Les secrets de Decathlon pour conquérir le monde (du sport)

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Le plus grand Decathlon belge ouvre ses portes à Evere (Bruxelles) ce vendredi. C’est le 23e magasin du pays. Le secret de la croissance de l’enseigne bleue ? Un portefeuille de marques, des innovations, des prix attractifs. Et une concurrence fragmentée.

Présent depuis plus de 10 ans en Belgique, l’enseigne française Decathlon frappe un grand coup avec sa 23e implantation, à Evere. Elle ouvre un méga-magasin de 9.000 m2 – contre 4.000 pour les magasins actuels. Qui devient aussi le nouveau siège de Decathlon en Belgique, remplaçant celui d’Anvers.

Le Decathlon d’Evere sera quasi aussi grand que le magasin phare du groupe, à Villeneuve-d’Ascq, près de Lille. Il pourrait même à terme le dépasser, car 2.000 m2 y sont encore inoccupés, prêts à servir. Les clients décideront. La zone de chalandise est vaste : Bruxelles, le Brabant flamand, et aussi le quartier voisin, remplis d’institutions et d’entreprises (Otan, IBM, HP, Unisys, Sabca, l’aéroport de Zaventem… et aussi la rédaction de Trends Tendances), pour qui le magasin ouvrira à 8 h du matin – et non 9 h comme dans les autres Decathlon.

La Belgique sur les traces de la France

Il s’agit d’une étape importante dans la progression de Decathlon en Belgique. Le groupe estime qu’il a du terrain à conquérir. “Nous n’avons pas encore atteint la part de marché de l’enseigne en France”, indique Herman Van Beveren, administrateur délégué de Decathlon Belgique. Il prévoit un parc total de 45 magasins dans le Royaume, en ce compris les futures ouvertures de Tournai, Waterloo, Alost, Charleroi, Hasselt et Ostende. Sans doute espère-t-il atteindre la position prise dans l’Hexagone, où les 288 Decathlon totalisent, selon les sources, 30 à 50 % du marché de l’outdoor.

Le marché belge semble accueillir l’enseigne bleue à bras ouverts : “Les Belges aiment le sport et n’hésitent pas à s’équiper de la tête aux pieds, dit Herman Van Beveren. La météo étant très variable, le Belge s’équipe également contre le mauvais temps. C’est moins le cas dans le sud de la France, où le soleil est fréquent. Quand il fait mauvais, on ne sort tout simplement pas.” Decathlon profite aussi d’une concurrence fragmentée à qui il mène la vie dure. Elle couvre généralement moins de sports, sur des surfaces plus petites. A.S. Adventure, qui vient de changer de main, est l’un des principaux compétiteurs, avec 30 magasins, situés surtout dans les centres commerciaux. Cette dernière enseigne met d’ailleurs de plus en plus l’accent sur les vêtements. Intersport, autre concurrent, compte sept magasins et Sports Direct, 45 boutiques. Il faut aussi concilier avec des acteurs de niches réputés tel Lecomte, dans l’alpinisme, la spéléo et la randonnée (Ixelles et Waterloo).

Le cousin des magasins Auchan

Le groupe est une machine à succès. Né en 1976, il est contrôlé par la famille Mulliez, également aux commandes des groupes Auchan et Kiabi. La méthode Decathlon ? D’énormes magasins installés dans des zones commerciales en périphérie et des prix attractifs, obtenus grâce à une force d’achat à la mesure de la taille du groupe. En 2014, il annonçait un chiffre d’affaires de 8,2 milliards d’euros (+10,6 %) engrangés par ses 886 magasins répartis dans 22 pays. La France pèse encore très lourd dans les ventes (39,5 %), mais n’est plus majoritaire comme elle l’a longtemps été. Le groupe s’étend dans les pays émergents, au Brésil, en Russie, en Inde et surtout en Chine (115 magasins).

L’Ikea de l'”outdoor”

La force de Decathlon ? Sa vingtaine de marques propres : Quechua pour la marche et la montagne, Kalanji pour la course à pied, B’Twin pour les vélos, et ainsi de suite. Elles ont pour mission de concurrencer pied à pied les grandes marques comme Millet ou encore Adidas. La maison pratique l’intégration verticale, en concevant, faisant fabriquer et distribuant ses produits, selon une recette également appliquée par Ikea.

L’approche a été bouleversée à la fin des années 1990. Jusque-là Decathlon n’avait qu’une seule marque maison : Decathlon. Elle a remporté un succès croissant jusqu’en 1999, lorsque les ventes par mètre carré ont commencé à décliner. Le diagnostic ? La marque était devenue trop omniprésente : à la plage, la montagne, sur les terrains de sport, avec une image bon marché peu valorisante. Les clients lui trouvaient un côté “soviétique” pour reprendre l’expression de Jean-Noël Kapferer, spécialiste français des marques, dans le livre The new strategic brand management : advanced insights and strategic thinking (2012). “Les consommateurs avaient le sentiment grandissant d’un manque de choix”, écrit l’auteur. Decathlon a alors développé une approche plus subtile, avec plusieurs marques exotiques comme Quechua, du nom des Indiens des Andes.

