Management “à la russe” dans l’acier wallon

© Montage PG

L’acier wallon ne se résume pas à ArcelorMittal et à la phase à chaud liégeoise. Le pavillon russe flotte depuis peu sur les laminoirs de La Louvière et Clabecq. Mais la direction de Novolipetsk Steel y fait profil bas. Objectif : atténuer le choc des cultures.

Certains cadres du groupe sidérurgique Novolipetsk Steel (NLMK) se souviendront longtemps de l’accueil “chahuté” qui leur fut réservé il y a un an par les “métallos” de La Louvière. Le contexte, il est vrai, était lourd d’incertitudes quant aux intentions du géant russe (59.000 salariés) alors associé à l’italien Duferco à la tête du bassin sidérurgique carolo.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Trends-Tendances s’est invité à une nouvelle visite de cadres russes afin de prendre le pouls des usines qui, à La Louvière et Clabecq, sont désormais la propriété exclusive de NLMK – seule la phase à chaud carolo (Carsid), à l’arrêt depuis trois ans, reste aux mains de Duferco, qui lui cherche un repreneur.

“Nous sommes très bien accueillis”, commente Dmitri Koshelev, 33 ans, un ingénieur qui a intégré le programme de formation des jeunes à haut potentiel de NLMK. “Les outils wallons sont très performants et nous sommes ici pour apprendre, notamment, comment mieux répondre aux souhaits de nos clients en Europe.” Encadrés par un interprète, car ils ne s’expriment pas tous en anglais, et par une jeune cadre dynamique qui n’hésite pas à les interrompre pour corriger, en russe, leurs propos, nos interlocuteurs ne sont cependant pas trop à l’aise…

“On n’efface pas d’un coup des décennies de pouvoir soviétique, même si ces jeunes n’ont évidemment pas connu cette époque”, commente un fonctionnaire belge bien au fait de la mentalité russe. “Dans les entreprises, le sens de la hiérarchie reste très développé. Mais les Russes ont l’intelligence de ne pas imposer cela dans les sociétés qu’ils rachètent en Europe.” Le propos est confirmé par Véronique Vanhove, déléguée du Setca (syndicat des cadres) à La Louvière : “NLMK ? Nous les avions accueillis froidement à l’époque mais aujourd’hui nous sommes apaisés. On les voit peu et on ne perçoit pas leur emprise. Nous travaillons comme avant, notamment parce que la direction locale n’a pas été chamboulée.”

Une marge de progrès sur le plan commercial

Jean Jouet, chief operating officer (COO) français des produits plats (bobines) de NLMK en Europe, auxquels émarge La Louvière, est bien placé pour évoquer le sujet du management interculturel. Il a longtemps travaillé pour ArcelorMittal – il a vécu l’OPA lancée par le magnat indien sur Arcelor en 2006 – pour lequel il a notamment dirigé le vaste complexe sidérurgique racheté par le groupe à Kryviy Rih en Ukraine. Et ce, avant de céder aux avances de NLMK.

“Quand je suis arrivé la première fois à Lipetsk (Ndlr, le fief de NLMK, à 400 km de Moscou) j’y ai vu les mêmes bâtiments hérités de l’ère soviétique qu’en Ukraine et les mêmes lourdeurs administratives, explique-t-il. Mais il ne faut pas s’y tromper : NLMK a non seulement une longue tradition industrielle mais a aussi massivement investi dans la modernisation de ses outils. Sur le plan technique, leurs ingénieurs n’ont rien à envier aux nôtres.”

Sur le plan commercial, en revanche, il y a une marge de progrès. “On ne vend pas en Russie comme en Europe occidentale, souligne Jean Jouet. L’internationalisation des groupes russes étant récente, ils doivent s’adapter aux exigences de leurs nouveaux clients sur le plan du service et de la flexibilité. Ils doivent aussi apprendre un nouveau management : on travaille moins chez nous par le biais de prikaz, de directives, que sur base coopérative, via des groupes de projets dont la dynamique induit que le chef n’a pas systématiquement raison.”

De là à imaginer que NLMK va s’adapter davantage au mode de fonctionnement de ses filiales que leur imposer ses vues à l’avenir, il y a évidemment une marge. “N’oublions pas que les Russes sont les propriétaires, qu’ils sont très compétitifs et qu’ils n’ont qu’une envie : tirer profit de la mondialisation, conclut Jean Jouet. La pire attitude que nous puissions adopter serait de nous ériger en donneurs de leçons !”

Benoît July

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