Mais où sont les start-up wallonnes ?

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Même si l’on en parle de plus en plus, les start-up wallonnes ne s’exportent pas encore autant que celles du nord du pays. L’écosystème flamand place chaque année son lot de stars en pole position de la course à la réussite tandis que les (gros) investisseurs peinent encore à identifier les dossiers les plus solides en Wallonie. Pourquoi ?

Depuis déjà quelques années, la visibilité médiatique des entrepreneurs de start-up numériques et de leurs projets n’a cessé de croître en Belgique et notamment en Wallonie et à Bruxelles. Au point qu’il ne se passe plus un jour sans que la presse ne présente une nouvelle jeune pousse, n’annonce une levée de fonds ou un classement des meilleurs projets. Il faut dire que l’écosystème techno nourrit de nombreuses ambitions. Les belles histoires d’entrepreneurs américains comme Mark Zuckerberg (Facebook), Sergey Brin (Google) ou Evan Spiegel (Snapchat) font naître l’espoir du ” tout est possible “. Et les start-up incarnent le rêve d’un renouveau, notamment en Région wallonne. L’argent des investisseurs se tourne d’ailleurs de plus en plus vers ces projets innovants dans lesquels les business angels espèrent trouver la nouvelle perle numérique et investir dans une future licorne, ces entreprises numériques valorisées plus de 1 milliard de dollars.

Pourtant, les grosses levées de fonds du côté francophone restent rares. En 2016, il y a bien eu des opérations comme les levées de Real Impact Analytics (12 millions), UnifiedPost (10 millions), EMAsphere (2 millions), Menu Next Door (1,75 million) et Aproplan (1,5 million). Mais on reste très loin des 46 millions d’euros obtenus par la start-up gantoise Showpad pour continuer à déployer ses solutions mobiles pour commerciaux. Ou des 24 millions d’euros levés en Chine par la firme flamande Auro Technologies qui développe des solutions audio pour les films et la musique. D’ailleurs, à regarder de près les investissements de quelques gros fonds de capital-risque belges, rares sont les deals en direction de la Wallonie.

Pas assez de vraies stars numériques

Frank Maene (VOLTA VENTURES):
Frank Maene (VOLTA VENTURES): “Il est évident qu’il n’y a pas, aujourd’hui, de start-up wallonne dans le domaine du Web et du software qui s’apparente à un Showpad.”© PHOTO NEWS
C’est le calme plat. On peine à trouver de bons projets dans lesquels investir.” Jean-Guillaume Zurstrassen (BelCube)

Ainsi, Volta Ventures qui dispose de pas moins de 55 millions d’euros à investir n’a pas encore jeté son dévolu sur la moindre start-up francophone. Ses six participations se situent en Flandre et aux Pays-Bas. Pourtant, depuis le départ, les responsables du fonds observent le marché francophone. ” Nous recevons beaucoup moins de dossiers du sud du pays, admet Frank Maene, managing partner de Volta Ventures. Je ne peux pas dire que l’on cherche de manière agressive mais il est évident qu’il n’y a pas, aujourd’hui, de start-up wallonne dans le domaine du Web et du software qui s’apparente à un Showpad. ” Même son de cloche chez l’un des business angels les plus renommés du côté francophone : ” C’est le calme plat, désespère Jean-Guillaume Zurstrassen qui a cofondé BelCube. Nous sommes là depuis longtemps et pourtant on peine à trouver de bons projets dans lesquels investir. Le flux n’est pas énorme et surtout pas toujours aussi qualitatif qu’on le voudrait. Et d’ailleurs, il y a très peu de projets à côté desquels on passe. On devrait se tromper 20 fois et laisser filer des start-up qui finissent par décoller. Ce n’est pourtant pas le cas. Du coup, on investit aujourd’hui beaucoup aux Etats-Unis et peu en Wallonie. ” Tout aussi révélateur : l’absence de prise de participation des fonds français Serena Capital et Partech en Wallonie. La SRIW a, pourtant, investi en 2015 respectivement 7 et 5 millions d’euros dans chacun de ces fonds, avec entre autre l’espoir que ces derniers s’intéressent à la Wallonie.

