“Les dirigeants européens sous-estiment le pouvoir du non-verbal”

© photos : Hatim Kaghat

La poignée de main typique de Donald Trump a attiré l’attention sur la façon qu’ont certains dirigeants de communiquer autrement que par la parole. Selon Connson Locke, de la London School of Economics, ” si les Américains abusent du non-verbal, les Européens, en revanche, sous-estiment son pouvoir “.

Les chefs d’entreprise et les politiques n’ont pas pleinement conscience que la communication non verbale peut leur permettre de faire la différence quand ils s’expriment devant un public. C’est en tout cas ce que pense Connson Locke, qui enseigne à la London School of Economics et fait des recherches sur la communication non verbale. ” Je suis d’accord pour dire qu’on ne peut pas improviser une petite danse sur un podium, ajoute-t-elle. Il faut utiliser sa voix, les expressions du visage et le langage corporel. C’est la raison pour laquelle de nombreux orateurs pensent à tort que la communication non verbale a un impact limité. Mais il est tout à fait possible de maîtriser ce mode de communication et d’y avoir recours pour produire l’effet escompté. ”

Chez nous, le non-verbal joue un rôle trop minime, tandis que les Américains ont tendance à en abuser.

Connson Locke, qui faisait partie des orateurs lors de l’événement marketing The Grand Tour qui s’est tenu le 22 décembre à Bruxelles, s’est étonnée en sa qualité de professeur en communication non verbale, du manque d’études scientifiques portant sur cette discipline. ” Toute une série de techniques ont bien été transmises, mais elles se sont avérées peu étayées. C’est ce qui m’a poussée à entreprendre des recherches sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La psychologie se concentre souvent sur ce qui se passe dans la tête et moins sur la forme via laquelle l’activité mentale s’exprime vers l’extérieur. ”

Après avoir démontré l’efficacité indubitable de la communication non verbale, Connson Locke a également relevé des différences culturelles. Ce sont surtout les dirigeants européens qui sont trop peu conscients de ses possibilités. ” Chez nous, le non-verbal joue un rôle trop minime, tandis que les Américains ont tendance à en abuser. Souvent, ils ont du mal à cacher le fait qu’ils sont entraînés, ce qui met à mal leur authenticité. Leur communication risque aussi de devenir trop lisse. ”

La voix

” En plus de sous-évaluer l’influence de la communication non verbale, les dirigeants européens ont aussi tendance à se concentrer sur les mauvais vecteurs, précise Connson Locke. Ils accordent souvent trop d’importance au langage corporel au détriment de la voix. Le débit des paroles, le volume sonore et le fait de marquer des pauses sont trop peu pris en compte quand on veut avoir de l’impact sur un auditoire. Regardez une vidéo de Martin Luther King sur YouTube et vous comprendrez directement : tout tourne autour de la voix. Vous pourrez aussi constater que ses expressions faciales n’ont rien d’anodin, mais qu’elles sont en lien étroit avec sa façon de parler. ”

Le débit des paroles, le volume sonore et le fait de marquer des pauses sont trop peu pris en compte quand on veut avoir de l’impact sur un auditoire.” Connson Locke

La psychologie joue aussi un rôle dans la maîtrise de la voix. ” Un orateur qui est convaincu d’avance du désintérêt de son public, s’exprimera avec moins d’ardeur. Une situation pourtant tout à fait gérable, explique l’experte. Vous devez poser correctement votre voix dans votre tête quand vous commencez à parler. Dès que vous êtes dans la bonne tonalité, l’utilisation correcte de la voix devient presque automatique. ”

