Les paradoxes de la contrefaçon

© Reuters

Estimés entre 5 % et 9 % du commerce mondial, le marché de la contrefaçon représente assurément un sérieux manque à gagner pour les marques copiées. Mais pas nécessairement pour les tout grands noms du luxe, rectifie un professeur de criminologie britannique qui y voit aussi des bienfaits “marketing”.

Le secteur se situe, par définition, dans le flou “artistique” et ses chiffres sont donc forcément imprécis. Car la contrefaçon s’inscrit viscéralement dans l’illégalité, le crime organisé et l’absolue discrétion. Manque à gagner pour les entreprises, pertes fiscales pour les Etats, dilution de la propriété intellectuelle pour les créateurs… Mesurer l’étendue exacte de tous les dégâts financiers de cette activité économique hautement répréhensible relève presque de la gageure.

Certains organismes respectables, pourtant, s’aventurent régulièrement dans l’évaluation chiffrée des effets néfastes de la contrefaçon. Ainsi, selon l’Organisation mondiale des douanes, ce “crime du 21e siècle” (sic) coûterait plus de 100 milliards de dollars par an aux pays du G20. En 2007, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiait quant à elle un rapport intitulé L’impact économique de la contrefaçon et du piratage où elle affirmait noir sur blanc que le marché mondial de la contrefaçon s’élevait à quelque 200 milliards de dollars pour l’année 2005.

En France, l’Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (Unifab) se veut plus alarmiste encore : selon cette association française de lutte anti-contrefaçon, les chiffres de cette pratique illégale atteindraient selon elle “entre 5 % et 9 % du commerce mondial”. Lorsqu’on sait que l’ensemble des échanges internationaux a été évalué en 2008 à 15.716 milliards de dollars par l’Organisation mondiale du commerce, on peut donc en conclure que le marché mondial de la contrefaçon se situerait grosso modo entre 800 milliards et 1.400 milliards de dollars par an.

43.500 cas de contrefaçon dans l’UE en 2009

Plus concret dans les faits (sans l’être nécessairement dans les évaluations strictement financières), le rapport annuel de la Commission européenne sur “les interventions douanières de l’Union européenne pour le respect des droits de propriété intellectuelle” souligne lui aussi la gravité de la situation. En 10 ans, le nombre de cas de marchandises contrefaites interceptées par les douanes de l’UE s’est en effet décuplé, passant de près de 4.700 cas de contrefaçon constatés en 1999 à plus de 49.000 en 2008, pour retomber quelque peu en 2009 avec 43.500 situations de fraude constatées par les douanes européennes cette année-là.

Le nombre d’articles saisis a lui aussi décollé : ces affaires de contrefaçon constatées aux frontières de l’UE concernaient près de 118 millions d’articles interceptés en 2009 contre 25 millions “seulement” en 1999, avec une pointe spectaculaire de 179 millions d’objets saisis en 2008.

Dans ce nouveau rapport 2009 publié cet été, la Commission européenne montre à nouveau la Chine du doigt (64 % des articles saisis proviennent de son territoire) et tire la sonnette d’alarme : “Les produits contrefaits peuvent constituer un risque grave pour la santé et la sécurité des consommateurs, et une escroquerie pour les entreprises opérant dans la légalité”, s’insurge Algirdas Semeta, commissaire européen chargé de la Fiscalité, de l’Union douanière et la Lutte antifraude. Car 10 % des marchandises contrefaites interceptées par les douanes européennes concernaient en effet des médicaments, sans parler des articles contrefaits – par exemple des jouets – qui ne respectent pas les normes de sécurité en vigueur dans l’UE.

Mais ce sont d’abord les cigarettes qui tiennent la “vedette” de ce nouveau rapport de la Commission européenne dédié à la contrefaçon (19 % des faux produits saisis en 2009 dans l’UE), suivis d’autres marchandises liées au commerce du tabac (16 %). Viennent ensuite, sur la troisième marche du podium, les articles de mode (vêtements, sacs, chaussures…) portant les (faux) logos des grandes marques internationales (13 %) et qui génèrent souvent des actions de destructions spectaculaires au rouleau compresseur.