Le sujet dérange. Pour preuve, en Wallonie, les responsables publics multiplient les initiatives pour soutenir les entrepreneurs bien de chez eux. Dans le cadre du Plan numérique wallon, la Région a par exemple libéré pas moins de 50 millions d’euros sur cinq ans pour investir dans les start-up du numérique qui en sont à leur premier stade de développement. Or, après 12 mois et 263 dossiers, le W.IN.G n’a accordé que 4,8 millions d’euros à un total de 43 dossiers (et effectivement libéré 1,8 million d’euros) alors qu’en théorie il dispose de 10 millions d’euros par an. Est-ce par manque de projets crédibles ? ” Pas du tout, réagit Pierre Rion, président du Conseil numérique wallon. Le fait est qu’on investit des petits tickets à partir de 50.000 euros pour aider des projets qui démarrent. On a une très bonne moyenne et d’ailleurs, on accepte plus de 15 % des projets. ” Et Olivier Vanderijst, président du comité de direction de la SRIW qui assure la gestion du fonds W.IN.G, d’insister : ” Nous restons volontaristes dans l’investissement avec une acceptation des dossiers bien plus élevée que la moyenne des private equity, mais on ne s’oblige pas pour autant à libérer 10 millions d’euros par an. Et il n’est pas impossible qu’à l’avenir on décide de consacrer de l’argent pour accompagner des start-up dans leurs tours suivants en série A et série B. ” Car, de l’avis d’un observateur avisé de l’écosystème, c’est bien là que cela coince : ” Il n’y a que très peu de start-up en croissance (scale-up). Du côté flamand, on compte quelques stars du numérique, mais pas encore du côté francophone. Certaines start-up nourrissent pas mal d’espoir, mais on manque de jeunes pousses numériques qui réalisent entre 30.000 et 50.000 euros de chiffre d’affaires mensuel récurrent et qui doivent envisager l’international. ”

En retard sur la Flandre ? Le constat déplaît à certains mais les observateurs et acteurs du milieu l’admettent. ” C’est vrai, on manque de grandes stars pour le moment en Wallonie, concède Pierre Rion. Et les Flamands ont, il est vrai, une longueur d’avance. ” C’est que l’écosystème du nord du pays s’est mis en place plus tôt. Parmi les nombreuses initiatives, on peut notamment évoquer l’émergence d’iMinds en 2004 développé par le gouvernement flamand comme centre de recherche stratégique en technologie et qui a aidé à faire naître de nombreuses start-up en Flandre. Et même avant cela, la formation du fonds Hummingbird Ventures, en 2000. Ce fonds assez peu connu du côté francophone affiche déjà quelques belles exits : Clear2Pay (vendue 375 millions), Amplidata, Engagor et Shutl. Et des participations dans quelques stars belges (Awingu, Showpad) et internationales (Deliveroo). D’ailleurs, ces réussites rejaillissent sur l’écosystème néerlandophone puisque les investisseurs à succès réinjectent des fonds dans de nouveaux projets. Sans oublier un phénomène très particulier né dans le giron de la start-up flamande Netlog, ce réseau social ultra-populaire en Europe avant l’arrivée de Facebook. Cette start-up a formé, en son sein, des entrepreneurs qui, après le crash de l’aventure Netlog, ont lancé leur start-up. C’est de là qu’émanent Engagor, In The Pocket, Showpad, Xpenditure, Realo, etc.

Démarrage tardif en Wallonie

Pierre Rion (CONSEIL DU NUMÉRIQUE WALLON):
Pierre Rion (CONSEIL DU NUMÉRIQUE WALLON): “Ce n’est pas parce qu’un fonds comme W.IN.G est en place que les projets naissent immédiatement. De nouvelles ‘spin-off’ vont émerger mais il faut leur laisser un peu de temps.”© BELGAIMAGE
Laissons du temps à cet écosystème de mûrir et vous verrez qu’il va en surprendre plus d’un.” Marc Fournier (Serena Capital)

Du côté francophone, on compte bien quelques fleurons solides comme Odoo, CluePoints, eWon (revendue en 2016), mais la fièvre start-up n’a démarré qu’après le lancement d’initiatives comme le Betagroup (2008), le fonds Internet Attitude (2010), Nest’Up (2012) et l’émergence de fonds comme BelCube (2012), The Faktory de Pierre Lhoest (2013), puis Leansquare (2014) et enfin, courant 2015, l’arrivée de Co.Station sur la place bruxelloise et la mise en place du Plan numérique wallon coordonné par Pierre Rion. Avec pour étincelle à start-up le fonds W.IN.G. Or ” il faut compter pas moins de 53 mois, en moyenne, avant qu’un projet de start-up n’en arrive à sa levée de fonds de série A, insiste Thibaut Claes, innovation manager au sein de l’association Startups.be. Il faut toujours un peu de temps avant de lancer un produit, de l’affiner et d’arriver à avoir une véritable traction “. Sans oublier que ” tout ne se fait pas du jour au lendemain “, insiste Pierre Rion. ” Il y a forcément une certaine inertie, explique-t-il. Ce n’est pas parce qu’un fonds comme W.IN.G est en place que les projets naissent immédiatement. Des tas de jeunes vont venir avec des projets, de nouvelles spin-off vont émerger mais il faut leur laisser un peu de temps. ”