Respirer la confiance et irradier un charisme naturel ne signifient pas pour autant que vous êtes un bon leader. On ne compte plus les exemples de dirigeants qui ont une excellente communication non verbale mais n’ont pas su empêcher la faillite de leur entreprise. La communication non verbale n’est pas un gage de succès en affaires, mais bien un outil qui vous permet de renforcer votre discours. Evidemment, le langage corporel d’un politicien comme Donald Trump saute aux yeux, mais pour Connson Locke, il ne mérite même pas d’être commenté ou comparé avec celui de son prédécesseur, Barack Obama. Les autres dirigeants de par le monde ont du pain sur la planche, selon elle. Elle cite en exemple la Première ministre britannique Theresa May : ” Sa communication non verbale donne vraiment l’impression qu’elle n’est pas à l’aise avec d’autres personnes et moins encore devant un grand auditoire. En revanche, son prédécesseur David Cameron possédait ce talent de manière intuitive, ce dont elle pourrait s’inspirer. ”

L’entraînement

Toute personne qui doit souvent s’adresser à son personnel ou à ses clients se réjouira de savoir que la communication non verbale est parfaite pour maîtriser ce genre de situation. C’est très simple : il suffit de s’exercer en enregistrant sa voix, puis de se réécouter et d’apporter les modifications nécessaires. Pour Connson Locke, les enregistrements vidéo sont aussi une excellente idée. ” Vous devez prendre conscience de la façon dont on vous perçoit, dit-elle. Avoir une bonne posture, tenir la tête droite, garder le contact visuel quand vous parlez… autant d’éléments à prendre en compte. Chacun a ses propres particularités qui sont souvent déterminantes. Enregistrez-les aussi et prenez garde à ces petits côtés irritants. Demandez aussi l’avis de personnes en qui vous avez confiance. ” Mais s’entraîner n’est pas tout et peut aussi mener à des exagérations. Répéter 10 fois votre discours de A à Z devant la caméra jusqu’à vous assommer n’est pas toujours la meilleure approche. ” Ce sont les premières minutes qui sont décisives, conclut Connson Locke. Visionnez ces 10 minutes, rembobinez, faites les ajustements nécessaires. Cela suffit pour donner la première impression et le reste coulera de source. ”

Communiquer sans la parole

La plupart des dirigeants connaissent les règles de base de la communication non verbale : avoir la posture adéquate, créer un contact visuel, joindre le geste à la parole pour accentuer certains mots. Connson Locke insiste sur l’utilisation de la voix et la méthode d’entraînement, tout en estimant que les orateurs doivent aussi savoir dépasser le stade de la technique.

1. Adaptez-vous, mais pas trop. La communication non verbale n’est pas un rituel établi. Identifiez vos interlocuteurs, ainsi que les réactions de votre public et osez corriger votre attitude pendant que vous vous exprimez. ” Faire preuve de confiance en soi peut s’avérer payant devant un public nombreux, mais contre-productif avec un unique interlocuteur. Une situation pour laquelle vous ne disposerez peut-être pas de toutes les informations. Adaptez-vous, mais sans tomber dans l’excès, certainement avec un auditoire plus large. Si votre discours prend une tournure trop spécifique ou trop individuelle, cela peut devenir déroutant pour les autres, mais aussi pour vous-même. ”

2. Soyez cohérent. Connson Locke pointe une autre difficulté : ” Réfléchissez au préalable à la relation entre votre communication verbale et votre communication non verbale. Il est essentiel de rester cohérent. Déclarer sur un ton froid et maîtrisé que vous débordez d’enthousiasme n’a aucun sens. ”

3. Donnez-vous un incitant. ” Commencer par vous concentrer sur un point d’attention ou d’attache bien déterminé peut aider à gérer la communication non verbale. Dans nos programmes de formation, nous donnons aux participants un incitant orienté, par exemple penser avec beaucoup d’affection à une personne à qui vous annoncez une mauvaise nouvelle, comme un licenciement. ”

4. Gardez le contrôle. En matière de communication verbale, cela signifie garder le contrôle sur votre corps. ” Ce n’est pas toujours évident, reconnaît Connson Locke. Transpirer, rougir, trembler sont des réactions que vous ne pouvez pas toujours maîtriser, mais vous pouvez reprendre le contrôle. Dans ce genre de situation, il est préférable par exemple de marquer une petite pause. “

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