Un pavé dans la mare du luxe

Vigoureusement dénoncée dans les sphères bien pensantes de l’Union européenne, la contrefaçon ne serait pourtant pas vraiment dramatique pour les marques de prestige, que du contraire ! C’est du moins le constat étonnant dressé par David S. Wall, professeur de criminologie à l’université de Durham, en Grande-Bretagne, et Joanna Large, collaboratrice au Home Office (le ministère de l’Intérieur britannique), co-auteurs d’une nouvelle étude baptisée Jailhouse Frocks, Locating the public interest in policing counterfeit luxury qui, comme son intitulé l’indique, s’intéresse à la contrefaçon des marques de luxe sous l’angle de l’intérêt public.

Dans ce document publié par le prestigieux British Journal of Criminology et – détail croustillant – financé par l’Union européenne, David S. Wall et Joanna Large bousculent les idées communément admises. Selon eux, le manque à gagner pour les marques de luxe serait non seulement largement surestimé par les principaux concernés, mais la contrefaçon en elle-même véhiculerait in fine une excellente publicité pour les marques copiées. Il est vrai que la majorité des personnes qui achètent de faux sacs Vuitton ou de fausses montres Gucci n’ont tout simplement pas les moyens de se payer les vrais modèles au prix largement supérieur.

Bref, en agissant de la sorte, les consommateurs-fraudeurs ne portent pas réellement préjudice aux labels concernés et s’offrent en quelque sorte une espèce de rêve impayable. Voilà pourquoi les auteurs de l’étude britannique estiment que les pertes annoncées par le secteur du luxe en matière de contrefaçon ne représenteraient, en réalité, qu’un cinquième à peine des estimations communément admises.

David S. Wall et Joanna Large vont carrément plus loin en écrivant qu'”un niveau contrôlé de contrefaçon peut même aider la marque copiée dans ses objectifs publicitaires en stimulant ainsi son attrait”. Selon eux, cette pratique illicite contribuerait en effet à”accélérer le cycle de la mode (et du désir) en saturant le marché et en poussant dès lors l’élite des consommateurs à acheter plus rapidement de nouveaux produits exclusifs”. Un acte symbolique qui permettrait donc à ces acheteurs haut de gamme de se distancier de la clientèle mainstream (qui succombe aux produits copiés) et de cultiver ainsi leur position élitiste.

Autrement dit : plus on copie et plus on vend un sac Chanel lambda, plus cela donne envie aux vraies clientes Chanel d’acheter de nouveaux modèles inédits de sacs Chanel pour se démarquer des ploucs qui veulent leur ressembler. Et donc, ça dope aussi en conséquence le propre business de Chanel.

Un constat qui ne concerne que les marques de luxe – les auteurs insistent – et qui ne peut évidemment pas s’appliquer à la contrefaçon des produits de grande consommation et surtout pas à celle des médicaments. Voilà pourquoi les auteurs de l’étude estiment finalement que les autorités devraient davantage axer leur lutte anti-fraude dans les secteurs qui touchent directement à la santé des consommateurs, et plutôt laisser le soin aux grands acteurs du luxe de mener eux-mêmes leur combat contre les contrefacteurs. A moins qu’ils ne soient pas vraiment pressés de le faire…

Frédéric Brébant

Lutte anti-contrefaçon : accord de principe entre 37 pays en vue d’un traité

Les représentants de 37 pays ont conclu samedi un accord de principe en vue de conclure un traité international de lutte contre la contrefaçon, a annoncé le gouvernement du Japon, hôte des discussions. Ces Etats se sont mis d’accord pour lancer des négociations pour un Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC), un accord multilatéral qui viserait à empêcher la violation des droits de propriété intellectuelle et le piratage des vêtements de marque, de la musique ou des films.

Les 37 pays ayant conclu cet accord de principe à Tokyo sont les Etats-Unis, les 27 membres de l’Union européenne, le Japon, la Suisse, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, Singapour, le Mexique et le Maroc. La Chine n’était pas associée à ces pourparlers, alors qu’elle est accusée par les pays occidentaux de fermer les yeux sur la copie des produits de marque sur son territoire.

Belga

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