Les entrepreneurs chinois à la conquête de l’Ouest (et de ses entreprises)

Li Shufu, président de Geely, a dépensé 1,8 milliards de dollars pour acheter Volvo. © reuters

Souvent montrée du doigt pour ses tendances protectionnistes, la Chine n’hésite aujourd’hui plus à jouer la carte de la mondialisation. En témoigne une vague de rachats de firmes occidentales…

Le ‘Made in China’ n’a plus trop la cote. Pour contrer cette mauvaise réputation et redorer leur blason, des entrepreneurs chinois n’hésitent plus à racheter des marques européennes ou américaines. L’une des premières à avoir fait parler d’elle était IBM, rachetée par le géant des smartphones Lenovo en 2004. L’entreprise asiatique poursuit depuis sa quête outre-Pacifique.

Lenovo fait basculer Motorola dans son camp

Le 30 janvier 2014, on apprenait ainsi la cession de Motorola à Lenovo. Et ce, alors même que six mois plus tôt, la première marque avait lancé une campagne publicitaire on ne peut plus pro-américaine. “Demain, vous allez manger des burgers, regarder des feux d’artifice et célébrer la liberté d’être qui vous souhaitez être“, tel était le slogan du nouveau Moto X, un téléphone “conçu, développé et fabriqué aux États-Unis“. Plus étonnant encore, Motorola a été cédé pour seulement 3 milliards de dollars, alors que Google l’avait achetée en 2011 plus du quadruple.

Après IBM, Lenovo s'est offert la marque Motorola.
Après IBM, Lenovo s’est offert la marque Motorola. © reuters

Du côté de Lenovo, on a bien vite compris où résidaient les avantages. Grâce à l’acquisition d’une telle marque, le constructeur chinois allait pouvoir monter sur la troisième marche du podium des plus gros vendeurs de smartphones, juste derrière Samsung et Apple. Lenovo a aussi profité des accords préexistants entre Motorola et les grands opérateurs téléphoniques: un gain de temps considérable, donc. Reste à comprendre pourquoi Google a accepté… Selon le Huffington Post, la réponse se trouverait dans un petit détail du contrat qui n’a rien d’insignifiant: Google a conservé la plupart des 20.000 brevets déposés par Motorola, ce pour quoi elle avait principalement voulu acquérir l’entreprise.

La cession comme ultime solution

Pour d’autres, revendre sa marque à la Chine peut s’avérer l’ultime moyen de sauver un business au bord de l’essoufflement. Ce fut notamment le cas pour Ford Motors, qui céda Volvo au groupe chinois Geely. A la tête de ce dernier, Li Shufu, qui s’est lancé dans le business automobile un peu par hasard, après quelques années dans la photographie, puis dans les réfrigérateurs. Depuis 2002, il envoyait des lettres à Ford Motors exprimant ses ambitions. Des lettres pas vraiment prises au sérieux par le géant américain… Jusqu’à la crise économique du moins. Ford reconsidère alors les propositions de cet acheteur potentiel chinois. D’abord, parce que Volvo est une marque axée sur le luxe, ce qui ne correspond pas tout à fait au public visé par Ford Motors. Ensuite, parce que l’entreprise sent que le marché européen arrive à saturation, alors que la Chine, elle, vient de devenir le premier marché automobile au monde. C’est un business en plein essor.

Dans son ouvrage “China Goes West”, Joel Backaler explique que la transaction n’a pas été simple pour autant. Geely a du s’engager à conserver l’équipe dirigeante, à laisser le siège de l’entreprise en Suède, et à y maintenir 16.000 postes. Un pari réussi, puisque la Chine est devenue en 2013 le pays le plus profitable pour Volvo, marque qui n’y était que très peu connue avant. Li Shufu a finalement fait d’une pierre deux coups: d’un côté, il a boosté les ventes de Volvo sur le marché asiatique, de l’autre, il a offert à sa firme Geely une renommée internationale.

Le marché chinois est devenu le marché le plus rentable pour la marque Volvo.
Le marché chinois est devenu le marché le plus rentable pour la marque Volvo.© reuters

Le luxe européen en ligne de mire

Si les Chinois louchent sur l’automobile et les inventions high-tech du pays de l’Oncle Sam, c’est un produit bien différent qu’ils viennent chercher en Europe. Ils y ont racheté Marionnaud, le Club Med, l’hôtel de luxe parisien Marriott, mais aussi l’italien Cerruti, le maroquinier belge Delvaux, ou encore un petit chausseur drômois, Robert Clergerie. Si ces firmes intéressent tant l’Asie, c’est avant tout pour l’image positive qu’elles véhiculent. Dans le Financial Times, Jean-Marc Loubier, directeur de Fung Brands, un géant chinois de l’investissement en Europe, expliquait ainsi que son objectif, c’était avant tout “d’investir dans des maisons de luxe avec une histoire et un véritable savoir-faire“.

Philippe Le Corre, auteur de “L’Offensive Chinoise en Europe”, évoque dans une interview sur L’Opinion l’exemple du Club Med. “C’est une marque symbolique d’un certain art de vivre français, connue dans le monde entier” explique-t-il. L’Europe séduirait donc par sa culture du luxe à la réputation mondiale. Un atout qui manquerait à la Chine, selon Philippe Le Corre: “La marque Chine n’a pas une bonne réputation et personne ne connaît les marques corporate chinoises“. Pour le pays, racheter des firmes occidentales serait aussi selon l’auteur “une sorte de revanche à prendre” sur l’époque où la Chine était sous le joug des grandes puissances occidentales. “Quand on a 4.000 milliards de dollars de réserves de change, on peut avoir une politique d’expansion internationale“, explique Philippe Le Corre dans L’Opinion. D’après lui, ce ne serait “que le début” d’une “conquête économique” de grande envergure

Perrine Signoret

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