Nous avons testé l’Audi A8, la première voiture à conduite automatisée

Haut les mains ! Notre journaliste teste l'A8. © PG

Audi va sortir la première voiture à conduite automatisée, l’A8, dans laquelle le conducteur peut lâcher le volant et regarder un film tout en roulant sur le ring de Bruxelles, dans les embouteillages du matin. Le dispositif doit encore être approuvé légalement. “Trends-Tendances” l’a expérimenté.

Les amateurs d’embouteillages sont rares. Stefan Rietdorf, ingénieur chez Audi, en fait partie. Il participe au développement d’un système de conduite automatisée, Audi AI Trafic Jam, et cherche les bouchons d’Allemagne et d’ailleurs afin de tester la conduite automatisée sur autoroute de la nouvelle Audi A8.

Sur l’échelle de l’automatisation des voitures, ce sera le modèle le plus avancé, au niveau 3 dans la nomenclature du secteur (voir le tableau ” Niveaux d’automatisation des voitures ” plus bas). Le premier où le conducteur peut lâcher le volant. Pour le niveau 1 et 2 (l’Autopilot de Tesla relève du niveau 2), le conducteur reste en charge de la conduite et doit garder les mains sur le volant. L’Audi A8, elle, pourra rouler automatiquement dans des embouteillages sur autoroute ou sur des voies rapides à bandes multiples, jusqu’à 60 km/h. Au-delà, le conducteur est invité à reprendre le contrôle. ” Le dispositif fonctionne même s’il y a des travaux, la voiture suit la file et respecte, par la lecture des panneaux, la vitesse limite “, précise Stefan Rietdorf.

Un sympathique embouteillage

Lors d’un test organisé pour la presse internationale début septembre, Stefan Rietveldt faisait partie du groupe d’ingénieurs dépêchés à Düsseldorf par Audi pour organiser la démonstration. Pourquoi Düsseldorf ? ” Pour avoir la garantie d’avoir des embouteillages. C’est une zone densément peuplée avec beaucoup d’autoroutes “, répond l’ingénieur. Effectivement, lors du parcours matinal, au nord de Düsseldorf, la voiture a traversé un sympathique embouteillage, pas trop court, pas trop long, juste ce qu’il faut pour assister à une séquence de conduite automatisée, activée par une touche sur la console (AI, comme Audi Intelligence).

Pendant la dizaine de minutes qu’a duré ce bouchon, l’ingénieur conducteur parlait aux passagers sans trop regarder la route. L’Audi A8 accélère, freine toute seule, rectifie sa trajectoire… On s’habitue vite. C’est à peine si le premier véhicule tiers qui vient s’insérer devant notre voiture crée un petit suspense. L’A8 laisse le passage, en freinant un peu sèchement. ” C’était safe, mais le mouvement aurait pu être plus doux. Je vais vérifier les données au bureau et sans doute faire une simulation pour régler ça “, commente Stefan Rietveldt. La petite pluie qui tombe n’affecte pas les capteurs – laser, radar de devant, ultrasons tout autour, caméra sous le pare-brise – redondants et disposant tous d’un dispositif d’autonettoyage.

Nous avons testé l'Audi A8, la première voiture à conduite automatisée

Répliquer à la Silicon Valley, Google et Tesla

Cela fait plus de cinq ans que la voiture autonome est au menu du monde automobile. Elle est la suite logique des dispositifs électroniques des assistances à la conduite, comme le cruise control adaptatif ou le lane assist (dispositif pour éviter de sortir d’une bande de circulation). Google a mis le secteur sous pression en expérimentant depuis 2015 une voiture automatique sans volant, la Google Car, via une filiale appelée aujourd’hui Wymo. Les médias ont largement répercuté ces tests réalisés sur certaines voies publiques. Wymo fait aujourd’hui moins parler de lui et c’est maintenant Tesla, un autre acteur de la Silicon Valley, qui promet à brève échéance une voiture totalement autonome.

Face aux avancées de la Silicon Valley, les constructeurs cherchent à reprendre la main. BMW, Ford, Daimler, Renault-Nissan et Volvo ont de grandes ambitions. Mais c’est Audi qui sort le premier du bois avec la dernière version de son grand modèle, l’A8, disponible à la fin de l’année. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une voiture moyenne : le prix de l’A8 se situe plutôt dans les 100.000 euros, et le dispositif Trafic Jam sera en option. C’est une approche classique pour les grandes innovations : les proposer d’abord dans le haut de gamme avant que la loi des économies d’échelle ne démocratise la nouveauté.

Ce n’est en effet qu’un début : Audi espère étendre les situations de conduite automatisées. D’abord en augmentant les vitesses possibles, jusqu’à 130 km/h, sur des routes sans séparation des bandes de circulation. Ensuite, en conquérant la ville, le cas le plus compliqué : ” Sans doute pas avant 10 ans “, estime Stefan Rietdorf.

Deux obstacles réglementaires

Avant cela, il y a la barrière légale à franchir. Le passage au niveau 3 entraîne des modifications réglementaires et légales pas encore réalisées en Europe. L’Audi A8 ne sera pas commercialisée avec le système Trafic Jam avant que la réglementation ne soit adaptée.

La petite pluie qui tombe n’affecte pas les capteurs redondants et disposant tous d’un dispositif d’autonettoyage.

