“Microsoft a fortement réduit l’absentéisme scolaire en Inde”

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La firme fondée par Bill Gates ne veut plus de son étiquette d’éditeur de logiciels et se positionne comme le principal fournisseur de solutions dans le ” cloud “. Le résultat d’une grande mutation stratégique qui repositionne Microsoft au coeur de l’informatique des entreprises et lui permet de jouer un rôle capital dans la transformation digitale mais aussi de lutter contre le cancer ou l’absentéisme scolaire.

Le géant de Redmond se porte toujours bien : son chiffre d’affaires au dernier trimestre atteignait 20,4 milliards de dollars pour un bénéfice net de 4,7 milliards de dollars. Ce n’est pas grâce à sa division produits grand public qui se tasse de 2 %, essentiellement à cause de son cuisant échec sur le créneau du smartphone : son activité téléphones enregistre en effet un recul de 72 % !

Pourtant, si les investisseurs restent confiants dans le futur de Microsoft, c’est parce que la firme dirigée par Satya Nadella continue sa grande mutation autour de ses produits cloud, que le géant de l’informatique a placésau centre de sa stratégie depuis quelques années. Et cela commence à payer. Sa division Intelligent Cloud dépasse désormais les 6,3 milliards de dollars au dernier trimestre (+8 %) et génère pas moins de 2 milliards de bénéfices ! Il s’agit pour Microsoft du créneau en plus forte croissance. Azur, sa plateforme de cloud destinée aux entreprises, a crû de 116 % au dernier trimestre ! Aussi, à la fin novembre, le cabinet d’analyse spécialisé Technology Business Research (TBR) a-t-il dévoilé une étude dans laquelle il place Microsoft comme le leader mondial du cloud si l’on intègre tous les domaines de ce créneau (cloud public, cloud privé, infrastructure, etc.). Soit devant Amazon et son Amazon Web Services, si souvent présenté comme le grand gagnant de l’essor de l’Internet dans le nuage. Si la note n’inclut ni Google ni IBM, elle a de quoi conforter la stratégie en pleine mutation de l’ancien éditeur de logiciels qui désormais affiche le slogan ” Cloud first, mobile first “. Lors d’une journée marathon à Bruxelles la semaine passée, le numéro 2 de Microsoft (derrière Satya Nadella), le Français Jean-Philippe Courtois, a réservé 30 minutes exclusives à Trends-Tendances pour faire le point sur la grande mutation de son entreprise.

JEAN-PHILIPPE COURTOIS. Nous avons investi depuis six ou sept ans de manière assez considérable autour de grandes ambitions technologiques qui vont permettre à l’économie et la société de changer de dimension. La première, ce sont les interfaces de computing (PC, tablettes, etc.) avec de la réalité augmentée. L’objectif est d’améliorer la productivité et de créer des services intelligents. Et pour réaliser tout cela et permettre à chaque personne et chaque organisation de faire plus, la technologie cloud est une plateforme incroyablement puissante en termes de pouvoir d’échelle. Nous avons investi énormément pour que cette plateforme soit présente dans plus de 30 régions différentes du monde.

Quels types d’investissements cela représente-t-il ?

Nous n’allons pas devenir une société de transport qui fait de la conduite autonome et proposer demain nos propres véhicules.”

C’est énorme. Là, on estime qu’on a déjà investi plus de 3 milliards de dollars en Europe. Et régulièrement on investit dans de nouveaux datacenters. Nous en avons lancé un récemment en Allemagne. C’est la capacité de traitement et l’effet d’échelle du cloud qui permettent de traiter ces demandes dites ” élastiques “, selon les demandes des clients. Le cloud permet une capacité d’innovation importante, de gigantesques capacités de traitement et donc des services intelligents qui vont apporter de la valeur ajoutée aux entreprises dans leur propre transformation. C’est la raison pour laquelle Microsoft a totalement embrassé le cloud au coeur de sa stratégie. Nous voulons être une entreprise ” Cloud first, mobile first ” pour permettre à nos clients de se transformer.

Comment déterminez-vous les lieux où vous implantez des ” datacenters ” ? Vous évoquez votre nouveau centre de données en Allemagne. Est-ce que la Belgique, qui accueille un ” datacenter ” de Google à Ghlin, est sur votre carte ?