La méthode Coué ? Pas seulement. Plusieurs observateurs ” non wallons ” décèlent un talent numérique dans la partie francophone du pays. ” Depuis que nous travaillons avec la SRIW, nous avons appris à bien connaître l’écosystème wallon, fait remarquer Marc Fournier, managing partner du fonds Serena Capital. Actuellement, plusieurs investissements potentiels sont en cours d’instruction. L’écosystème de start-up en Wallonie est en pleine mutation. Il est jeune mais bourré de talents avec de belles idées. Les fondamentaux que sont l’éducation supérieure, les talents et les investisseurs sont tous présents et de bon niveau. Laissons du temps à cet écosystème de mûrir et vous verrez qu’il va en surprendre plus d’un. ”

Trop d’argent public pour les start-up wallonnes ?

W.IN.G, Leansquare, Meusinvest, Digital Attraction, etc. Dans le paysage wallon des start-up, nombre d’initiatives émanent des autorités et se déploient grâce aux fonds publics. Cela ne plaît pas forcément à tout le monde. “N’est-ce pas donner de l’argent à quelques jeunes entrepreneurs pour s’occuper alors qu’on sait que la plupart des projets vont mourir ?”, nous glisse l’un des opposants à ce système. Jean-Guillaume Zurstrassen de BelCube s’étonne, lui, que les entrepreneurs se tournent vers ces solutions pour démarrer : “Le capital risque, c’est le boulot des privés”, s’exclame-t-il. Mais pour Olivier Vanderijst (SRIW), cela participe à “créer un climat propice à l’entrepreneuriat”. “On investit dans le domaine des biotechsqui constitue aujourd’hui un tissu plus robuste, détaille-t-il. Le numérique est aujourd’hui moins solide et moins développé mais le pari est de parvenir à consolider ce secteur et d’y investir davantage d’ici quelques années.” Par ailleurs, la Wallonie n’est pas la seule dans le cas. Pour Omar Mohout (Sirris), “s’il est vrai que le public y joue un rôle dans le domaine des start-up, c’est aussi le cas en Flandre ! Les plus gros investisseurs sont PMV, LRM, etc. Même Volta Ventures, Fortino et les autres fonds privés utilisent une partie de fonds publics. La tendance est la même au niveau européen : l’investisseur le plus actif d’Europe en 2016 était BpiFrance, un fonds public. Quant au fonds le plus actif d’Europe sur ces 10 dernières années, il s’appelle High-Tech Gründerfonds, un fonds public allemand !

Et Omar Mohout, gourou flamand du numérique et software engineer chez Sirris, défend lui aussi la progression de l’écosystème wallon des start-up. Il soulève que les start-up technologiques wallonnes (au sens large) ont levé 54 millions d’euros en 2016 contre 32 millions en 2015. ” Toutes les Régions évoluent dans le bon sens, y compris la Wallonie “, insiste l’expert. Même si, en comparaison, les start-up flamandes de la tech affichent un compteur de levées de fonds qui dépasse les 200 millions. Soit près de quatre fois plus. ” Il y a pourtant, en Wallonie, six scale-up (des start-up en phase de croissance, Ndlr) qui ont levé plus de 750.000 euros en 2016, insiste l’expert. La Région wallonne a un pourcentage de sociétés tech matures mais a besoin de voir arriver la nouvelle génération et du sang neuf. ” C’est ce que les autorités wallonnes essaient d’initier à grands coups d’initiatives. Bien sûr, reste à voir si des projets comme le W.IN.G arrivera, malgré le taux d’échec auquel s’attend son président Pierre Rion (” on aura sans doute un projet sur 10 ou sur 20 qui décollera “), à créer plus de valeur qu’il n’en dépense. Pour cela, il espère néanmoins voir arriver plus de projets vraiment technologiques, à base de capteurs, de sondes, d’objets connectés, etc. que de start-up d’économie collaborative, de plateformes et de réseaux sociaux. Des domaines qui représentent visiblement une part importante des projets soumis aux W.IN.G mais ne sont sans doute pas assez porteurs.

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