“Nous devons mieux accompagner la croissance des PME”

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Le nouveau patron de l’Union wallonne des entreprises (UWE) entend mettre “un focus” sur les PME, le numérique mais aussi le virage vers un management plus collaboratif.

Son agenda lui permettra-t-il de tenir sa première promesse ? Olivier de Wasseige s’engage à visiter une entreprise par semaine, afin de rester en parfaite connexion ” avec le terrain ” et d’en relayer au mieux les préoccupations. Au premier rang de celles-ci : la formation, l’indispensable levier pour que l’offre et la demande d’emplois puissent se rencontrer.

OLIVIER DE WASSEIGE. Des choses ont été faites et bien faites. Le Plan Marshall, les pôles de compétitivité, tout cela va dans le bon sens, c’est évident. Nous avons travaillé de concert avec le gouvernement précédent, nous étions écoutés par certains ministres, et assurément par Jean-Claude Marcourt. Il ne faut donc pas casser tout ce qui a été fait et, d’après ce que j’ai lu dans votre magazine, ce n’est d’ailleurs pas l’intention du ministre de l’Economie Pierre-Yves Jeholet.

La politique économique va dans le bon sens mais les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. A quoi est-ce dû, selon vous ?

On doit nettement plus focaliser le Plan Marshall sur des missions essentielles dans les domaines socio-économiques, climatiques, emploi et cohésion sociale, tout en réduisant certains coûts politiques et publics. Il faut éviter une forme de dispersion des subsides pour aller à l’essentiel.

Il y a une urgence à accélérer, ce sera mon leitmotiv. Le Plan Marshall a eu un certain nombre d’effets positifs, c’est évident. En 15 ans, l’emploi a augmenté de 160.000 personnes, le nombre d’entreprises a augmenté mais le PIB/hab de la Wallonie plafonne toujours à 80 % de la moyenne européenne quand celui de la Flandre est à 113 %, le taux de chômage tourne toujours autour des 10 %. Certes, sans le Plan Marshall, ce serait sans doute pire et, par nature, je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide mais il y a bien urgence à accélérer.

Profil

– Âgé de 55 ans, ce Namurois vit à Liège depuis 25 ans.

– Diplômé en informatique(Namur) et en management (ICHEC).

– Cofondateur de Defimediaen 1999.

– Lance le fonds Internet Attitude, qui investit dans des start-up du secteur Internet en 2010.

– Entrepreneur en résidence à l’incubateur VentureLab.

– Auteur d’un ouvrage sur l’e-management et d’un… roman policier (Codes Condorcet).

Focaliser le Plan Marshall sur ses missions essentielles, dites-vous. Pouvez-vous être plus précis ?

Sur le plan économique, il nous faut une vraie politique industrielle, dont les pôles de compétitivité sont le pivot et dans laquelle il faut inclure le monde de la construction. Et par ailleurs, nous prônons une politique de PME très orientée sur la croissance des entreprises. Nous venons de sortir une étude sur le sujet relative à la période 2012-2015 : les entreprises wallonnes en forte croissance (+20 % en moyenne annuelle pendant trois ans) ont généré 59 % de la croissance de la valeur ajoutée et 87 % de l’emploi créé sur cette période en Wallonie. Voilà pourquoi nous devons nous préoccuper de cette croissance. Je rappelle en outre que les PME wallonnes ont une taille moyenne de 9 personnes contre 11 en Flandre. Il faut les aider à grandir.

Beaucoup d’initiatives, et je les applaudis, ont été prises pour encourager la création d’entreprises. Mais que se passe-t-il après ? On sort d’un incubateur avec une idée, un projet, une ou deux personnes. Ils sont lâchés dans la nature, personne ne les accompagne, personne ne s’occupe d’accélérer leur croissance. Je l’ai vécu avec mon fonds d’investissement Internet Attitude : faute d’accélérateur ici en Wallonie, nos pépites partent se faire accélérer à Amsterdam, à Londres ou dans la Silicon Valley. Il y a bien ce projet Scale Up qui devrait être mené par l’AEI (Agence pour l’entreprise et l’innovation) mais nous sommes en 2017 et on commence seulement à y penser…

Tout le monde parle de rationalisation des structures d’animation économique et vous souhaitez en créer de nouvelles pour accompagner la croissance des entreprises…

Non, que du contraire. On peut coupler cela à la rationalisation de la fameuse lasagne de l’animation économique que l’Union wallonne dénonce depuis des années. Une structure avec des antennes décentralisées peut assurer cet accompagnement. Cela n’implique pas de créer x sociétés, avec x directeurs et x sous-directeurs et surtout y conseils d’administration. Nous voulons transformer les pépites, mais j’ai parfois l’impression que cette ruée vers l’or enrichit surtout les marchands de pelles.

