Les pôles wallons passent à l’âge adulte

Après six années de fonctionnement, les pôles de compétitivité wallons, lancés dans le cadre du “Plan Marshall”, ont terminé la conception de quelque 140 produits innovants. Place maintenant à la phase de commercialisation.

Mettre au point des agents de conservation des aliments qui soient naturels et les proposer comme substituts aux additifs de synthèse (les fameux E suivis d’un numéro), aujourd’hui pas toujours très bien perçus par les consommateurs en quête d’authenticité. Tel est un des projets menés par cinq entreprises et deux universités wallonnes dans le cadre du pôle de compétitivité agroalimentaire Wagralim. Leur solution ? Un mixte de deux types de molécules : des lactates et des polyphénols. Les derniers tests sont menés auprès des clients cibles. La mise en production pourrait démarrer l’an prochain.

Lancés en novembre 2005, les pôles de compétitivité wallons commencent à donner leurs premiers résultats concrets. Pour rappel, ils sont censés donner une nouvelle impulsion à l’industrie du sud du pays. Comment ? En appliquant la méthode du travail en réseau, déjà appliquée avec succès dans d’autres pays. Concrètement, six domaines dans lesquels les sociétés wallonnes ont atteint un certain niveau de performance ont été sélectionnés : les biotechnologies, la mécanique, l’alimentaire, l’aéronautique, la logistique et, depuis février 2011, les technologies environnementales.

Ensuite, la recette est la suivante. Susciter des rencontres entre entreprises et universités, entre multinationales et PME, entre ingénieurs et professeurs, entre spécialistes de disciplines différentes, etc… Puis, amener tous ces acteurs à imaginer des produits/services innovants. Obligations incontournables : viser une avancée technologique au minimum de niveau européen et posséder un potentiel commercial réel et chiffrable, faire reconnaître ces paramètres par un jury indépendant issu des mondes économique et académique. Ensuite, mettre ce petit monde au travail, en subsidiant leurs besoins. Enfin, faire en sorte que les nouveaux produits en question soient mis en production et créent de l’emploi. Le processus est censé s’auto-entretenir, de nouvelles idées jaillissant par après.

Un premier bilan chiffré

En six ans, sept appels à projets successifs ont ainsi été menés. Selon le bureau de conseils stratégiques M5, qui a été chargé de dresser un bilan, cela s’est traduit par l’engagement de 127 projets en matière de R&D, de 54 projets en matière de formation et de 28 projets en matière d’infrastructures. Coté financement, la Région wallonne a assuré au total 414 millions d’euros d’aides, à la fois aux entreprises, aux universités, aux centres de recherche et aux opérateurs de formation. Le privé, lui, a apporté 167 millions d’euros (voir graphique 1 : “La répartition du financement à l’heure actuelle”). Un millier de chercheurs ont été mobilisés. A l’heure d’aujourd’hui, 21 sur les 127 projets de R&D ont terminé la phase de conception. Ils ont débouché sur 138 produits ou services innovants, de même que 57 nouveaux procédés de fabrication. Pour passer à l’exploitation commerciale, 65 brevets ont déjà été déposés et 15 nouvelles entreprises ont été constituées.

Les résultats en matière d’emploi restent, eux, encore très timides. Une raison est invoquée. Les pôles doivent être vus comme un processus de long terme. Tous les acteurs impliqués l’affirment : il faut au minimum cinq ans pour définir une technologie nouvelle et à nouveau cinq ans pour l’amener sur les marchés. Seule la moitié du chemin a donc été accomplie. Lorsque la phase de production sera bien avancée, les créations d’emplois devraient alors s’accélérer. Les pôles promettent que 9.900 jobs pourraient alors voir le jour.

En attendant, il y a quand même des acquis. Pour Jean-Louis Mentior, le patron de M5, ils sont de deux ordres. “Le premier est que les pôles ont réussi à séduire une bonne partie des entreprises industrielles de la Région. Pour être précis, 550 ont décidé de participer à l’aventure (voir graphique 2 : “Les six pôles atteignent aujourd’hui 550 entreprises participantes”). Le second est que ces mêmes sociétés sont celles parmi les plus dynamiques. Elles représentent en effet 41 % de la valeur ajoutée et 23 % de l’emploi de l’ensemble du secteur industriel wallon. Bref, les pôles ont réussi leur premier pari : celui d’obtenir un effet de rayonnement”.

Et pour l’avenir ?

Reste que “la route est encore longue”, comme le soulignent les experts universitaires Benoît Bayenet et Henri Capron (ULB) dans une analyse-bilan des pôles à paraître dans le prochain numéro de la revue Reflets et Perspectives (pour rappel, ceux-ci sont partie prenante dans la conception générale de ce volet du “Plan Marshall”). Les innovations développées doivent, pour bien faire, connaître une réussite commerciale. Ce n’est jamais garanti à ce niveau.

Ensuite, les pôles eux-mêmes doivent continuer à grandir et à acquérir de la “masse critique”. Histoire d’augmenter le spectre de leurs compétences et d’élever leur potentiel de recherche. C’est que “la concurrence est rude”, car une flopée de pôles de compétitivité existe aux quatre coins de l’Europe. Selon les deux spécialistes, la prochaine mission est la suivante : “Faire en sorte que certains des pôles deviennent réellement des pôles européens de dimension mondiale”. Cela passera par des partenariats à nouer avec ces pôles étrangers concurrents, justement. C’est surtout vrai pour des secteurs tels que les biotechnologies ou la mécanique où les applications et les marchés sont internationaux.

Jean-Christophe de Wasseige

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