Nous avons déjà pas mal de centres de données en Europe, donc c’est un territoire assez maillé. Nous en comptons en Irlande, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne et nous avons annoncé le lancement d’un nouveau centre en France. Nous évoluons rapidement et selon les besoins. Et nos clients belges sont déjà couverts : ils ont la capacité d’avoir un service d’où ils se trouvent et de pouvoir choisir de garder leurs données en Europe s’ils le souhaitent.

Pour Microsoft, ce positionnement ” cloud first ” est une grande mutation. On l’imagine nécessaire en raison de l’évolution du marché du PC. Est-ce un marché également rentable ?

C’est en effet une grande transformation. Nous sommes sur un parcours par lequel nous allons atteindre 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires de cloud public d’ici 2018. Nous sommes sur une croissance très forte sur tous les marchés du monde, toutes les industries, en combinant ces possibilités du cloud. Oui, c’est une grande transformation pour les activités de Microsoft.

Cela répond donc à ce marché du PC qui est plutôt en baisse ?

En fait, c’est un moteur de croissance considérable car il permet aux entreprises d’innover, de bénéficier d’un effet d’échelle, peu importe les devices. Que ce soit sur un PC, un Mac, un iPhone, un Windows Phone ou un Android, nous permettons l’exécution d’applications puissantes et créatives. C’est la puissance du cloud. Nous visons d’ailleurs un cloud ouvert et libre, puisque 40 % des traitements d’applications sur notre cloud le sont dans le monde opensource. Nous avons fait beaucoup de gestes en ce sens, aussi dans l’usage de nos services comme Office 365 qui fonctionne sur tous les OS différents dont l’iPhone, que dans le traitement de bases de données. C’est une vaste dynamique qui nous permet de trouver une croissance supplémentaire. Le PC et Windows 10 connaissent un beau succès avec pas loin de 400 millions d’utilisateurs dans le monde. Et surtout avec une valeur ajoutée forte au niveau de la sécurité. Cela reste donc très important pour Microsoft.

Qu’est-ce qui vous différencie des Amazon, Google, etc. ?

Nous avons un positionnement très différent, plus pur, dans le sens où nous sommes un fournisseur de plateforme de cloud. Notre métier, c’est de mettre cette plateforme au service de nos clients pour qu’ils en tirent le meilleur parti et qu’ils se transforment. Cela veut dire que, dans ce cadre, nous ne sommes pas tentés de pénétrer dans des tas de business différents. Nous n’allons pas devenir un assureur online dans le cloud ou une banque digitale. Nous n’allons pas devenir une société de transport qui fait de la conduite autonome et proposer demain nos propres véhicules. Pourquoi ? Parce que nous pensons aujourd’hui que nous pouvons surtout apporter notre savoir-faire pour que des industriels créent les meilleurs produits avec cette technologie. Je donnerais l’exemple de Renault-Nissan, avec qui on construit une plateforme totalement sur le cloud Azur pour générer tous les services d’une voiture connectée. Une voiture connectée permet de faire plein de choses : on peut se connecter à distance pour l’ouvrir, la chauffer, établir des diagnostics de sécurité, etc. Tous ces services existent ou sont en train d’être développés et nous voulons fournir les outils pour le faire à nos clients. Nous n’allons pas faire le métier à leur place.

C’est aussi ce que propose Amazon avec Amazon Web Services : mettre son ” cloud ” aux services des entreprises…

Oui, mais le coeur d’Amazon reste toujours le métier de la distribution…

Que voulez-vous dire ? Que vous êtes technologiquement meilleur puisque plus concentrés ?

Notre stratégie est avant tout celle de la mobilité. C’est l’acte de servir des clients dans leurs mouvements.

Je n’ai pas dit cela ! Mais nous avons un ADN très différent et purement technologique. Notre coeur de métier, c’est cela. Nous n’en avons pas d’autre et nous ne sommes pas déconcentrés de notre métier. Nous n’avons pas la tentation d’entrer dans le métier des médias, par exemple, ou de faire le commerce des données de nos clients.

Et pourtant, Microsoft développe aussi des tas de nouveaux produits et va même jusqu’à se lancer dans la recherche contre le cancer… Cela semble bien loin du métier de fournisseur de ” cloud ” également.