En termes d’allocation des moyens, il y a des choses à faire. Quand je vois l’effet que peut avoir un incubateur comme le Venture Lab, à quelle vitesse on accélère la validation du projet et la création de l’entreprise, je suis convaincu que si elle est ensuite accompagnée par de vrais entrepreneurs, cela aurait un tout autre impact que l’octroi d’un subside pour l’élaboration d’un plan marketing ou la création d’un site web.

Transformer les pépites ? J’ai parfois l’impression que cette ruée vers l’or enrichit surtout les marchands de pelle

Ces vrais entrepreneurs sont-ils prêts à consacrer une partie de leur temps au coaching de jeunes entreprises ?

J’en suis convaincu. Je prendrais deux exemples. L’Union wallonne avait lancé autrefois le projet Défi-croissance, entièrement financé par le privé. Cela avait permis à plusieurs PME d’être accompagnées par un entrepreneur et d’être ainsi menées vers le haut. Les résultats furent excellents. Le programme est actuellement suspendu, car nous devons retrouver des mécènes.

L’autre exemple, c’est le Venture Lab, où les start-up sont coachées par des entrepreneurs dits ” en résidence “. Ceux-ci prestent au maximum deux jours par semaine, pour qu’ils restent dans leur propre entreprise. Etre coaché par des gens de terrain, cela fait une énorme différence. J’ai été un de ces coaches et je peux vous assurer que nous recevions régulièrement des entrepreneurs qui proposaient leurs services. L’Union wallonne est prête à mobiliser les entreprises pour avancer en ce sens. Seule ou en partenariat avec la Région.

Un tel partenariat vous semble-t-il plus simple à conclure avec le nouveau gouvernement ?

Nous discutions déjà avec Jean-Claude Marcourt de formules dans lesquelles le privé pourrait s’impliquer et financer en partie les actions. Je pense effectivement que ce sera plus simple d’aboutir maintenant. Si le gouvernement confirme sa volonté de rationaliser l’animation économique, on arrivera logiquement à de tels partenariats publics-privés.

L’UWE n’a-t-elle pas parfois un peu trop un pied dedans et un pied dehors, tantôt partenaire du politique, tantôt porte-parole des entreprises ? La semaine dernière, dans nos colonnes, Pierre-Yves Jeholet ironisait sur les subsides aux fédérations patronales…

Je ne pense pas que les fédérations reçoivent tant de subsides que cela. L’UWE, comme d’autres, peut être rémunérée pour des missions spécifiques, parce qu’elle apporte des compétences de terrain que les organismes publics n’ont pas forcément. Et souvent, dans ces missions spécifiques, on ajoute un euro privé à chaque euro public. On double les budgets, ce n’est pas négligeable ! Si nous contribuons à l’animation des pôles de compétitivité, je ne trouve pas choquant que cela soit rémunéré. Et je peux vous assurer que tout ce que le staff de l’UWE fait pour les pôles n’est pas subsidié. Maintenant, je n’ai aucun problème à ce que le gouvernement vérifie si les subsides sont alloués à bon escient. Je rejoins totalement le ministre sur le souhait de transparence et d’analyse de l’efficience des subsides.

Vous avez une carrière professionnelle dans le numérique. Comment booster ce secteur, qui est incontestablement porteur d’avenir, en Wallonie ?

Il est évident que la transformation numérique des entreprises wallonnes ne va pas assez vite. On ne se rend pas encore compte des enjeux énormes, et des risques tout aussi énormes de ne pas y aller. C’est parfois un peu comme l’agriculteur d’autrefois qui n’avait pas vu que le tracteur arrivait et qui utilisait toujours des chevaux pour tracter sa charrue. Aujourd’hui, ce tracteur, c’est un ordinateur sur roues !

La dernière mission de consultance que j’ai faite, c’était pour une PME liégeoise active dans une niche industrielle. Elle commençait à vendre en ligne mais était très peu et mal référencée dans les moteurs de recherche. En quelques mois, nous l’avons aidée à presque doubler son chiffre d’affaires, avec une meilleure marge puisqu’elle peut vendre directement sans passer par des distributeurs.

