Les chaebols, ces empires familiaux sud-coréens, dans la tourmente

© Samsung

Jadis moteurs de la croissance économique et source de fierté nationale, les chaebols sud-coréens, empires familiaux à la gouvernance opaque, suscitent aujourd’hui l’opprobre. Au beau milieu du scandale de corruption qui secoue le pays, la pression monte pour qu’ils se réforment.

L’inculpation mardi pour corruption de Lee Jae-Yong, héritier de l’empire Samsung, est le plus grand revers jamais subi par le premier fabricant mondial de smartphones.

Le scandale de corruption à tiroirs qui a valu à la présidente Park Geun-Hye d’être destituée fait planer des interrogations sur l’avenir de ces chaebols qui dominent la quatrième économie d’Asie.

En décembre, des millions de téléspectateurs éberlués avaient regardé les patrons des huit plus grands conglomérats être malmenés par une commission d’enquête parlementaire au sujet de millions de dollars de “dons” au profit de la confidente cachée de Mme Park, Choi Soon-Sil, au coeur du scandale.

M. Lee et les autres capitaines d’industrie, parmi lesquels les dirigeants de Hyundai, SK, LG et Lotte, ont tous démenti avoir ouvert leur portefeuille en échange de faveurs politiques. Tout en laissant entendre qu’ils faisaient régulièrement l’objet de pression de la part du sommet du pouvoir.

Les manifestants qui descendent régulièrement dans la rue pour décrier les agissements de la présidente dénoncent aussi ceux des conglomérats, avec pour toile de fond des tensions économiques et sociales croissantes.

“Ça devient la République des chaebols. Ils sont trop gloutons et trop puissants”, dit à l’AFP Kim Jong-Rae, un employé d’assurance de 49 ans.

Entreprises tentaculaires

Les chaebols ont été largement responsables de la croissance économique rapide de la Corée. Mais, estime-t-il, lorsque les fils et les petits-fils des fondateurs ont pris les rênes, ils ont diversifié à tout va et les groupes se sont étendus jusque dans les moindres recoins de l’économie, au détriment des petites entreprises et de l’innovation.

“Les autres grands patrons doivent aussi être arrêtés s’ils se sont mal conduits”, juge Chang Hye-Eun, une comptable de 26 ans. “Ils ont prononcé des messages de contrition qu’ils avaient répétés à l’avance mais n’avaient aucun remords”.

La plupart des familles régnantes ne possèdent qu’une petite partie du capital de leur entreprise mais elles exercent le contrôle au moyen d’écheveaux complexes de participations croisées et de promotions intra-familiales. Or, le comportement de certains héritiers scandalise parfois.

En 2014, Cho Hyun-Ah, héritière de Korean Air, avait explosé de rage contre un chef de cabine parce que des noix de macadamia lui avaient été servies non dans un bol mais dans un sachet. Elle avait contraint l’avion à retourner à son point de stationnement à New York afin que le chef de cabine soit éjecté de l’appareil.

Le président de Lotte et son frère se sont livrés l’année dernière à une guerre sans merci, en public, pour le contrôle du géant de la distribution.

Les chaebols ont toujours entretenu des liens rapprochés avec le pouvoir, y compris pendant les décennies de dictature militaire.

‘Bien trop généreuse’

Samsung n’est pas étranger aux déboires judiciaires. Le père de M. Lee, Kun-Hee, avait été reconnu coupable de corruption en 1996, puis d’évasion fiscale et de corruption en 2008, mais avait été condamné à du sursis. Ainsi, il ne s’était jamais retrouvé derrière les barreaux.

Son grand-père Lee Byng-Chull avait été mêlé à un énorme scandale de contrebande d’édulcorants artificiels. Il avait échappé aux poursuites après avoir accepté de “nationaliser” le département engrais du groupe.

Les générations plus anciennes de Sud-Coréens qui ont profité du décollage économique des années 1960, ont tendance à trouver normal que les capitaines d’industrie ne soient punis que pour la forme, explique Shim Jung-Taik, qui a écrit plusieurs ouvrages sur Samsung et la culture entrepreneuriale des conglomérats.

“Mais on a des générations nouvelles et davantage de gens estiment que notre société a été bien trop généreuse envers les chaebols, qu’ils doivent répondre de leurs actes en cas de malversations”.

La société exige des changements “dans le style anachronique” de gouvernance des chaebols, constate aussi l’économiste Lee Phil-Sang.

Que la destitution de Mme Park soit validée ou non par la Cour constitutionnelle, l’élection présidentielle approche et les candidats potentiels évoquent la nécessité de réformer, même au centre-droit.

D’autant que des secteurs industriels clé responsables de la gloire de certains — construction navale, fret maritime — sont “sur le déclin”, tandis que l’avenir de la pétrochimie, de l’acier et du fer est incertain, note l’économiste. Au bout d’un demi-siècle, le modèle économique fondé sur les chaebols a “atteint ses limites”.

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