Paul Vacca

Les Gafa, maîtres des illusions

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On aurait tort de ne juger les géants technologiques que par le prisme financier et économique, à travers leur mainmise sur l’économie mondiale, des valorisations jamais atteintes en quelques années seulement menaçant de plus en plus de secteurs à mesure qu’ils avancent.

Leur surpuissance aujourd’hui est incompréhensible si l’on ne voit pas qu’elle tire son existence du fait que, outre l’infrastructure économique et technique, les titans technologiques parviennent à maîtriser la superstructure idéologique de notre société. Leur surpuissance économique, ils la tirent de leurs superpouvoirs idéologiques. Car ils sont passés maîtres dans l’art de l’illusion, créant un effet de halo idéologique, un nuage d’illusions autour de leurs activités dont nous sommes tous prisonniers. Attention aux pièges.

Piège n°1 : l’illusion qu’ils nous sont indispensables. En quelques années seulement, ils sont parvenus à prendre tellement de place dans notre espace public et personnel qu’ils finissent par se fondre complètement dans notre quotidien. Au point qu’on ne les considère plus comme des produits ou des marques mais des fonctionnalités de nos vies. Avec une conséquence médiatique directe : des torrents de publicité gratuite. Le journal télévisé peut faire son ouverture sur le dernier modèle d’iPhone, personne n’y verra à redire. Pour son assistant vocal, combien de millions d’euros Amazon a-t-il obtenu en publicité gratuite dans tous les médias ? Cela ne nous choque même plus. Pour faire le test, remplacez le produit par une voiture, un yaourt, une lessive ou une banque… et vous serez immédiatement choqué par le caractère éhontément publi-rédactionnel de ” l’information “.

Les Gafa ont annexé l’idée même de progrès. Les critiquer, c’est courir le risque de se voir immédiatement catalogué dans le camp des ” has been “, des réfractaires à la modernité, voire des réactionnaires.

Piège n°2 : l’illusion qu’ils représentent à eux seuls le progrès. Ils ont annexé l’idée même de progrès. Les critiquer, c’est courir le risque de se voir immédiatement catalogué dans le camp des has been, des réfractaires à la modernité, voire des réactionnaires, ou d’être lié à des intérêts de l’ancien monde. Des Harpagon de la rente. On l’a vu lors du lancement d’Uber, où la critique s’était focalisée contre le conservatisme et les acquis des chauffeurs de taxi. Idem pour Airbnb qui réussit à transformer les consommateurs en alliés. L’économie du partage se présente comme un chevalier blanc au service du choix, de la liberté et du progrès. Peut-on être contre ?

Piège n°3 : l’illusion de la critique. De fait, c’est l’idée même de critique qui devient inopérante. Paradoxalement, plus on critique leur toute-puissance, plus on la renforce. Car la nocivité accrédite la thèse de leur efficacité. Et cela a son importance dans une économie tout entière projetée vers le futur. Les scénarios dystopiques échafaudés par leurs opposants sont une bonne affaire pour les Gafa. Certains savent d’ailleurs très bien utiliser cet argument pour eux-mêmes comme levier de valorisation. On se souvient d’Elon Musk mettant en garde contre les dangers de l’intelligence artificielle. De même, les déboires de Facebook n’ont pas du tout éloigné les annonceurs. Il semble même que le réseau social ait gagné en attractivité. Pensez : quel autre média est en mesure de faire élire un président des Etats-Unis avec un budget de centaines de milliers de dollars ? Un R.O.I. imbattable. On comprend mieux pourquoi Mark Zuckerberg n’oppose que de molles dénégations lorsqu’on lui parle de fake news

Piège n°4 :l’illusion de la concurrence. Toute velléité de concurrence est tuée dans l’oeuf. Les jeunes pousses d’aujourd’hui ne rêvent pas de déboulonner les géants, mais d’être adoubées par eux. Pour preuve, l’écosystème qui a été mis en place notamment à Station F à Paris où les nouvelles pousses sont incubées par les géants du Net ou du Cac 40. Imagine-t-on, à l’époque, Google se faire héberger chez Accenture ? Ou Amazon chez Carrefour ? L’esprit de disruption se pare désormais d’une bonne dose de réalisme : if you can’t beat them, join them, si vous ne pouvez les battre, rejoignez-les .

Piège 5 :l’illusion de la commodité . En nous laissant croire qu’ils nous facilitent la vie, les titans technologiques s’immiscent toujours plus dans tous les interstices de notre vie quotidienne. Et ce faisant, nous les utilisons toujours plus, ce qui nous rend toujours plus victimes de l’illusion qu’ils nous sont indispensables. Retour au piège n°1 dans un effet de boucle. Comme une vis sans fin.

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