Les dessous des lunettes pas chères Hans Anders

© BELGA IMAGE
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Racheté en début d’année par le fonds d’investissement 3i (Action, Basic-Fit, etc.), le lunettier néerlandais Hans Anders annonce un coup d’accélérateur dans son développement à Bruxelles et en Wallonie. Alors que ses prix cassés et ses méthodes de marketing agressives secouent le secteur de l’optique, nous avons tiré son “business model” au clair.

” Nous ne nous trouvons pas moins chers, nous estimons surtout que les autres sont trop chers ! ” Voilà résumé en une phrase tout le marketing du Lidl de l’optique, Hans Anders. Racheté en début d’année par le fonds d’investissement 3i (Action, Basic-Fit, etc.), ce lowcoster néerlandais aux méthodes agressives se targue dans ses publicités d’être un opticien ” pas comme les autres “. La concurrence offre une seconde paire gratuite ? Hans Anders offre… les verres.

La chaîne est passée maître dans l’art de faire parler d’elle. En 2013, elle s’attirait les foudres de l’Association professionnelle des opticiens et optométristes de Belgique après une publicité pour le moins provocante dans laquelle elle affirmait que le consommateur payait ” jusqu’à trois fois plus cher pour des verres de lunettes identiques chez un opticien indépendant “. Plainte auprès du Jury d’éthique publicitaire. Relais dans les médias. Occasion en or de réaffirmer, gratuitement, sa volonté de ” se battre pour des prix justes et une démocratisation du marché en Belgique “. A ce jour, l’enseigne compte exactement 111 magasins chez nous, majoritairement en Flandre. En Wallonie et à Bruxelles, elle ne compte ” que ” 35 points de vente. Un nombre qui est toutefois amené à gonfler. ” Notre nouveau propriétaire est très ambitieux, assure Alex Stergialis, directeur marketing de Hans Anders Belgique. Nous allons intensifier le rythme d’ouverture l’année prochaine. ” A l’image des discounters alimentaires que sont Aldi et Lidl, Hans Anders a opéré une mue vers une sorte de smart discount. En 2012, l’enseigne à bas coûts introduisait quelques grandes marques de montures dans ses magasins. Et il y a deux ans, la marque dépoussiérait ses points de vente pour les rendre plus attractifs et, comme l’explique Alex Stergialis, ” augmenter la perception de qualité “.

Les prix, eux, défient toute concurrence. Toutes les montures Hans Anders sont à 39 euros, tandis que toutes les montures de marque coûtent 109 euros. Pour une paire de lunettes complète à marque propre, comptez 169 euros (verres monofocaux, sans les options). Une paire complète de marque revient, elle, à 239 euros, (à titre indicatif, le coût serait de +/- 370 euros chez un opticien indépendant). ” Et ce ne sont jamais les montants payés car nous avons toujours des actions comme des réductions de 50 %, les verres offerts, etc. “, ajoute le directeur marketing.

Comment la marque s’y prend-t-elle pour proposer ce genre de prix ? La qualité est-elle au rendez-vous ? Voici la recette des lunettes pas chères à la Hans Anders.

1. Des verres et des montures ” made in Asia ”

Pour acheter à bas prix, Hans Anders fait produire ses verres et ses montures en Asie. ” Les verres asiatiques ne coûtent rien, surtout s’ils ne comportent aucune innovation technologique, assure un opticien qui travaille depuis toujours dans le haut de gamme mais qui connaît bien les pratiques des chaînes low cost. On parle d’un euro par verre, maximum. Après un certain temps, les brevets tombent dans le domaine public et les verres peuvent donc être copiés et vendus à vil prix. Le problème, c’est qu’on se retrouve avec des verres d’ancienne technologie. ”

Chez Hans Anders, on réfute cette présentation des choses. Si la chaîne admet s’approvisionner en Asie pour certains verres et certaines montures, elle explique passer par les mêmes fournisseurs que tous les opticiens. ” Tout le monde achète ses verres chez les mêmes cinq grands fabricants mondiaux que sont Hoya, Essilor, Zeiss, Rodenstock et Tokai, insiste Alex Stergialis. C’est la même chose pour les montures. Nous avons donc tous la même qualité. ” ” Il est vrai que nous nous approvisionnons tous chez les mêmes fournisseurs, explique un opticien indépendant. Mais il existe plusieurs gammes de verres comme de montures, avec des qualités différentes. Cela ne change rien au niveau de la vision, sauf qu’il faudra changer de lunettes plus souvent. ”

Les montures à marque propre proviennent de grands fabricants de marques, mais elles ne sont tout simplement pas signées. Les quelques grandes marques disponibles en magasin, elles, peuvent provenir de séries spéciales fabriquées uniquement pour l’opticien batave.

