Les effets pervers de la réorganisation judiciaire

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Entrée en vigueur voici 20 mois, la loi relative à la continuité des entreprises enregistre un nombre de procédures record. Bémol : peu de sociétés survivent et les créanciers se trouvent dans une situation schizophrénique.

Depuis son entrée en vigueur le 1er avril 2009, la loi sur la continuité des entreprises connaît un succès au regard du nombre de dossiers introduits. Sous le régime du concordat judiciaire, le nombre de procédures n’avait jamais dépassé la barre des 180 annuellement pour tomber à 78 en 2008 alors que l’on recense plus de 1.500 dossiers de procédures en réorganisation judiciaire (PRJ) introduits à ce jour devant les tribunaux de commerce du pays (dont 872 du 1er janvier au 30 septembre 2010). Si la nouvelle loi n’est pas encore la panacée, l’explosion du nombre de PRJ, en comparaison avec les procédures concordataires, est-elle victime de son succès ?

Certes, la souplesse de la loi, le nombre d’instruments à la disposition de l’entreprise en difficulté et son coût potentiellement faible expliquent en partie les raisons qui poussent les entreprises en difficultés à faire appel à la PRJ. La crise économique, qui a frappé les milieux économiques au cours des deux dernières années, en est une autre.

Si la PRJ démontre qu’elle constitue un outil précieux pour aider les entreprises en difficulté à redresser la barre en se mettant à l’abri de leurs créanciers le temps d’un plan de réorganisation, le nouveau-né législatif a aussi ses limites.

Distorsion de concurrence

Parmi les faiblesses observées dans les tribunaux de commerce : la concurrence déloyale. “Le danger est que des entreprises abusent de la procédure et fassent de la concurrence déloyale aux autres grâce aux avantages que procure le sursis, précise Philippe Lambrechts, administrateur-secrétaire général de la FEB. Les conditions pour faire appel à cette loi sont très souples, mais il faut qu’il y ait une situation préoccupante, autrement il serait illégitime et anticoncurrentiel que l’entreprise se mette sous une forme de protection judiciaire à l’abri des créanciers.”

Autre écueil : le classement des créanciers en deux catégories. La nouvelle loi classe les créanciers en “ordinaires” et “extraordinaires”. S’agissant des premiers, le plan de réorganisation prévoit les mesures nécessaires pour assurer la pérennité de l’entreprise, comme des abattements de créance, des délais de paiement… Pour les seconds, le plan ne prévoit autre chose, sauf accord individuel des créanciers concernés, qu’un sursis prolongé.

“La liberté de créer des sous-catégories entre les créanciers et la différence de traitement, en termes de remboursement, génèrent un arbitraire qui engendre des contestations devant le tribunal, assure Johan Vanden Eynde, avocat et fondateur du bureau éponyme. En outre, cette différenciation place les créanciers couverts par une assurance-crédit, un fonds de garantie ou une caution dans une situation schizophrénique, S’ils votent en faveur d’un plan de restructuration ou accepte un accord amiable, il est fort probable qu’ils perdent leur garantie. Quant aux donneurs de garanties, ils doivent intervenir dès l’acceptation du plan de restructuration que le bénéficiaire de la garantie a par hypothèse refusé…”

Les créanciers paient-ils la restructuration ?

En dépit des précautions prises par le législateur, la loi peut étonnamment enrichir l’actionnaire. “Si vous avez une société qui a un endettement de 1.000 et que vous faites passer un plan d’apurement de 500, c’est tout bénéfice pour l’actionnaire, assure Johan Vanden Eynde. Dès lors, le redressement se fait grâce au sacrifice des créanciers car si l’abattement est maintenu, le créancier perd tout.”

Notons que l’article 49-50 de la loi permet aux créanciers de convertir leurs créances en capital. “Cela s’adapte plus aux sociétés de taille importante, car pour ce qui concerne les PME, c’est illusoire”, tranche encore Johan Vanden Eynde. Et celui-ci de suggérer la création d’un mécanisme compensateur en cas de retour à meilleure fortune afin d’obliger l’entreprise à rembourser ses créanciers.

Valéry Halloy

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