Quechua, la marque la plus forte

Ces “marques passion” (selon l’appellation maison) couvrent chacune un type d’activité ou de sport, jusqu’à la pêche, avec Caperlan, l’équitation, avec Fouganza, ou les sports nautiques avec Tribord. Elles sont développées de manière autonome, au plus près du lieu où le sport est pratiqué. Le centre de développement de Quechua est ainsi situé au pied du mont Blanc, celui de Tribord, à Hendaye, sur l’Atlantique. Dans les rayons le client ne perçoit pas toujours qu’il s’agit de marques maison, car les articles cohabitent avec les grandes marques classiques.

Elles s’imposent d’autant mieux qu’elles visent des marchés où les leaders sont rares, ce qui est le cas dans les sports de montagne, avec Quechua. Qui reste la marque la plus importante, dépassant 1,7 milliard d’euros de ventes annuelles. Dans d’autres marchés, il faut ferrailler avec des acteurs plus puissants, comme Nike dans le running, ou Wilson dans le tennis. Decathlon a développé à ce jour 20 marques sur les 60 disciplines que couvre son catalogue.

Le marketing par l’innovation

Pour réussir ce pari, il ne suffisait pas d’inventer des noms et des logos. Decathlon a dès lors dopé ses marques en consentant un effort particulier dans l’innovation (lire aussi l’encadré “L’innovation a un prix”). L’enseigne a marqué un gros coup par exemple avec sa tente Quechua deux secondes, qui a remporté un vif succès. Elle sort d’ailleurs régulièrement des produits astucieux, comme le masque Easybreath de Tribord, qui permet aux amateurs de snorkeling de respirer par le nez et par la bouche, sans buée, avec un mécanisme qui évite que l’eau ne s’engouffre dans le tube. Les produits qui bénéficient de ces innovations brevetées sont vendus à des prix abordables, selon le mission statement que répètent les responsables maison : “apporter le bonheur par le sport avec des équipements astucieux et beaux”, comme le rappelle Herman Van Beveren.

L’approche vise à faire monter en gamme les marques maison, avec l’objectif de tenir tête aux grandes marques. Cela se reflète par des résultats plutôt honorables dans les tests comparatifs publiés par des revues comme Trek Magazine. Decathlon fait le grand écart car il demeure attaché à une image de petits prix pour toucher un public très large. L’enseigne commercialise aussi des produits basiques moins innovants pour attirer ceux qui veulent essayer une activité sans trop dépenser. Elle propose ainsi une raquette de tennis de la marque maison Artengo au “premier prix technique” de 7,95 euros, pour le “primo-pratiquant”. Pour acquérir une raquette à la technologie plus pointue, qui absorbe mieux les vibrations grâce à une structure brevetée hybride bois-graphite, il faudra payer 10 fois plus cher (79,95 euros pour la raquette Artengo TR 960 Soft Feel). Et plus de 100 euros pour les classiques des grandes marques (Babolat, Wilson).

Pour l’amour des carpes

Le marketing de l’innovation vise aussi à faire revenir les clients. Il est associé à une approche inspirée de la mode, en changeant les couleurs régulièrement, et pas seulement celle des vêtements. Environ 10 % des articles sont renouvelés chaque année. Les magasins eux-mêmes sont très flexibles – les rayons sont sur roulettes par exemple. En hiver, l’entrée du magasin est occupée par les sports de glisse, l’été, par les tentes et les sacs à dos. Chaque directeur a la liberté de revoir ses rayons comme il l’entend, pour les adapter à la clientèle de sa zone de chalandise. La Wallonie misera dès lors davantage sur le VTT, la Flandre sur les vélos de route. “Comme nous avons beaucoup de place, j’ai choisi de développer un rayon pour les pêcheurs de carpes”, explique à ce sujet Quentin Labrique, directeur du magasin d’Evere. Il a aussi développé le rayon golf et celui pour le hockey. Avec des zones d’expérience où l’amateur de hockey peut par exemple tester les sticks sur une surface dotée d’un but installé entre les rayons.

Quelques pays récalcitrants

Tous les pays ne sont pas aussi ouverts que la Belgique. Decathlon peine davantage en Grande-Bretagne ou en Allemagne, deux grands marchés porteurs en outdoor, où le groupe n’a que 17 et 23 magasins. Les chaînes et les marques locales y sont puissantes. Enfin, les Etats-Unis ont carrément été un échec. Decathlon a eu des soucis d’homologation et a peiné à trouver des grandes surfaces. L’enseigne a préféré arrêter les frais en 2006. C’est la principale différence avec Ikea, qui, lui, remporte un grand succès outre-Atlantique. Le monde est toutefois vaste pour Decathlon, qui continue à ouvrir d’autres pays – la Croatie et la Slovaquie sont les derniers en date. Rien qu’en Chine, l’enseigne a ouvert 32 nouveaux magasins en 2014. Un pays que l’enseigne connaît bien : elle y fait fabriquer beaucoup de produits.

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