Oui, mais regardez la manière dont on contribue à la recherche et l’intelligence à la cancérologie. Il se trouve qu’en cancérologie comme pour beaucoup de domaines, on peut avoir un impact considérable dans des matières nouvelles comme l’immunothérapie avec l’analyse du génome ou de comportements. Et là, pour toutes les simulations qui représentent de gigantesques traitements de données et nécessitent une immense puissance de calcul, le cloud peut permettre de faire des gains de temps prodigieux en vue de résoudre des probabilités de calculs gigantesques. Les clients peuvent bien sûr exécuter des applications et conserver des données dans leurs propres centres de données comme ils peuvent faire appel pour certains usages à notre cloud public. En oncologie, où il faut une puissance de calcul gigantesque, cela coûterait une fortune à un labo de recherche de se payer un datacenter, alors qu’il peut louer cette puissance de calcul déportée pendant quelques semaines, avec des serveurs intelligents que nous fournissons. En ce sens, nous apportons notre intelligence à de grands laboratoires.

C’est donc la meilleure illustration que votre ” cloud ” fonctionne et c’est donc un super-marketing pour vendre vos solutions ?

Je ne dirais pas que c’est le meilleur marketing, mais c’est le plus bel impact que l’on peut avoir. J’étais récemment en Inde où nous avons fait une analyse algorithmique pour prédire et intervenir en amont dans le décrochage scolaire des jeunes. En analysant des données disparates, aussi bien sur le profil, le lieu, la démographie, l’état de santé, il est possible de détecter certaines causes et donc d’agir. Le taux de présence a d’ailleurs fortement augmenté. C’est une récompense : nous arrivons à des résultats tangibles.Ce n’est pas de la technologie pour de la technologie, cela aide à réaliser un objectif économique ou social.

Vous disiez que Microsoft est un fournisseur de plateforme ” cloud “. Cela signifie-t-il que vous avez tourné la page de l'” éditeur de logiciels ” ?

Oui. Enfin, nous avons notre mission qui est d’aider nos clients dans leurs objectifs et pour lesquels nous avons développé ces grands domaines d’innovation technologiques. Et oui, Microsoft est une société qui réalise cette valeur par une plateforme cloud et des applications de mobilité pour les clients. Nous combinons le domaine de la mobilité pour permettre à chaque entreprise d’utiliser des services très innovants, peu importe les devices.

Le mobile joue un rôle fondamental, c’est un domaine dans lequel vous avez lourdement investi, notamment avec le rachat de Nokia et qui n’est pas un succès. Comment vous positionnez-vous aujourd’hui sur ce marché ?

Notre stratégie est avant tout celle de la mobilité. C’est l’acte de servir des clients dans leurs mouvements. Cela veut dire qu’ils vont utiliser n’importe quel appareil et pas que les appareils avec notre logo. Fondamentalement, nous avons appris énormément avec des acquisitions comme celle de Nokia, parce que nous sommes entrés dans le coeur de la mobilité. Mais nous avons aussi une stratégie Windows Phone, qui est en transition. Elle propose des téléphones Lumia et des OEM (fabricant d’équipement d’origine, Ndlr), comme HP qui propose notre technologie, surtout dédiés au monde de l’entreprise. Il est trop tôt pour parler du futur du téléphone, par contre nous avons des appareils mobiles, les Surface, qui ont créé la catégorie 2 in 1, et qui rencontrent un très gros succès. Dans cette catégorie, on approche désormais les créatifs, des métiers moins utilisateurs d’appareils Windows, avec des appareils hyper innovants. Surface nous tient à coeur dans la mobilité.

Comment le rachat de LinkedIn entre-t-il dans cette stratégie ?

Ce rachat est une décision stratégique importante pour Microsoft. Il s’agit de prendre d’une part le meilleur du plus grand réseau de professionnels, LinkedIn, qui compte des centaines de millions d’utilisateurs. Et de l’autre, le numéro 1 du cloud business qui est Micosoft. Nous avons la plateforme la plus utilisée par le plus grand nombre d’entreprises dans le monde. Il y a beaucoup de valeur ajoutée à créer en combinant le plus grand réseau de personnes et le plus grand réseau d’entreprises.

Comme… ?

On en a juste parlé de manière très limitée. Pour l’instant, c’est trop tôt. Mais les deux fonctionnant dans le cloud. Il y a beaucoup de belles choses à imaginer…

PROFIL

– 56 ans

– Débute sa carrière comme channel sales representative chez Microsoft en France en 1984.

– 1994 : directeur général de Microsoft France.

– 2000 : CEO de Microsoft EMEA.

– 2005 : président de Microsoft International.

– 2016 : executive vice president et president global sales, marketing & operations de Microsoft.

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