” Il y a deux aspects : le code de la route de chaque pays, et la certification technique du véhicule, indique Bogdan Bereczki, l’ingénieur en charge des réglementations et certifications des systèmes chez Audi AG. Le code de la route concerne les conducteurs, ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. Là, il faut des changements dans chaque pays. L’adaptation est faite en Allemagne pour le niveau 3 et 4 d’automatisation. La certification technique relève d’une réglementation internationale, l’UN-R79, portant sur le dispositif de direction des véhicules. Ces changements sont en discussion. ” Ce règlement ne permet actuellement pas de rouler sans tenir le volant pour des vitesses supérieures à 10 km/h. Il est adapté au stationnement automatique mais pas à la circulation courante. Le plafond devrait être porté à 130 km/h. Une fois la réglementation UN-R79 amendée, et le véhicule certifié en Allemagne, il pourra rouler partout dans l’Union européenne.

Audi se montre plus prudent que Tesla qui vend déjà une option Autopilot (à 5.300 euros), présentée comme une aide à la conduite (niveau 2). Le conducteur doit garder les mains sur le volant, mais beaucoup ne le font pas et diffusent même des vidéos sur YouTube. C’est tentant car l’Autopilot a tout d’un système de conduite autonome : dépassement, suivi automatique de la voiture qui précède, sur autoroute. Mais juridiquement, c’est toujours le conducteur qui conduit. En cas d’accident, il peut être tenu pour responsable même si l’Autopilot n’a pas détecté d’obstacle. La question s’est posée en Floride où un automobiliste a été tué dans une collision avec un camion que l’Autopilot n’avait pas repéré. La victime avait lâché le volant pendant 37 minutes et n’avait pas réagi au signal qui s’affiche dans cette circonstance. Tesla a été disculpé : l’Autopilot n’est pas conçu ni agréé pour éviter les accidents.

Le constructeur, responsable de la conduite ?

L'autopilote en ville ?
L’autopilote en ville ? “Sans doute pas avant 10 ans”, selon l’ingénieur Stefan Rietdorf.© PG

Les choses changent pour les voitures qui seront certifiées pour une automatisation de niveau 3 (automatisation conditionnelle), comme pour l’Audi A8. Le constructeur assumera une plus grande responsabilité. ” Si le conducteur a bien suivi les instructions et que la voiture roule automatiquement, le constructeur devient responsable des fautes qui pourraient survenir “, prévient Bogdan Bereczki. En cas d’accident et aussi en cas d’infraction routière. Le conducteur ne pourra donc être tenu responsable d’un excès de vitesse réalisé par le système de conduite automatique.

Lorsque le conducteur engage le pilote automatique et lâche le volant, il passe la main au système de la voiture. Il peut faire autre chose, comme regarder un film sur l’infotainement du véhicule, lire un document, etc. Il devra toutefois rester apte à reprendre le contrôle dans les 10 secondes si la voiture le lui demande. Pas question donc de dormir ou d’incliner à fond le siège. Des dispositifs vérifieront en permanence cette disponibilité, notamment via une caméra qui vérifie si les yeux ne se ferment pas trop longtemps (mais elle n’enregistrera pas les images). En cas de doute, le système demandera de reprendre le contrôle manuel.

Tout cela impose la mise en place d’une sorte de boîte noire qui enregistrera le comportement du véhicule lorsqu’il roule de manière autonome. ” Elle conservera en permanence les 30 dernières secondes de conduite et le reste sera effacé, explique Bogdan Bereczki. En cas d’accident, les données, cryptées, seront décodées chez Audi et remises au conducteur ou aux autorités. ” Ce type de dispositif sera sans doute imposé par la future réglementation UN-R79. Un autre fichier, plus simple et non crypté, indiquera juste les moments où le trafic jam pilot a été mis en service et arrêté, pour vérifier, par exemple, si un excès de vitesse a été commis en conduite autonome.

Encore un ou deux ans d’attente

” Les constructeurs vont essayer de se protéger au maximum “, estime Jean- François Gaillet, directeur du centre d’essai de l’IBSR. Pour eux, le risque est considérable. Ils n’auront pas affaire directement aux conducteurs mais aux assureurs, qui ne manquent pas de moyens. Ces questions devraient être partiellement prévues dans l’amendement de la réglementation UN-R79 réaménagée, notamment l’enregistrement des données.

Voilà qui explique la position compliquée d’Audi, qui cherche à capitaliser sur son innovation, sa primeur, sans pouvoir vraiment en faire profiter ses clients tout de suite. Quand le cadre réglementaire sera-t-il modifié ? Peut-être dans un an. Ou dans deux. Il se pourrait que les règles techniques soient amendées, mais pas toutes les règles de conduite dans tous les pays de l’Union européenne. Le Trafic Jam ne pourra alors être activé que dans certains pays. Cette longue attente explique que beaucoup de constructeurs choisissent d’attendre avant de sortir un modèle automatisé. Ils pourront ainsi mieux étaler leurs investissements.

Questions éthiques

L’Allemagne est le premier pays à avoir réfléchi sur la dimension éthique de la voiture autonome. En cas d’accident inévitable, le système du véhicule devra peut-être faire en une fraction de seconde un choix cornélien. Par exemple, si un piéton déboule brusquement devant la voiture : le système automatique devra-t-il choisir d’écraser le piéton ou de l’éviter en sacrifiant peut-être la vie du conducteur ? Va-t-il faire ce choix en tenant compte de l’âge des personnes concernées, pour préserver le plus jeune ? Le comité d’éthique allemand, présidé par Udo Di Fabio, un ancien juge de la cour constitutionnelle fédérale, a sorti 20 propositions à la fin août. Entre autres, il demande que les accidents soient gérés en minimisant les dégâts corporels, quitte à augmenter les dégâts matériels. En cas d’accident inévitable, elle estime inacceptable un dispositif distinguant les victimes en fonction d’un critère d’âge, de genre, de physique ou de constitution mentale. Le conducteur gardera la main sur les données du véhicule. Ces recommandations concernent surtout les stades ultimes de l’automatisation automobile (4 et 5).

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