous disions. Quel groupe serait le premier à atteindre le million de chambres d’hôtels ? Aujourd’hui, nous connaissons la réponse. Marriott et Starwood Hôtels sont leaders du marché avec 1,1 million de chambres, un chiffre incroyable. A titre de comparaison, nous gérons actuellement 230.000 chambres (opérationnelles ou en développement).

Vous-mêmes, vous n’avez pas pu y échapper. Depuis l’année dernière, vous êtes entre des mains chinoises, plus précisément celles de HNA, qui détient aussi 25 % du groupe Hilton.

Nous sommes un des derniers secteurs à nous consolider. Le secteur aérien et l’automobile sont passés par là depuis longtemps. Avant, on ne se battait pas pour les clients. Le secteur évoluait dans une zone de confort. Puis, il y a eu le 11 septembre et nos activités en ont pris un coup. Quant à l’origine même de la consolidation, la montée en puissance des OTA (les agences de voyages en ligne comme Expedia et Booking.com, Ndlr), elle est à l’oeuvre depuis le début des années 2000. Ces acteurs ont beaucoup investi dans les outils marketing et dans une plateforme de distribution solide. Ils sont beaucoup plus forts que nous et peuvent facturer entre 12 et 22 % de commission à certains groupes hôteliers. Plus vous réservez en passant par eux, plus ils s’enrichissent. Ils consacrent des budgets astronomiques au marketing. Plus vous avez de chambres, plus vous êtes importants pour les OTA. C’est pourquoi ce sont surtout Marriott et Starwood, avec leur 1,1 million de chambres, qui peuvent poser leurs exigences. La plupart des autres ne sont pas en position de le faire. Mais il n’est pas trop tard. L’hôtellerie doit reprendre l’initiative au moyen de l’expérience vécue par sa clientèle. La seule chose dont nous soyons les propriétaires est notre relation avec le client. Si nous pouvons fidéliser des clients, les convaincre qu’ils doivent prendre contact avec nous, ils ne passeront plus par les OTA mais celles-ci ne disparaîtront pas pour autant. Nous avons aussi besoin d’elles. Prenez un marché comme le Brésil, qui représente beaucoup d’activité pour l’Europe du Sud. Dans ce cas de figure, un groupe hôtelier a intérêt à mettre en place sa propre structure de vente et de marketing, mais peut-être en travaillant malgré tout via une OTA.

Et quid d’Airbnb ?

Nous essayons de comprendre pourquoi Airbnb jouit d’un tel succès. Nous constatons que beaucoup de gens veulent avant tout des expériences locales, qu’ils veulent découvrir une ville et ses habitants. Ils veulent de l’interaction. L’hôtellerie, pour sa part, a toujours approché ses clients avec un produit très sec, des chambres qui doivent être occupées ainsi qu’un petit-déjeuner et un restaurant pour les hôtes. Nous avons décrit cela comme le lonely together, c’est-à-dire 200 chambres occupées par 200 clients qui restent chacun dans leur chambre. Nous remarquons aujourd’hui dans notre Radisson RED qu’un très grand nombre de Bruxellois viennent dans notre lobby lounge pour s’y mélanger avec les étrangers, sans pour autant résider dans l’hôtel. Ils veulent un espace ouvert. Ils veulent socialiser. Cette approche, nous ne l’avons jamais envisagée auparavant en termes de marketing. Il n’a jamais été question d’intégration dans le tissu local. Nous tentons désormais de rectifier le tir. Nous nous efforçons de regagner la relation avec le client.

Nous sommes un des derniers secteurs à nous consolider. Le secteur aérien et l’automobile sont passés par là depuis longtemps.

Qui seront les perdants dans le secteur ?

Les hôtels à l’ancienne, qui ne sont ni rénovés, ni tendance, sont condamnés à disparaître. Les hôtels de 20 ou 30 chambres qui ont des difficultés à faire du bénéfice et qui n’ont pas les moyens de se profiler. L’avenir appartient aux petites chaînes ayant un superproduit, comme 25hours en Allemagne ou Mama Shelter en France, qui sont parvenues à créer un énorme buzz.

Vous exploitez des hôtels, mais en êtes-vous aussi les propriétaires ?

Nous ne possédons aucun de nos établissements hôteliers. Nous sommes exploitants, gestionnaires ou accordons une franchise. Nous sommes par définition asset light et nous ne louons nos bâtiments que dans les lieux stratégiques. Ceux-ci sont souvent construits par les mêmes acteurs. Cet hôtel-ci, par exemple, (le nouveau Park Inn by Radisson de Diegem, Ndlr) a été bâti par le groupe immobilier gantois Upgrade Estate, tandis que le Radisson Blu & Park Inn by Radisson de Hasselt, a été construit avec le groupe GL de Ghislain Lenaers. Ce sont eux également qui développent notre hôtel à Bruges.

Trouvez-vous facilement du personnel ?

Nous devons peaufiner l’image du secteur hôtelier. Nous voyons bien que nous allons vers des temps difficiles en matière de recrutement. Notre personnel travaille par tranche horaire et ces tranches vont de 7 à 15 h, et de 15 à 23 h, sept jours sur sept. Or, pour la jeune génération, pour les femmes comme pour les hommes, le travail de nuit et le week-end est très difficile. Nous avons énormément de contacts avec l’industrie et nous aidons les écoles d’hôtellerie à faire la promotion de notre secteur, parce que nous avons tout le temps besoin de personnel. Nous ne pouvons pas, et nous ne voulons d’ailleurs pas, faire le check-in avec un simple robot ou un ordi

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