Newpharma: “Si on ne peut pas faire de pub, on quittera la Belgique”

Mike Vandenhooft © Newpharma

Le co-fondateur de Newpharma, Mike Vandenhooft, est un patron heureux, mais son bonheur pourrait être plus complet. Trop de grains de sable à son goût viennent gripper la belle mécanique de son entreprise, qui affiche tout de même une croissance annuelle de 50%.

Crée en 2008, Newpharma est la première pharmacie en ligne belge et affiche une solide croissance: +29% en 2014, +61% en 2015, +49% en 2016 pour atteindre un chiffre d’affaires de 43 millions d’euros. L’objectif pour 2017 ? +50% bien sûr ! Pourtant, ces chiffres, qui ont de quoi faire envie, ne parviennent pas à masquer un certain ras-le-bol dans le chef de Mike Vandenhooft: freins législatifs, omerta des laboratoires, luttes corporatistes, etc. N’en jetez plus, la coupe est pleine.

Quels sont les principaux freins au développement de l’e-commerce en Belgique ? Et de la pharmacie en particulier ?

Le travail de nuit, les jours fériés et surtout le dimanche constitue actuellement un gros problème pour nous. Ne pas pouvoir travailler le dimanche signifie que les commandes passées du samedi après-midi jusqu’au dimanche soir doivent être traitées le lundi, ce qui provoque un gros rush pour nos équipes qui sont alors surchargées. Mais les choses évoluent, heureusement. Il y a eu un bilan de la situation fin 2016 et une nouvelle législation englobant tous les secteurs devrait voir le jour. Il faut juste que la loi passe. On espère que ça pourra se faire au premier trimestre de cette année.

Un frein de moins donc…

Exactement. Mais ce n’est pas encore passé… à voir donc, même si en théorie ça devrait aller. Cela devrait en tous cas solutionner pas mal de choses pour toute une série de e-commerçants belges.

Mais d’autres blocages subsistent.

Bien sûr ! La publicité, qu’elle soit off ou on line a toujours été un sujet sensible dans le monde de la pharma. En décembre dernier, la pharmacienne responsable de Newpharma s’est fait condamner en appel, entre autres parce que Newpharma a fait des campagnes Google Adworth, de l’achat de mots-clés donc, et parce qu’on a sponsorisé le Télévie.

Quelles sont les règles en la matière ?

Si on prend le code de déontologie du pharmacien, la publicité est autorisée, mais doit rester discrète… Alors, est-ce que les petits textes sur un moteur de recherche comme Google sont discrets ? Où est-ce qu’on met le curseur ? À partir de quand est-ce digne de la profession ? Ce sont des termes très subjectifs !

De quel recours disposez-vous ?

Nous allons aller en Cassation et si ça ne marche pas, nous porterons l’affaire à l’Europe puisque pour ces instances la pharmacie est désormais considérée comme un commerce, on a donc le droit de faire de la publicité.

Bizarreries belgo-belges

Certaines règles un peu particulières et propres à la Belgique causent des soucis à Newpharma.

Le numéro NUT

Quand un complément alimentaire est autorisé dans un pays de l’UE, il peut être vendu partout en Europe. Mais pas en Belgique bien sûr ! Pour qu’un complément alimentaire puisse être vendu chez nous, il doit avoir un numéro NUT. Enfin seulement s’il est vendu par une pharmacie belge, car une officine française, elle, peut le vendre en Belgique…

On connaît le problème, on sait qui peut le solutionner (l’Afsca), mais ces nouveaux secteurs qui font bouger les choses, ils n’aiment pas. Et nous on est bloqué. Mais si ça ne marche pas par la négociation, on ira en justice et ce sera parti pour quelques années…

Le stockage des médicaments étrangers

Depuis un arrêté de 2003, on peut vendre n’importe quel médicament sans prescription en Europe, à condition que ce médicament existe dans le pays de destination.

Pour vendre un médicament qui n’existe pas en Belgique, on peut, si on arrive à s’approvisionner aux Pays-Bas par exemple, en théorie le vendre aux Pays-Bas. Mais une petite règle belge nous interdit de stocker des médicaments étrangers. On est autorisé à vendre à des étrangers une marchandise qu’on ne peut pas stocker ! C’est une loi ancienne qui n’est plus en phase avec la loi européenne.

Nous sommes en discussion avec l’AFMPS (Agence Fédérale des Médicaments et des produits de santé) qui n’est pas très ouverte pour l’instant. Ce n’est pas encore le clash, mais s’il le faut, nous irons à l’Europe et à l’Europe, nous gagnerons. Mais entre-temps, ça n’avance pas…

Voyez-vous autre chose qui constitue un frein ou un blocage à votre activité ?

