Mestdagh : les enjeux du “défi Carrefour”

John et Eric Mestdagh © Photonews

L’heure de la famille carolo a sonné chez Carrefour. Eric et John Mestdagh se donnent trois ans pour redresser les 16 magasins du distributeur français et faire de l’enseigne Carrefour Market une référence en Belgique. Un défi social et commercial de taille.

La famille Mestdagh s’agrandit. Seize supermarchés (*), soit douze GB et quatre Carrefour Market, passent, ce 1er octobre, dans le giron du groupe qui exploite 69 supermarchés Champion (dont 33 en franchise). Une étape importante dans l’histoire du distributeur carolo, qui a fait son nid sans fracas dans le paysage belge. Et pour cause : il verra, d’un seul coup, son chiffre d’affaires annuel de quelque 500 millions d’euros gonfler de 40 %.

“Les 16 magasins que nous reprenons en propre représentent 200 millions d’euros de ventes supplémentaires, montant que nous espérons rapidement augmenter”, précisent Eric et John Mestdagh, les administrateurs délégués du groupe. Quant à leur part de marché dans l’univers total de la distribution belge, celle-ci passera de 2,6 à 3,6 %.

Une opération inédite, donc, mais qui n’est pas sans risque pour l’entreprise familiale. “Le risque existe, en effet, admet Eric Mestdagh, chef de file de la quatrième génération. Cependant, nous croyons qu’il y a aussi davantage d’opportunités. En conjuguant ce qui fait la force de Mestdagh au travers de l’enseigne Champion avec les atouts de Carrefour, deuxième groupe de distribution mondial, nous espérons pouvoir faire de Carrefour Market une référence dans le métier du supermarché.”

“L’image de Carrefour a, il est vrai, souffert ces derniers mois mais les consommateurs ont la mémoire courte, complète John, son frère cadet. Ce qui leur importe, c’est que le supermarché qui se trouve au bout de leur rue leur propose les produits qu’ils recherchent à un bon prix et avec un bon service.”

Pas de révolution dans un premier temps

Dans l’immédiat, le changement ne sera toutefois pas frappant, préviennent les nouveaux propriétaires : “L’entreprise focalise toute son énergie sur l’intégration de ces nouveaux points de vente, souligne Eric Mestdagh, en charge des finances, des ressources humaines, du commercial et de la logistique au sein du groupe. Comment faire pour que le personnel soit payé correctement début novembre ? C’est ce type de problème qui nous préoccupe pour l’instant.”

Concrètement, en plus des 800 employés qui y travaillent, le groupe Mestdagh reprend à son compte les 16 magasins en location-gérance. “Le bail reste la propriété du groupe Carrefour, ajoute l’administrateur délégué. Après avoir dressé l’inventaire le 30 septembre, nous rachèterons les stocks et le fonds de commerce. Après quoi, nous paierons chaque mois un loyer à Carrefour.” Un contrat de 10 ans a été signé avec Carrefour Belgique. Les deux frères n’en diront pas plus.

Le changement d’enseigne étalé jusqu’en 2013

Dans un deuxième temps, Mestdagh apportera son savoir-faire en mettant l’accent, comme chez Champion, sur le rayon fruits et légumes, la boulangerie, la boucherie avec service à la découpe, etc. “Nous allons simplement faire un copier-coller de ce qui fait le succès de Mestdagh, lance l’aîné des deux frères. Cette deuxième phase s’étalera jusqu’à la fin 2013.”

“C’est aussi l’occasion de revoir le modèle, complète John, responsable des achats, des produits, du marketing et des fonctions de support. Nous avons beaucoup à apprendre de Carrefour, entre autres dans le non-alimentaire. Nous nous donnons trois ans pour bâtir une nouvelle enseigne.”

L’accord prévoit aussi que Mestdagh convertisse, d’ici trois ans, tous ses Champion en Carrefour Market. Le distributeur français, rappelle-t-on, a décidé de rayer la marque Champion de son parc au profit de Carrefour Market. Cette enseigne continuera, par ailleurs, à être exploitée en propre et en franchise par Carrefour Belgium (40 magasins en intégré et près de 400 en franchise).

Des baisses de salaire compensées par des promotions

Mestdagh espère bien rentabiliser son acquisition pour 2013 : “Ces magasins doivent avoir le standard de profitabilité de Champion (Ndlr, un Ebitda supérieur à 4 %) à cet horizon.” A noter que tous les supermarchés repris ne sont pas actuellement déficitaires. Dix d’entre eux ont des difficultés financières. Comment les frères Mestdagh comptent-ils s’y prendre ? “Nos frais de personnel seront moins élevés que sous Carrefour, où l’heure était exagérément chère. D’autre part, nous avons besoin de moins de personnes pour faire tourner nos magasins parce que nos systèmes sont plus simplifiés.”

Sur les 800 personnes qui travaillaient dans les magasins concernés, 381 ont décidé de garder leur poste en changeant d’employeur. Les autres ont choisi de partir en prépension (138), de leur plein gré (149) ou d’être réaffectés dans un autre point de vente Carrefour (120). “Ce sont les employés qui avaient de l’ancienneté et des responsabilités qui sont partis. Nous avons pu combler les baisses de salaire par des promotions.”

Selon Eric Mestdagh, il ne devrait in fine y avoir que très peu de pertes de salaire. Pour combler les postes vacants, le groupe a engagé près de 300 personnes. Le repreneur a, par ailleurs, placé ses hommes à la tête des magasins à redresser.

Un défi social et commercial

“Nous devons redonner très vite confiance au personnel”, avance John. Les premiers échos syndicaux sont plutôt positifs. “La direction de Mestdagh a mené les entretiens de manière très correcte, relève Myriam Delmée, vice-présidente du Setca. Nous avons le sentiment que celle-ci a une réelle volonté de dialoguer avec les syndicats.”

Le deuxième défi des Mestdagh est commercial car il faut reconquérir la clientèle qui a délaissé ces enseignes, perturbées par plusieurs grèves. “Le client doit rapidement sentir le changement dans l’attitude du personnel et le service”, estime John. L’étape suivante consistera à travailler avec la filiale belge de Carrefour pour mettre en place les convergences au niveau de la politique commerciale (plans de ventes, prix, promotions, dépliants publicitaires, cartes de fidélité).

Cette acquisition va, enfin, pousser l’entreprise familiale à redimensionner sa logistique. “Au 1er octobre, nous ne sommes pas capables de livrer ces magasins qui continueront à être approvisionnés dans une première phase par Carrefour, note Eric Mestdagh. Nous allons investir dans de nouveaux entrepôts ou dans l’adaptation des nôtres.”

Enfin, les effectifs des services centraux seront également étoffés d’une trentaine de personnes. On l’a compris, les Mestdagh n’en sont qu’au début de leur vaste chantier.

Sandrine Vandendooren

(*) Il s’agit des supermarchés d’Ans, Namur Belgrade, Liège Blonden, Namur Bouge, Schaerbeek Brusilia, Liège Cointe, Eghezée, Heusy, Houdeng-Goegnies, Jette, Jodoigne, Molenbeek Mettewie, Rixensart, Spa, Tilff et Uccle Vanderkindere.

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