Magritte du Cinéma : la cérémonie… et la polémique décryptées

L’événement entend doper la renommée du cinéma belge en général et francophone en particulier. Mais à quel prix ? Et, surtout, que peuvent rapporter ces premiers Magritte du Cinéma au secteur ? Tentative de réponse, sur fond de polémique communautaire…

Une belle opération marketing. Voilà, en quatre mots, la réelle finalité de la première Cérémonie des Magritte du Cinéma qui se tient à Bruxelles ce samedi 5 février. Nichée au coeur du Square (Mont des Arts), la manifestation glamouro-culturelle rassemblera quelque 1.200 invités, sans compter les téléspectateurs – belges et étrangers – qui pourront suivre l’événement ce soir-là sur Be tv, en direct et en clair, et deux jours plus tard sur TV5 Monde.

Clairement inspirée des César du cinéma français, ces nouveaux “Oscarekes” ont clairement pour mission de faire la promotion du 7e art “noir-jaune-rouge” en général et des productions francophones belges en particulier. Avec, évidemment, une série de récompenses à la clé (18 au total), allant du Meilleur Film au Meilleur Documentaire, en passant par les Meilleurs Costumes et le Meilleur Montage. Ceci dans un flou légèrement artistique puisque même l’actrice Cécile de France y a perdu son latin. Nominée dans la catégorie Meilleure Actrice pour son rôle dans Soeur Sourire, la comédienne namuroise a jeté récemment un pavé dans la mare en déclarant qu’elle boycotterait la cérémonie. La raison de son courroux ? Une méconnaissance (excusable) du règlement (bizarroïde) des Magritte du Cinéma puisque Cécile de France affirme que “ces prix ne concernent que le seul cinéma francophone”. Or, quelques (très rares) personnalités flamandes sont bel et bien nominées dans la compétition, comme l’acteur Jan Decleir ou encore le monteur Ludo Troch.

A sa décharge, il faut dire que la communication autour de l’événement met essentiellement le cinéma francophone belge à l’honneur. Certes, les membres de l’Académie André Delvaux – qui procèdent aux votes – proviennent de tout le pays et les personnalités éligibles peuvent être originaires de Flandre. Mais dans les faits, c’est le savoir-faire “made in Wallonie-Bruxelles” qui est valorisé dans ces premiers Magritte du Cinéma. Tout à fait logique puisque l’événement est né de l’imagination de Frédéric Delcor, directeur du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Communauté française, rejoint dans l’aventure par Philippe Logie, directeur des acquisitions chez Be tv.

“Si l’on voulait être précis, il faudrait parler de la Cérémonie des Magritte du Cinéma belge en Communauté française, clarifie Frédéric Delcor. Car il s’agit de faire d’abord la promotion du cinéma francophone belge, même si la volonté existe de faire le lien, à moyen terme, entre notre événement et les Vlaamse Filmprijzen”, une cérémonie dédiée aux films flamands dont la première édition a eu lieu à Ostende en septembre dernier. Deux “Oscarekes” en (petite) terre de Belgique… Finalement, on ne peut pas vraiment en vouloir à Cécile de France.

Trêve d’existentialisme communautaire, les Magritte du Cinéma restent un outil de promotion des productions francophones belges où s’amusent volontiers certains acteurs et techniciens flamands. Pour mettre sur pied l’événement, l’Académie André Delvaux a été fondée, réunissant aujourd’hui quelque 650 membres potentiellement votants, tous issus, au sens large, des différents métiers du cinéma. Cette ASBL a reçu deux fois 12.000 euros provenant des deux structures qui la soutiennent activement – à savoir l’Union des Producteurs de Films Francophones (UPFF) et Pro Spère, la Fédération des Associations d’Auteurs et de Comédiens – ainsi qu’une enveloppe de 110.000 euros donnée par la Communauté française. Si l’on ajoute 50.000 euros perçus grâce aux cotisations des membres (75 euros par personne), l’Académie André Delvaux dispose donc au total d’un budget qui approche les 185.000 euros.

Suffisant pour organiser les Magritte du Cinéma et, surtout, pour faire tourner l’ASBL dont la mission ne s’arrête pas à l’organisation de cette manifestation ? Certainement pas. D’ailleurs, les 50.000 euros versés par les membres ont été engloutis dans la confection d’un coffret comprenant 56 DVD que chaque membre votant a reçu afin de désigner correctement ses lauréats (425 ont choisi de voter parmi les 650 membres de l’Académie). “On sera finalement à l’équilibre entre l’argent reçu et l’argent dépensé pour cet événement, précise Patrick Quinet, co-président de l’Académie. Mais l’organisation de ces Magritte du Cinéma a surtout été facilitée par l’engagement enthousiaste de nombreuses personnes de l’UPFF, de Pro Spère et d’autres associations qui ont tous travaillé bénévolement pour la réussite de cet événement. Sans l’appui de nombreux sponsors et de ces partenaires motivés, la mise sur pied d’une telle cérémonie n’aurait pas été possible.”

Difficile de citer l’ensemble des partenaires et sponsors qui participent, de près ou loin, à l’organisation de la manifestation en échange d’un logo sur l’affiche et les invitations. Car on en dénombre une trentaine, allant de Renault – qui met 11 véhicules à disposition pendant quatre jours – à la chaîne d’hôtels Radisson – qui offre une quarantaine de nuitées – en passant par Pommery pour le champagne et Dior pour le maquillage. Le tout étant orchestré par l’agence Profirst, spécialisée dans l’organisation d’événements, qui met gratuitement son expertise à disposition, dans l’espoir d’un probable retour d’ascenseur. “Globalement, on peut estimer le coût réel d’une telle soirée à plus de 400.000 euros, confie Laurence Matthys, account director chez Profirst. Mais il est difficile de donner un chiffre précis puisque la grande majorité des prestations repose sur le principe de l’échange.”

Au-delà des coûts de l’événement, il convient d’ajouter encore les frais de captation de la cérémonie intégralement pris en charge par Be tv, dont la maison mère Tecteo verse déjà annuellement plus de 2 millions d’euros au Centre du Cinéma de la Communauté française. Une dizaine de caméras, une grue de 9 m, un tournage en HD… La chaîne met le paquet pour les Magritte ! “Les frais de captation sont équivalents à ceux d’un gros match de football, soit 45.000 euros, révèle Philippe Logie, directeur des acquisitions chez Be tv. Mais cela en vaut la peine puisqu’il s’agit de valoriser notre investissement annuel dans le cinéma belge. Et puis, TV5 Monde a acheté le programme et, pour le secteur, une telle campagne de pub mondiale n’a pas de prix !”

A la grosse louche, l’organisation des premiers Magritte du Cinéma se chiffrerait donc à un demi-million d’euros, sans compter l’investissement bénévole de nombreux partenaires. Mais pour quelles retombées économiques ? “C’est impossible à dire, rétorque Patrick Quinet, le co-président de l’Académie André Delvaux. Le retour sur investissement ne se calcule pas dans l’immédiat. Car il s’agit d’une opération sur la longueur.” Et Frédéric Delcor d’acquiescer : “On ne travaille pas sur le court terme, conclut l’initiateur du projet. La promotion du cinéma belge est un enjeu primordial et les Magritte auront immanquablement un effet bénéfique pour le secteur, même si au stade actuel, c’est tout bonnement inchiffrable.” Flou artistique, fondu au noir, coupez !

Frédéric Brébant

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