Un autre point qui impacte tous les commerçants en ligne, c’est la volonté des fournisseurs de contrôler les réseaux de distribution à différents niveaux.

Comment cela ?

En gros, ça vient d’un mal-être des fournisseurs vis-à-vis de l’on line. Avec un site web, on touche tout un pays et même plusieurs pays, alors qu’avant, un point de vente avait sa zone de chalandise et n’empiétait pas trop sur celles des autres. Du coup, ils nous mettent des bâtons dans les roues en imposant leur politique de prix, sous peine de suspendre la vente du produit – on peut repérer cette pratique avec les articles qui ne sont jamais en soldes par exemple – ou en empêchant la visibilité sur certaines places de marché (Amazon, Bol, etc.).

Quel est leur intérêt ?

La vente en ligne tire les prix vers le bas. C’est ce que l’Europe veut. C’est ce que les consommateurs veulent. Mais pas les fabricants. Le phénomène est là, il faut apprendre à vivre avec et trouver des solutions structurelles.

Mais les réactions sont différentes selon les secteurs. Dans le retail par exemple, Carrefour, Delhaize, etc. les marques ne prêtent pas trop attention à ce qui est soldé, car c’est un secteur qui a l’habitude des prix bas sur toute une série d’articles. Dans l’électronique, ça commence à faire grincer des dents. Et dans la pharma, c’est carrément la crise.

Qu’est-ce qui explique cette hyper-sensibilité du secteur pharmaceutique ?

Le nombre de pharmacies physiques est limité à un certain nombre dans un pays. Elles sont protégées par une zone de chalandise. On ne peut pas en ouvrir où on veut, quand on veut. Tout le monde va dans l’officine la plus proche et on ne compare pas trop les prix.

Mais l’arrivée des pharmacies en ligne ou d’enseignes comme Medi-Market, qui se veut un discounter et qui fait des promotions pendant un mois sur tel ou tel produit, cela fait réfléchir le client. Il constate la différence de prix et cela place le pharmacien face à un choix: garder ses prix, au risque de perdre son client, se spécialiser ou alors mieux négocier ses prix avec ses fournisseurs afin de pouvoir s’aligner.

Pour résumer, les nouveaux venus sur le marché de la pharma en ligne, pour se faire une place, créent une concurrence qui tire les prix vers le bas. On doit du coup s’aligner pour rester compétitif, ce qui tire les prix de tout le marché vers le bas. Tout bénéfice pour le consommateur.

Newpharma:
© Newpharma

Vous parlez de concurrence. D’où vient-elle justement ?

Sur le continent, c’est clairement depuis les Pays-Bas. Pourquoi ? Parce que ce sont les premiers à avoir été actifs pour la vente de médicaments en ligne. Ils ont directement attaqué l’Allemagne comme marché, ce qui fait que les plus grosses pharmacies en ligne d’Allemagne sont en fait installées aux Pays-Bas. Et maintenant ils s’attaquent aux autres marchés limitrophes.

La France, l’Italie ou encore l’Espagne sont par contre en retard. Et les autres pays sont un peu loin.

Que fait, ou que pourrait faire le gouvernement pour vous aider ?

On sent qu’on est supporté par certaines personnes au sein de ce gouvernement. Alexander De Croo fait quand même bouger pas mal les choses, comme Patricia Ceysens ( OpenVld), qui est la présidente de BeCommerce. Et puis Maggie De Block est également plutôt ouverte. On sent les libéraux flamands pro-digital.

Il y a donc une volonté gouvernementale d’aider l’e-commerce, d’enlever les freins, d’éviter une fuite des commerçants et des consommateurs vers l’étranger, mais ça prend du temps pour passer aux niveaux inférieurs. Or, le temps est notre ennemi par rapport aux acteurs étrangers qui sont là, eux. Il faut que ça bouge pour protéger notre marché !

L’étranger justement, vous y avez pensé ?

Bien sûr, et on y pense encore. Si on ne peut pas faire de publicité comme on le désire, on partira. Et si on ne sait pas vendre tous les médicaments en France ou aux Pays-Bas, on va être obligé de partir.

Ce n’est pas une menace, simplement on ne peut pas construire un business à moitié sur d’autres pays juste parce que la Belgique ne nous l’autorise pas. En plus, ce ne serait même pas compliqué. Nous sommes basés dans la zone du port autonome de Liège, à Wandre, à dix kilomètres des Pays-Bas. Ce serait donc assez facile à faire…

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