“Il faut revoir l’enseignement et la formation par rapport aux métiers de demain et aux métiers en pénurie.”

Et comment convaincre d’autres de franchir le pas ?

Ce sera l’un de mes combats. J’apporte mon témoignage lors de la tournée digitale d’Alexander De Croo (ministre fédéral en charge de l’Agenda numérique, Ndlr) dans les grandes villes wallonnes. Le conseil du numérique, dont je suis membre, a remis un plan. Pour moi, il y a deux grandes priorités dans l’allocation des moyens wallons vers le numérique : les entreprises et les écoles. Pour les premières, c’est le très haut débit dans tous les parcs d’activité économique, ce sont les aides à la transformation, à l’industrie 4.0. C’est aussi un merveilleux outil à l’exportation, qui reste l’une des faiblesses des PME wallonnes. Internet permet de vendre en ligne, de se faire connaître mais également de voir ce que les concurrents proposent et à quel prix. Beaucoup se préoccupent de leur site web et oublient d’aller regarder celui des autres. Il y a un aspect d’intelligence économique trop souvent négligé.

L’autre priorité numérique, c’est l’enseignement. Un vieux dossier, les ” cyber-classes “…

Je plaide pour un numérique au service de l’enseignement : des tableaux électroniques, l’intégration d’Internet dans les cours. Cela modifie fondamentalement le rôle du professeur. Il devient progressivement un coach qui accompagne l’élève dans la transmission du savoir. L’élève peut aller voir une partie de la théorie sur Internet avant les explications en classe ou faire des exercices en ligne, après avoir reçu la théorie en classe. Il faudra dès lors former les enseignants à de nouvelles méthodes pédagogiques, intégrant ces possibilités numériques.

Il y a par ailleurs l’enseignement du numérique lui-même. Tout le monde ne doit pas être capable d’écrire des programmes informatiques mais il peut être intéressant d’apprendre à coder, d’avoir les bases comme dans toutes les matières finalement. Ensuite, nous avons besoin d’avoir des notions de sécurité informatique. Et, enfin, il faut connaître les architectures informatiques, notamment dans les entreprises. Je suis surpris de voir encore des jeunes sortir d’études de gestion sans la moindre notion des ERP, ces outils qui automatisent tous les flux d’une entreprise. Les études n’intègrent pas suffisamment l’impact d’Internet sur les différents métiers.

L’enseignement, ce n’est pas seulement une de vos priorités pour le numérique, c’est, avec l’emploi, votre priorité absolue pour la Wallonie. Etes-vous favorable à une régionalisation de l’enseignement, afin que l’école et l’économie puissent être gérées de manière cohérente, par un même gouvernement ?

C’est un débat politique, dont nous ne nous mêlons pas. La situation de notre enseignement réclame des actions urgentes. Nous faisons confiance au consultant (McKinsey & Company, Ndlr), aux pédagogues et à tous les acteurs qui ont permis d’aboutir à un Pacte d’excellence. Notre seul regret, c’est qu’il faille aussi longtemps pour le mettre en oeuvre. Alors, si on ajoute encore à cela une régionalisation de l’enseignement… Notre conviction forte en matière d’enseignement, et l’Union wallonne y travaille, c’est qu’il faut revoir les contenus par rapport à l’évolution des métiers.

Y compris dans l’enseignement général ?

Bien entendu. Je l’ai dit pour l’apprentissage du numérique mais cela vaut aussi pour la formation en langues. Regardez nos exportations : 24 % vers la France, 15 % vers les Pays-Bas et 8 % vers l’Allemagne. Pourquoi ? La langue joue un rôle. Pour un Wallon, il est plus facile d’exporter vers la France. Il faut vraiment revoir l’enseignement par rapport aux métiers de demain et aux métiers en pénurie. Nous y contribuons avec la Fondation pour l’enseignement, en particulier avec les référentiels métiers. Il s’agit de déterminer les métiers en pénurie, les prérequis indispensables pour s’y former et en remontant la chaîne, quelles matières faudrait-il enseigner dans les filières techniques et professionnelles pour que les jeunes puissent ensuite se former à ces métiers en pénurie. Aujourd’hui, beaucoup n’ont pas les prérequis pour suivre les formations du Forem ou des autres opérateurs.