2. Une faible marge et des volumes importants

Dans un secteur connu pour pratiquer d’importantes marges, Hans Anders casse les codes et s’affirme comme un empêcheur de ” marger ” en rond. ” Nous prenons moins de marge que la moyenne du marché “, confirme le directeur marketing de l’enseigne. Une plus faible marge que le groupe compense par des volumes importants. ” Mais dans un marché saturé comme le nôtre, il est compliqué d’atteindre des volumes suffisants, relève notre opticien haut de gamme. Hans Anders est donc obligé de vendre les options (amincissement des verres, travail sur écran, etc.), ce qui fait que le prix final est toujours plus élevé que le prix d’appel affiché. ”

Si Hans Anders a introduit quelques grandes marques dans ses boutiques en guise de produits d’appel, c’est évidemment sa marque propre qui constitue le coeur de son business.

Professeur de retail marketing à la Solvay Brussels School, Claude Boffa va, lui, jusqu’à se poser la question de la pérennité d’un tel business model. ” Si le groupe pompe sur sa marge pour acheter des parts de marché, ça ne lui rapporte rien, souligne-t-il. Les actionnaires risquent de ne pas accepter cela très longtemps. ”

3. Un assortiment limité et une logistique bien huilée

Si Hans Anders a introduit quelques grandes marques dans ses boutiques en guise de produits d’appel, c’est évidemment sa marque propre qui constitue le coeur de son business. Celle sur laquelle le groupe fait la plus grande marge. L’une des recettes de l’enseigne est de limiter son assortiment de montures afin de garantir un fort taux de rotation des lunettes, gage de rentabilité. Une gamme réduite permet en effet d’acheter des volumes importants et d’obtenir ainsi des conditions avantageuses. Le stock, lui, est réduit au strict minimum.

La logistique, elle, est pensée pour éviter tous les coûts inutiles. Ce sont les paires exposées en magasin qui sont vendues au client. Et dès qu’une paire est vendue, elle est directement remplacée. ” Nous livrons nos magasins en montures deux à trois fois par semaine depuis notre entrepôt logistique aux Pays-Bas, explique Alex Stergialis. Les verres sont eux directement livrés en magasin par les fabricants. Ils sont déjà découpés et l’assemblage s’effectue dans nos points de vente. ” ” Le fait de livrer leurs magasins depuis les Pays-Bas leur permet de profiter d’une législation plus flexible sur le travail notamment “, précise Claude Boffa.

4. Un service minimal et standardisé

Chez Hans Anders, le nombre d’employés par point de vente est calculé au plus juste. Certains tournent avec trois ou quatre employés, mais la plupart sont tenus par une seule personne. Le personnel est-il correctement formé ? Les professionnels que nous avons rencontrés affirment que tous les employés présents dans les magasins Hans Anders ne sont pas forcément opticiens. Un client peut tout à fait tomber sur un ” simple ” vendeur. Du côté de la chaîne, on assure qu’un opticien diplômé est présent dans chaque boutique. ” Le reste du personnel est qualifié pour faire passer des examens de la vue, affirme le directeur marketing. Nous dispensons en interne des formations intensives et la directive que nous donnons à nos collaborateurs est de faire passer un test de vue gratuit à tous les clients, y compris ceux qui viennent avec une prescription d’un ophtalmologue. ”

Le tout est de savoir si ces tests de vue sont menés correctement. Or plusieurs ophtalmologues que nous avons contactés témoignent de patients venus les consulter pour des maux de tête ou d’autres problèmes après avoir acheté des lunettes chez Hans Anders. ” Un professionnel questionnera le client sur ses habitudes, déconseillera certaines montures, choisira le verre qui s’adapte au mieux, etc., explique notre opticien haut de gamme. Regardez un catalogue de verres, vous verrez que les possibilités sont immenses. ” Le business model du low cost, lui, repose sur une standardisation et une simplification des prestations, ce qui exclut une personnalisation des services. ” Chez Hans Anders, vous n’avez certainement que quelques gammes de verres par dioptrie “, souffle un indépendant. Et si c’était finalement le prix à payer pour disposer de lunettes bon marché ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content