Nokia et BlackBerry, mêmes erreurs, même destin?

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Les parcours récents de Nokia et de RIM, le fabricant du BlackBerry, présentent d’étonnantes similitudes. Au point que leur survie semble aujourd’hui suspendue à la sortie d’un smartphone de la dernière chance d’ici la fin de l’année…

En moins de deux semaines, deux ex-stars de la téléphonie mobile ont envoyé des signaux de détresse inquiétants quant à leur survie même à moyen terme. Mercredi, Nokia a en effet lancé un avertissement sur ses résultats du 1er trimestre, reconnaissant à la fois des ventes décevantes et une perte opérationnelle dans sa division de téléphones mobiles. Et ce malgré la commercialisation des smartphones Lumia, premier fruits de l’alliance avec Microsoft. Ce démarrage raté de la stratégie censée relancer l’équipementier finlandais a été immédiatement sanctionné en Bourse. Le titre a perdu 15% en une seule séance.

Dix jours auparavant, c’est RIM, le fabricant canadien du BlackBerry a publié des résultats inférieurs aux prévisions pour le cinquième trimestre consécutif, essuyant même une perte nette. Une dégradation de la situation financière qui a conduit le nouveau patron, Thorsten Heins, à envisager pour la première fois de vendre purement et simplement ses activités mobiles. Le groupe a également tourné définitivement la page des fondateurs qui ont abandonné toute fonction dirigeante. Des annonces radicales qui ont eu le mérite de plaire aux investisseurs. Mais qui n’empêche pas que le groupe jouera bel et bien son avenir en 2012.

La survie de RIM dépend en effet de la réussite commerciale de son prochain smartphone. Ce superphone, connu sous le nom de code London, est attendu avant la fin de l’année, voire même dès cet automne. Il sera le premier de la marque équipé de la nouvelle génération du système d’exploitation, le Blackberry 10, déjà présent dans sa tablette Playbook. “C’est la dernière chance pour RIM avant de totalement disparaître. Ce smartphone sous Blackberry 10 a presque un an de retard. Et dans cette industrie, c’est souvent fatal, à l’image des déboires de Palm, Motorola, Microsoft ou Nokia”, explique l’analyste Rob Enderle.

Et de fait les erreurs stratégiques accumulées par RIM ressemblent trait pour trait à celles de Nokia. A croire que la rançon du succès dans la high-tech est de ne pas savoir quand il faut abandonner une technologie jusque là gagnante pour un autre émergente.

RIM et Nokia: même combat

Si Nokia a purement et simplement loupé le virage du smartphone, tous deux ont raté la révolution du tactile. RIM a bien lancé plusieurs modèles (avec ou sans clavier), mais ils n’ont pas eu le succès commercial espéré (Torch, Storm, Storm 2, Bold 9900). “RIM l’a fait à contre-coeur et trop tard. C’était des smartphones professionnels avec quelques fonctions grand public. Il ne croyait pas que les entreprises allaient vraiment laisser leurs employés utiliser leur Blackberry pour s’amuser. Et encore moins, succomber au phénomène du BYOD et accepter leur mobile personnel au travail”, analyse Roger Kay, du cabinet Endpoint Associates.
Confronté au même retard, RIM et Nokia se ressemblent aussi dans le choix de se relancer en adoptant un système d’exploitation de nouvelle génération concurrent d’Android ou d’iOS. Quitte dans le cas du canadien à sous-estimer la difficulté d’une telle migration. Il y a deux ans, le canadien a finalement racheté son compatriote QNX, dont le logiciel Linux est aujourd’hui au coeur du Blackberry 10. Soit 3 ans après la sortie de l’iPhone !

De son côté, Nokia a cru trouver la solution dans une l’alliance avec Microsoft. Et de fait, elle lui a permis de sortir le Lumia 800, sous Windows 7, dès octobre dernier. Le Lumia 900 a même reçu un accueil très positif de la critique qui a pu faire croire que le finlandais avait peut-être trouvé son hit. Las, la réputation de ce smartphone haut de gamme a pâti d’un bug dès ses premiers jours de commercialisation aux Etats-Unis.

Résultat, il apparaît déjà indispensable pour Nokia de ne pas manquer sa prochaine grande échéance, à savoir l’arrivée de l’OS mobile Windows 8 en octobre prochain. L’enjeu est énorme aussi pour Microsoft pour qui ce système d’exploitation “permet un changement de génération tant sur le design que sur les fonctionnalités” grâce à une “expérience d’exploitation unifiée”. Les grandes nouveautés sont sa compatibilité avec toutes les plateformes -PC, portables, tablettes-, tous les types d’interfaces -clavier/souris ou 100% tactile-, et les différentes architectures de processeurs -x86 ou ARM-. En attendant, il faut éviter de nouveaux couacs. Mais il sera plus dur d’éviter les pertes …

En attendant le superphone…

Pour rester dans le peloton de tête, RIM a en effet choisi de brader ses Blackberry actuels (génération 7), notamment dans les pays émergents, en attendant la sortie de London. “C’est un pari dangereux que Nokia a aussi fait, ce qui explique en partie ses lourdes pertes aujourd’hui et ce, malgré sa place de numéro un des téléphones mobiles. C’est un puits sans fond, car les smartphones Android sont imbattables en matière de prix, même si RIM décide de proposer Blackberry 7 sous licence à un constructeur chinois comme ZTE ou Huawei”, précise l’analyste Jack Gold.

Reste à savoir si Nokia et RIM ne sont pas partis trop tard. Car Apple et Google n’ont pas attendu pour prendre des positions fortes et inciter les développeurs d’applications à alimenter leurs app stores respectifs. Or l’offre d’applications est devenue aujourd’hui un critère de choix des smartphones. Nokia ne peut ainsi en revendiquer que 80.000 contre plus de 400.000 tant pour Android qu’iOS…

En attendant la sortie de son superphone, le nouveau PDG de RIM joue la montre et a annoncé un recentrage sur le marché de l’entreprise et le logiciel. Un leurre puisque cette dernière catégorie ne représente que 5% de l’activité au trimestre dernier, contre 68% pour les Blackberry. Une stratégie que beaucoup, à raison, ont compris comme un renoncement au marché grand public. “Si c’est vraiment le cas, c’est suicidaire. Car aujourd’hui, l’employé impose son diktat sur le choix de son smartphone, quel que soit son niveau de sécurité. RIM doit donc absolument séduire le consommateur avec son futur smartphone ou c’est la fin”, affirme Rob Enderle.

Une vente difficile de RIM

Thorsten Heins a aussi évoqué de vendre sous licence la technologie de RIM à d’autres fabricants. Et dans le pire des cas, vendre l’entreprise. Mais à qui? Des discussions ont même été ouvertes entre RIM, Nokia et Microsoft, mais le dossier est complexe.

“Après iOS, Android et Windows Mobile, le marché n’a pas besoin d’un quatrième système d’exploitation. Un fabricant chinois serait peut-être attiré par ses parts de marché. Mais ça sera compliqué en raison des relations étroites de RIM avec le gouvernement américain. N’oubliez pas qu’Obama utilise toujours son Blackberry! Ou bien pour les brevets”, conclut Roger Kay. Une dernière option qui semble aussi peu probable. L’exemple de Nortel a en effet prouvé que l’on peut acheter des brevets sans avoir à racheter toute l’entreprise.

Jean-Baptiste Su, dans la Silicon Valley, L’Expansion

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