Certains métiers sont en pénurie depuis une dizaine d’années. N’y a-t-il pas là un défaut de prévoyance ?

Absolument. Six référentiels métiers ont été mis en oeuvre, 20 le seront en 2018 et 2019. Ici aussi, une accélération s’impose. Nous devons aussi montrer plus de prospective pour anticiper les métiers de demain. Tout va tellement vite. Qui aurait cru il y a trois ans qu’en appelant certains call centers, vous téléphoneriez à un chatbot ? Parallèlement, nous devons mener des campagnes de sensibilisation pour combattre cette idée selon laquelle les formations professionnelles seraient des voies de garage, des voies de relégation pour des jeunes en échec.

Soyons un peu provocants : tout le monde dit cela, mais ni vos enfants ni les miens ne suivent de telles formations…

Certes, mais j’ai des amis dont les enfants ont suivi des filières qualifiantes. Ils sont très heureux dans leur boulot et, soit dit en passant, ils gagnent très bien leur vie. En montrant que ce sont des parcours valorisants et des métiers pas forcément pénibles, je crois que l’on parviendra à changer les mentalités. Cela nécessite aussi un effort du côté des enseignants et de l’administration de l’enseignement. Pour une partie d’entre eux, l’idée de former pour l’emploi est antinomique. On forme pour former, pas dans un objectif d’emploi.

Avant les dernières élections, l’Union wallonne et Agoria avaient financé la réalisation d’une dizaine de capsules vidéo afin de sensibiliser aux métiers en pénurie. Elles ont été diffusées partout… sauf dans les écoles. Nous aurions pourtant bien aimé que les élèves qui s’interrogent sur leur orientation puissent les voir.

L’effervescence autour des start-up a changé positivement l’image de l’entreprise. Comptez-vous prendre des initiatives pour renforcer encore ce climat favorable à l’entrepreneuriat ?

J’ai plein d’idées qui doivent être validées par mes instances (sourires). Mais ils connaissent mon profil : je viens des PME et du numérique. C’est là que seront mes focus. Evidemment sans oublier les grandes entreprises. Nous voulons réindustrialiser, ne pas aller vers un monde de services, cela implique des grandes entreprises (+ 200 personnes). Elles sont 322 en Wallonie, soit 0,4 % du total des entreprises wallonnes et pourtant elles assurent 25 % des emplois ! Elles ont par ailleurs un effet structurant sur le tissu de PME, qui sont leurs fournisseurs et leurs sous-traitants.

J’ajoute à cela un troisième focus : la manière dont on doit faire évoluer le monde de l’entreprise pour qu’il reste attractif pour les générations Y et Z. J’ai eu l’énorme chance de travailler avec ces jeunes, via mon fonds d’investissement et le Venture Lab. J’ai pu apprendre qu’ils n’ont pas les mêmes aspirations en termes d’épanouissement professionnel que ma génération. Ils aspirent à un mode de travail beaucoup plus collaboratif, avec moins de hiérarchie. L’UWE organisera des séances de formation et de sensibilisation à ces nouvelles méthodes de management collaboratif. Nous le faisons avec la participation d’entreprises qui ont déjà franchi le cap. Je connais une PME d’une centaine de personnes où il n’y a plus de comité de direction. C’est impressionnant comme évolution.

Les chefs d’entreprise vous semblent-ils ouverts à ces types de management ?

Non, pas assez. Nous sommes tous convaincus de plein de choses mais nous avons la tête dans le guidon et nous reportons certaines décisions. J’ai connu cela en donnant mes formations au numérique : beaucoup étaient convaincus mais de là à prendre le temps d’appliquer les conseils… Il faut avancer vers ces managements collaboratifs sinon les jeunes ne sentiront pas bien dans nos entreprises.

Une de mes axes fondamentaux sera aussi de mettre beaucoup plus l’accent sur le facteur humain. Une entreprise, c’est bien entendu des hommes et des femmes qui la créent et qui la dirigent. Mais c’est aussi tous les collaborateurs. Ils contribuent tous à la création de valeur ajoutée, au succès de ces superbes entreprises que nous connaissons en Wallonie. Je rêve que demain toutes les entreprises, de la start-up à la grande entreprise, se retrouvent dans une Union wallonne qui donne le leadership dans l’entrepreneuriat, qui donne du sens au parcours et au métier de l’entrepreneur.

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